Des experts s'inquiètent de voir Équiterre alarmer la population au sujet de la présence d'atrazine dans l'eau du robinet. Ils estiment néanmoins que ce pesticide doit être banni, mais plutôt pour ses conséquences sur les écosystèmes marins.

L'organisation écologiste a dénoncé la semaine dernière la présence d'atrazine dans l'eau du robinet de Montréal et de Toronto, au moment où Santé Canada réévalue l'homologation de ce produit. Les analyses commandées par Équiterre ont démontré des concentrations inférieures aux normes canadiennes et québécoises, mais supérieures à celles de l'Union européenne, où cet herbicide est interdit depuis 2003.

Selon Julie Brodeur, toxicologue à la Direction régionale de santé publique de Montréal, les concentrations d'atrazine sont si faibles qu'on peut presque affirmer qu'il n'y en a pas dans l'eau du robinet des Montréalais. « Dans l'île de Montréal, les concentrations mesurées par les laboratoires accrédités sont en dessous de 0,1 microgramme par litre. C'est donc sous la recommandation canadienne de 5 microgrammes par litre et sous la norme provinciale de 3,5 microgrammes par litre », souligne Mme Brodeur.

« L'eau de Montréal, moi, je continue de la boire », affirme d'entrée de jeu Benoit Barbeau, professeur à Polytechnique Montréal et titulaire principal de la Chaire de recherche industrielle CRSNG en eau potable. Il signale que les normes québécoises pour l'eau potable sont parmi les plus sévères au monde.

Cependant, comme Équiterre, l'expert s'inquiète lui aussi de la présence d'atrazine dans le fleuve Saint-Laurent, mais pas pour les mêmes raisons.

« J'ai compris que l'objectif d'Équiterre est de faire pression [sur Santé Canada] à des fins politiques, parce qu'ils veulent faire bannir l'atrazine », analyse M. Barbeau.

« Moi aussi, j'aimerais quand même qu'il y ait moins d'atrazine, parce que ce pesticide a des effets sur les écosystèmes. C'est là le principal combat. Mais quand on parle des impacts sur les batraciens, cela a moins d'impacts sur la place publique. »

- Benoit Barbeau, titulaire principal de la Chaire de recherche industrielle CRSNG en eau potable

Ce sont d'ailleurs les principales conclusions de Sébastien Sauvé, professeur de chimie environnementale à l'Université de Montréal. C'est son équipe qui a fait les analyses de l'eau du robinet de Montréal à la demande d'Équiterre.

DES IMPACTS NETS SUR LA FAUNE

Dans une lettre publiée aujourd'hui dans la section Débats de La Presse, le professeur Sauvé explique que « la littérature scientifique est assez claire sur les impacts de l'atrazine sur la faune aquatique, plus particulièrement les amphibiens. [...] Les pics de concentrations qu'on observe dans l'eau du fleuve ainsi que les cours d'eau en milieu agricole pourraient causer des problèmes pour la faune aquatique. Par contre, la littérature scientifique est plus floue sur les impacts sur la santé humaine ».

Des études ont notamment démontré des conséquences troublantes pour certaines espèces de grenouilles. Des batraciens mâles exposés à l'atrazine pouvaient se transformer en femelles ou encore devenir stériles.

Dans sa lettre, M. Sauvé signale que la concentration d'atrazine « demeure relativement élevée » dans le Saint-Laurent. Il ajoute que le traitement de l'eau potable en enlève environ la moitié, « la concentration d'atrazine qu'on a mesurée dans l'eau du robinet signifie qu'il y en a environ le double dans le fleuve ».

L'approche européenne est à l'opposé de celles adoptées en Amérique du Nord, basées sur des analyses du risque. En Europe, le critère principal est le principe de précaution, ce qui signifie que les normes sont établies avec les concentrations les plus faibles possible.

Selon Équiterre, Santé Canada devrait tenir compte davantage du principe de précaution au moment d'homologuer un pesticide comme l'atrazine.