Au lendemain de l’une des pires attaques dans l’histoire du pays, Israël panse ses plaies dans un climat de psychose. Les soldats de Tsahal se massent à la frontière de Gaza et attendent l’ordre d’assaut.

(Sdérot et Ofakim ) Une voix métallique emplit le ciel de la ville israélienne de Sdérot, située à moins de deux kilomètres de la bande de Gaza. « Aux abris, aux abris ! », supplie l’alarme. Sur l’avenue Abragil, un couple et ses cinq enfants se ruent hors de leur véhicule pour se mettre à couvert. Seule une maigre haie sépare la route d’un terrain vague.

D’un réflexe désespéré, le père plaque sa progéniture sur le trottoir et la recouvre de son corps. Plusieurs roquettes sifflent dans l’air et s’écrasent aux alentours dans un fracas assourdissant. Indemne, la famille se relève et court en direction d’un abri antiaérien situé de l’autre côté de la chaussée.

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À peine réfugiés dans le cube de béton, les enfants éclatent en sanglots. L’un d’eux s’est ouvert le crâne en se jetant à terre. La cadette est prise de tremblements incontrôlables.

« On a passé la nuit terrés dans notre appartement en espérant que cet enfer cesse, mais il semble que ce soit parti pour durer. On évacue la ville », gémit la mère. Un calme précaire retombe sur la ville. La famille remonte en voiture et disparaît dans un crissement de pneus.

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Une famille fuyant Sdérot a trouvé refuge dans un abri antiaérien.

Vingt-quatre heures après le déclenchement de l’offensive surprise du Hamas, Sdérot porte les stigmates d’un véritable carnage. Dans le centre-ville, des dizaines de voitures criblées de balles gisent au milieu de la chaussée. Devant un arrêt de bus, des essaims de mouches dévorent d’immenses flaques de sang séché. Une giclée d’impacts de balles macule le mobilier urbain alentour.

La veille, à l’aube, une demi-douzaine de civils auraient été fauchés là par les assaillants palestiniens. Un peu plus loin, une roquette s’est écrasée en plein milieu d’un lotissement résidentiel. Un arbre soufflé par l’explosion s’est écroulé sur une voiture.

« Ça s’est produit tôt ce matin, les terroristes ont continué à nous bombarder toute la nuit », explique Isaac, un riverain venu constater les dégâts. À ses côtés, Nissim Abitbol, un voisin de 88 ans. « Je priais à la synagogue lorsque le Hamas a déclenché son opération. Je me suis précipité chez moi pour retrouver ma femme et nous sommes restés cloîtrés toute la journée. Les tirs ont retenti toute la journée, c’était terrifiant », raconte-t-il, l’oreille et la joue marquées de profondes griffures. Prise de panique au début des hostilités, sa femme l’a blessé en l’agrippant trop violemment.

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Nissim Abitbol

Perte de contrôle

Deux nouveaux rugissements retentissent, chacun suivi d’une brève détonation. À une centaine de mètres d’altitude, le système antimissile de l’armée israélienne, surnommé « dôme de fer », mène une lutte acharnée pour intercepter les missiles en provenance de Gaza.

Nimbée d’un épais voile de fumée et de poussière, l’enclave palestinienne paie déjà le prix fort de l’assaut du Hamas, le plus ambitieux de ses 36 ans d’existence. Les bombes de Tsahal (armée israélienne), lâchées par une noria de chasseurs et de drones vrombissant dans les airs, pleuvent sur les vieux immeubles grisâtres de Beit Hanoun, une localité gazaouie située par-delà le mur de séparation jouxtant Sdérot. Selon le Hamas, 413 Palestiniens ont été tués dans la bande de Gaza et 2300 autres ont été blessés.

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Le « dôme de fer » israélien intercepte des roquettes en provenance de la bande de Gaza, au-dessus de Sdérot.

Cachés au milieu de l’épais tissu urbain, les artilleurs du Hamas répliquent à intervalles réguliers par de brèves volées de roquettes. L’une d’entre elles s’écrase sur une butte de terre abritant deux chars israéliens. De violents échanges de mitrailleuse retentissent à proximité du passage frontalier d’Erez, conquis par le Hamas samedi matin. Trois bombes s’écrasent enfin côté israélien du poste de contrôle.

L’État hébreu peine à reprendre le contrôle de son territoire. Au moins 700 de ses citoyens auraient perdu la vie depuis samedi, et près de 2000 autres ont été blessés.

