Depuis 30 jours, 15 000 soldats pakistanais essaient tant bien que mal de déloger 5000 militants talibans du nord du Pakistan. Les combats font des ravages dans la région et déjà, 1,5 million de personnes ont dû fuir. Mais dans tout ce branle-bas de combat, l'armée a trouvé un appui inespéré: la population civile.

«Les talibans ne sont pas nos amis, nos alliés. Ce sont des ennemis, des bandits, des malfaiteurs.»

 

La citation, relayée par la BBC, ne provient pas d'un soldat pakistanais armé jusqu'aux dents. C'est plutôt l'indignation d'un paysan pakistanais qui laissent exploser son exaspération à l'égard des talibans qui dominent la région qu'il habite, Buner.

«J'ai enterré de mes propres mains au moins huit personnes que les talibans ont décapitées. Il y avait des enfants là-dedans», continue l'homme qui, pendant toute l'entrevue qu'il accorde au média étranger, demande de garder l'anonymat.

Des témoignages de ras-le-bol du genre, les journalistes qui travaillent dans le nord du Pakistan et dans les camps de réfugiés en recueillent à la pelle. Les civils dénoncent les exécutions arbitraires, les meurtres de policiers, les flagellations publiques, les taxes perçues par les islamistes pachtounes. Ils demandent au gouvernement pakistanais de tout faire pour venir à bout du mouvement djihadiste.

Hors de la zone de confort

Pour donner un coup de main aux autorités, des civils ouvrent leurs maisons à des parents obligés de fuir la zone de conflit. À ce jour, ils sont plus de 1,5 million à avoir connu ce sort, selon les Nations unies, qui qualifient la situation de «plus importante crise de réfugiés depuis le génocide du Rwanda».

Grand spécialiste de l'Asie centrale, Olivier Roy croit que cette nouvelle opposition populaire aux talibans était prévisible. «Depuis 20 ans, les talibans du Pakistan luttaient pour établir la charia (loi islamique) dans les zones tribales où les gens sont de la même ethnie qu'eux. Mais là, ils ont changé leur politique en essayant d'étendre leur influence à d'autres zones, comme Buner. Dans ces régions, ils sont vus comme des envahisseurs», note le politologue, joint à l'Université de Californie à Berkeley hier.

Un appui fragile

Un des journaux principaux du Pakistan, le Daily Times, dans un éditorial publié cette semaine, met cependant en garde le gouvernement d'Islamabad contre la volatilité de cet appui populaire. Si les civils qui sont redirigés vers les camps de réfugiés, bâtis à la va-vite, y sont gardés dans la misère, les talibans gagneront vite leur coeur et, du coup, la guerre, plaide le quotidien.

Habitués au climat frais des montagnes, des centaines de milliers de personnes sont actuellement entassées dans les camps de Mardan et de Swabi. Il y règne une chaleur étouffante. On y rapporte aussi de graves pénuries d'eau.

L'argument avancé par le Daily Times était aussi celui du gouvernement pakistanais, hier, lors d'une réunion avec des pays donateurs à laquelle le Canada a participé. «Le Pakistan se bat pour sa survie», a plaidé le premier ministre du pays, Yousuf Raza Gilani. Cette rencontre a permis aux autorités pakistanaises d'amasser une cagnotte de 224 millions de dollars américains. Certains de ces montants avaient déjà fait l'objet d'une annonce au cours de la dernière semaine. Les États-Unis ont notamment promis l'infusion de 110 millions. Le Canada a pour sa part promis 5 millions de dollars canadiens additionnels, alloués à la Croix-Rouge et au Programme alimentaire mondial.

Il reste à voir l'efficacité avec laquelle l'aide humanitaire sera redistribuée parmi les populations déracinées. Déjà, le gouvernement pakistanais est critiqué parce qu'il n'a pas prévu en aval l'afflux de centaines de milliers de réfugiés en entreprenant sa grande campagne militaire dans le nord du pays. Un manque de calcul qui réjouit fort probablement les talibans.