Pour la première fois de son histoire, la capitale soudanaise fait face à une épidémie de dengue, virus transmis par les moustiques de genre Aedes. Les causes de la migration de ces insectes restent encore à être formellement déterminées, alors que le très fragile système de santé menace de s’effondrer.

(Khartoum, Soudan) La fièvre, les céphalées et les douleurs articulaires empoisonnent le quotidien d’Amani Hassan depuis le mois de janvier. En pleins préparatifs du mariage de sa fille, la quinquagénaire a tenté de vaincre ses maux à coups d’analgésiques. Une fois les célébrations passées, sa santé a continué à se dégrader. Et les rations abusives d’antidouleurs ont fini par affecter ses reins.

Jusqu’à ce que cette employée du ministère de l’Industrie du Soudan se réveille à l’hôpital, début mars. On lui a diagnostiqué la dengue.

PHOTO AUGUSTINE PASSILLY, COLLABORATION SPÉCIALE

Amani Hassan

Pour la toute première fois, ce virus véhiculé par des moustiques de genre Aedes se propage en effet dans l’État de Khartoum. Les causes de la migration de ce moustique ne sont pas encore déterminées, mais les médecins soudanais redoutent le pire.

Une cellule ouverte en urgence

Au 13 mars, 2231 cas avaient été recensés, dont 1076 aux environs de la capitale. D’ordinaire, cette épidémie se limite à l’est et au sud-ouest de ce géant de la Corne de l’Afrique. Mais cette année, les hémorragies engendrées ont fait 43 morts, dont deux dans l’État de Khartoum. « Des moustiques infectés ont pu voyager en bus, en voiture ou en avion », avance Asma Saad. Cette médecin généraliste fait partie des dizaines de praticiens réquisitionnés pour faire face à cette nouvelle crise sanitaire.

Faute d’espace disponible, un centre pour soigner les cas les plus graves a ouvert dans l’aile de l’hôpital universitaire d’Omdurman, ville voisine de Khartoum, qui servait jusque-là à isoler les malades de la COVID-19.

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Asma Saad

Si le nombre de patients atteints de la dengue augmente encore, nous ne pourrons pas continuer à les soigner dans le même bâtiment que les porteurs de la COVID-19.

Asma Saad, médecin généraliste dans l’État de Khartoum

Les cliniques soudanaises se trouvaient déjà affaiblies par 30 ans de dictature militaro-islamiste dirigée par le kleptocratique Omar el-Béchir. Elles pâtissent désormais du gel de plusieurs milliards de dollars de subventions internationales – pour sanctionner le coup d’État du 25 octobre 2021, qui a interrompu la transition démocratique entamée en 2019.

« Nous manquons de plaquettes et de sang pour transfuser les malades de la dengue qui souffrent d’hémorragie », explique Asma Saad. La jeune femme a vu ses conditions de travail se dégrader depuis le putsch. Sa double exposition à la dengue et à la COVID-19 ne lui rapporte pas plus de 10 000 livres soudanaises (environ 23 $ CAN) par jour – une somme qui paraît pourtant astronomique aux employés du ministère de la Santé.

Des quartiers défavorisés particulièrement touchés

Cet hôpital public finance la plupart des médicaments, du moins ceux offerts. Beaucoup sont en rupture de stock. Les examens complémentaires, de sang ou d’urine, par exemple, restent en revanche à la charge du patient. Souriant dans sa djellaba blanche alors qu’il crachait du sang quelques minutes plus tôt, Muaz Jehal a déjà dépensé en ce 12 mars les deux tiers de son salaire pour payer ses traitements. Or, la dengue touche majoritairement les quartiers populaires, comme la commune de cet enseignant au primaire dans la banlieue d’Omdurman.

Les robinets sont souvent à sec, obligeant les riverains à stocker leur eau dans des cuves propices à la prolifération des moustiques Aedes. Le plus dangereux, insiste Mohammed Alhassan, représentant de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) pour l’État de Khartoum, ce sont les larves. Ces dernières se nichent sur les parois des jarres en terre cuite, les « zir », où elles peuvent survivre pendant des mois tout en portant le virus.

PHOTO ASHRAF SHAZLY, AGENCE FRANCE-PRESSE

Une résidante de la région d’Omdurman est forcée d’aller puiser son eau à des dizaines de kilomètres de son domicile. Le virus de la dengue touche majoritairement les quartiers populaires du Soudan, et les autorités répètent aux habitants de nettoyer et de couvrir leurs réservoirs d’eau ainsi qu’à s’abriter autant que possible derrière une moustiquaire pour éviter la prolifération des moustiques porteurs du virus de la dengue.

Épaulé par l’OMS, le ministère de la Santé investit donc les chaînes de télévision, les antennes de radio et les murs publics pour diffuser des messages de prévention. Les principales recommandations consistent à nettoyer et à couvrir les réservoirs d’eau ainsi qu’à s’abriter autant que possible derrière une moustiquaire.

Mais ces consignes peinent à être appliquées. À l’hôpital d’Omdurman, l’équipe médicale tente de convaincre Amani Hassan de s’y plier. La quinquagénaire, assise à côté de son lit, assure qu’elle dormira ce soir sous sa moustiquaire. « Un moustique Aedes attaque pendant la journée », lui répète, pour la énième fois, la médecin Asma Saad. L’insecte peut ensuite transporter le virus d’un individu malade à une personne saine.

Les dérèglements météorologiques pointés

Les changements climatiques pourraient en partie expliquer l’implantation de ce nuisible à Khartoum.

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Vue aérienne de la ville de Khartoum, en septembre 2020, alors aux prises avec des inondations liées au débordement du Nil, qui entoure la capitale soudanaise

Depuis dix ans, les précipitations qui rafraîchissent généralement ce territoire aride entre juin et octobre sont devenues de plus en plus irrégulières. « En cas de manque de pluie, les moustiques peuvent migrer vers une autre zone. Tandis que de fortes précipitations concentrées sur une aire peuvent engendrer le développement d’espèces de moustiques jusque-là absentes », résume Adil Ismail, à la fois membre du comité technique pour le contrôle des urgences et des épidémies du ministère fédéral de la Santé et président de l’ONG Elebdaa Forum for Culture and Science.

Ce microbiologiste craint que les autorités échouent à endiguer l’épidémie avant les prochaines pluies. Le virus risquerait alors de se propager à l’ensemble des 18 États, menaçant de faire chavirer un système de santé proche de l’agonie.