Le dioxyde de carbone (CO2) émis par les activités industrielles ne s'accumule pas seulement dans l'atmosphère, mais aussi dans les océans. Ces derniers deviennent plus acides, ce qui suscite la dissolution de la carapace des crustacés et de certains sédiments. Des chercheurs de l'Université McGill ont déterminé les régions où le phénomène est le plus important.

Quand le CO2 se dissout dans les mers, il les rend plus acides. En réaction, la calcite (CaCO3) présente dans les sédiments des fonds marins, provenant de plancton et d'animaux morts, ainsi que la calcite de la carapace des crustacés et des coraux se dissolvent pour rétablir l'équilibre du pH. En se dissolvant, la calcite rend les mers plus basiques, moins acides.

La carte élaborée par Olivier Sulpis et ses collègues, les auteurs de l'étude publiée à la fin du mois d'octobre dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS), montre les endroits où la dissolution de la calcite à cause des émissions de CO2 de l'humanité est la plus importante. Ce sont des endroits où les fonds marins sont moins profonds, comme dans le nord de l'Atlantique et à l'est de l'Afrique, et où il y a plus de brassage entre les eaux de surface et celles des profondeurs, normalement séparées par des barrières de température.

Quelques observations probantes

«Quelques études ont déjà observé cette dissolution accrue de la calcite», explique M. Sulpis, qui a étudié la question durant son doctorat en chimie à l'Université McGill. «Mais personne n'avait modélisé où exactement l'effet serait plus important, à partir des bases de données sur les sédiments des fonds marins. Nos calculs concordent avec les données sur le terrain.»

Des impacts qui restent à définir

L'impact de cette dissolution de la calcite sur les espèces des fonds marins est très difficile à évaluer, parce qu'elles sont mal connues.

«Il y a beaucoup d'expériences en surface, dit M. Sulpis. Le blanchiment corallien est assez médiatisé, mais il n'est pas seulement lié à l'acidification des mers, aussi au changement de température et un peu à la pollution. Il faut aussi tenir compte des organismes des eaux de surface qui font de la photosynthèse et profitent quant à eux de la quantité plus grande de CO2. Mais les gros vers de terre et les organismes à coquille des abysses sont une grande inconnue, on peut difficilement les ramener en surface pour les étudier.»

Quelle est leur fonction? «Je n'ai pas envie de dire qu'ils sont inutiles, mais ils sont certainement moins importants que ceux des fonds marins moins profonds. Le plancton de surface produit énormément d'oxygène. Les vers dans les fonds marins mangent des roches et les mélangent, ce qui accélère les réactions chimiques, notamment la dissolution du CaCO3. On appelle cela de la bioturbation.»

Il y a 56 millions d'années

Le chimiste de McGill a comparé l'acidification actuelle des océans à celle qui est survenue voilà 56 millions d'années, attribuable à une série de grandes éruptions volcaniques et de déstabilisation de poches de gaz sous-marines.

«C'est l'événement qui y ressemble le plus, dit M. Sulpis. En termes de magnitude, c'est comme si on brûlait tout le pétrole et le gaz de la Terre. Mais l'acidification actuellement est de 15 à 20 fois plus rapide. Voilà 56 millions d'années, il a fallu 100 000 ans pour que la température moyenne de la planète augmente de cinq degrés Celsius. Si on ne fait rien, on aura une augmentation de cinq degrés d'ici un siècle.»

L'événement d'il y a 56 millions d'années, appelé maximum thermique du Paléocène-Éocène, a provoqué l'extinction de 30% à 40% des espèces vivant dans les fonds marins.