Le Royaume-Uni a annoncé jeudi un projet controversé d’envoi au Rwanda des demandeurs d’asile arrivés clandestinement par la Manche, politique aussitôt dénoncée par l’ONU et qualifiée d’« irréaliste » et « extrêmement coûteuse » par ses critiques.

Direction Rwanda

Ayant promis de freiner l’arrivée de migrants par la Manche, qui a triplé en 2021, le premier ministre du Royaume-Uni, Boris Johnson, a annoncé son plan jeudi : envoyer au Rwanda les personnes arrivées clandestinement sur le sol britannique.

PHOTO MATT DUNHAM, AGENCE FRANCE-PRESSE

Boris Johnson, premier ministre du Royaume-Uni

À partir d’aujourd’hui […] toute personne entrant illégalement au Royaume-Uni ainsi que celles qui sont arrivées illégalement depuis le 1er janvier pourront être envoyées au Rwanda.

Boris Johnson, premier ministre du Royaume-Uni

Le Rwanda pourra accueillir « des dizaines de milliers de personnes dans les années à venir », a-t-il ajouté, décrivant ce pays d’Afrique de l’Est comme l’un des « plus sûrs au monde, mondialement reconnu pour son bilan d’accueil et d’intégration des migrants ».

Changer l’actualité

Sitôt annoncée, la mesure a vivement fait réagir. Le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) a fait part jeudi de sa « forte opposition » au projet britannique. « Les personnes fuyant la guerre, les conflits et les persécutions méritent compassion et empathie, a déclaré dans un communiqué Gillian Triggs, haute-commissaire assistante du HCR responsable de la protection internationale. Elles ne devraient pas être échangées comme des marchandises et transférées à l’étranger pour être traitées. » Selon l’avocat spécialisé en immigration Stéphane Handfield, un tel programme ne tient pas la route. « C’est tourner le dos aux conventions de Genève, c’est contre le droit international, dit-il. Même les États-Unis sous Trump n’ont pas fait ça. » Selon les critiques du programme, il en coûterait jusqu’à 1,4 milliard de livres (2,3 milliards de dollars canadiens) par année pour faire fonctionner ce programme.

« Inhumain »

« Le projet du gouvernement britannique d’envoyer les demandeurs d’asile et les réfugiés au Rwanda est cruel et inhumain, a dénoncé Mark Drakeford, premier ministre du pays de Galles et membre du Parti travailliste. Ce n’est pas une façon de traiter les personnes qui cherchent la sécurité », a-t-il écrit sur Twitter, ajoutant qu’il s’agissait d’une « distraction cynique » pour changer l’actualité, alors que l’on s’intéresse aux fêtes tenues illégalement par Boris Johnson et les membres de son parti durant le confinement dû à la pandémie de COVID-19. L’auteur et chroniqueur Paul Mason a écrit : « Le projet d’expulsion au Rwanda est inhumain et illégal. […] Premier coup de semonce d’une campagne électorale en 2023 : dernier coup de dés pour mobiliser la base raciste âgée des Tories alors que l’inflation les affame. »

Ressentir la souffrance

Selon France-Isabelle Langlois, directrice générale d’Amnistie internationale Canada francophone, cette annonce ne fera qu’aggraver les choses. « C’est prendre les êtres humains pour des marchandises que l’on peut déplacer comme on veut. On ne les traite pas comme des gens qui ont des sentiments, qui peuvent ressentir la souffrance, qui ont un besoin de protection. Surtout que le Rwanda n’est pas un champion du monde pour ce qui est de la protection des droits humains. » Au Royaume-Uni, Amnistie internationale a appelé le gouvernement Johnson à revoir sa politique d’immigration. « Le Royaume-Uni admet beaucoup moins de réfugiés que ses voisins européens. Nous devons consacrer nos efforts à mieux faire fonctionner notre système d’immigration », a dit l’organisation.

Sur les traces du Danemark et de l’Australie

Le Royaume-Uni n’est pas le premier pays occidental à vouloir « sous-traiter » le traitement des demandeurs d’asile à un pays tiers. L’an dernier, le Danemark a adopté une loi qui permet au gouvernement d’envoyer les demandeurs d’asile dans des pays situés à l’extérieur de l’Europe. « Si vous demandez l’asile au Danemark, vous savez que vous serez renvoyé dans un pays hors d’Europe, et nous espérons donc que les gens cesseront de demander l’asile au Danemark », avait déclaré un porte-parole du gouvernement danois lors de l’adoption de la loi, qui n’a toutefois pas encore mené à une entente avec des pays tiers qui auraient accueilli les demandeurs. En 2014, l’Australie avait signé un accord controversé avec le Cambodge afin d’y envoyer des demandeurs d’asile. Décriée de toutes parts, l’entente avait pris fin en 2018 sans être renouvelée.

Avec l’Agence France-Presse

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  • 28 500
    C’est le nombre de personnes qui ont effectué une traversée de la Manche pour demander l’asile au Royaume-Uni en 2021. Elles étaient 8466 à l’avoir fait en 2020, et 299 en 2018.
    SOURCE : ministère de l’Intérieur du Royaume-Uni