En périphérie de Sdérot, un groupe de soldats inspecte prudemment les ruelles désertes. « On nous a signalé qu’un homme parlant arabe tente de pénétrer dans une maison, alors il faut ratisser la zone », explique le commandant de l’unité, formée d’une majorité de réservistes mobilisés en urgence.

Quatre heures plus tard, Tsahal a demandé aux habitants d’une vingtaine de villes frontalières de Gaza – dont Sdérot – d’évacuer la région. Huit localités israéliennes étaient toujours le théâtre de combats dimanche, pour la plupart situées à l’est de la bande de Gaza.

Parmi les vastes étendues en lisière du désert du Néguev, l’infiltration de combattants du Hamas sème toujours la psychose.

À l’entrée d’Ofakim, une bourgade située à 18 kilomètres de la frontière de Gaza, Ramy, 43 ans, fume une cigarette d’un air inquiet. « Selon les rumeurs, il y aurait toujours deux, trois terroristes terrés dans la ville. C’est incroyable que le Hamas ait réussi à s’enfoncer aussi profondément dans les terres. Israël n’a jamais connu une pareille situation », enrage-t-il.

Riposte imminente

Au fil des rues, les voitures de police sont omniprésentes. Une trentaine de policiers en tenue d’assaut inspectent méthodiquement chaque barre d’immeuble. À leur suite, une équipe de démineurs passent au peigne fin les habitations touchées par les combats. Dans l’une d’elles, une grenade a soufflé le rez-de-chaussée. Les restes de célébration de la fête religieuse de Souccot – un chandelier à sept branches, un pain tressé et un livre de prières – gisent parmi les décombres calcinés du salon.

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Une maison prise pour cible par les assaillants du Hamas, à Ofakim

Avant d’être stoppés dans leur échappée meurtrière, les combattants du Hamas ont suivi à Ofakim le même mode opératoire qu’à Sdérot : massacrer un maximum de civils sans but militaire apparent.

« Les roquettes ont commencé à pleuvoir à 6 h 30 du matin [samedi]. Moins d’une heure plus tard, les terroristes entraient dans notre quartier et ont tiré à l’aveugle sur les quelques badauds. J’étais à la fenêtre. Trois personnes ont été tuées devant mes yeux », raconte Melissa, 26 ans, dont l’appartement a essuyé une rafale de tirs des hommes du Hamas.

« Après ça, ils ont tourné en voiture dans le quartier. La police a mis près de 30 minutes à arriver ! C’est un échec complet de nos forces de sécurité. Nous n’avons rien vu venir. Mais il faut désormais que notre armée aille de l’avant. Elle doit anéantir le Hamas sans causer trop de dégâts collatéraux parmi les civils de Gaza. »

La soif de vengeance de la jeune femme pourrait bientôt être étanchée. Benyamin Nétanyahou a promis samedi de transformer Gaza en « île déserte » en réplique à l’offensive du Hamas tandis que son armée annonçait la mobilisation de dizaines de milliers de réservistes. Ceux-ci affluent déjà vers le sud d’Israël, où les attendent de gigantesques convois d’armes lourdes.

Sur le stationnement d’une station-service située au nord de Sdérot, plusieurs centaines de soldats patientaient dimanche après-midi à l’ombre d’une vingtaine de tanks chargés sur de gigantesques semi-remorques. À leur suite, des camions remplis d’obus côtoyaient plusieurs lance-roquettes multiples Lynx, l’un des fleurons de l’industrie d’armement israélienne. Un hélicoptère d’assaut fonçant vers le sud survole l’ensemble.

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Des chars d’assaut israéliens sont rassemblés près de Shderot en vue d’une invasion terrestre de la bande de Gaza.

« Nous attendons l’ordre pour entrer dans Gaza, ça ne devrait plus tarder. J’espère qu’on va en finir une bonne fois pour toutes avec ces terroristes », s’impatiente Eyat, un jeune soldat posté devant une remorque remplie de munitions. Plusieurs de ses camarades acquiescent.

« Si nous le voulons, nous avons les moyens de ne faire qu’une bouchée du Hamas. Ça va saigner », lâche l’un d’eux. Au loin, portées par le vent chaud d’octobre, les premières détonations de l’artillerie israélienne retentissent à travers la campagne. De longs jours de guerre s’annoncent à Gaza.