«Il y a de moins en moins de visiteurs ici», constate jeudi avec amertume Xiao Yan, une Chinoise offrant ses services de guide touristique place Tiananmen, tandis que Pékin subit un nouveau pic redoutable de pollution atmosphérique.

«Il faut dire que sur l'internet on parle sans cesse de l'air irrespirable», poursuit-elle devant l'entrée de la Cité interdite, enveloppée dans un épais brouillard.

La pollution oblige des véhicules à rouler les phares allumés en plein jour sur l'avenue de la Paix éternelle, une artère qui coupe Pékin sur une trentaine de kilomètres.

Le Mausolée où repose Mao, imposant cube de béton au centre de la place, semble perdu dans la brume. Et, au sud du quadrilatère, la massive porte Qianmen érigée au début du XVe siècle est carrément invisible.

La densité de particules de 2,5 microns de diamètre (PM 2,5), les plus nocives, a atteint dans la nuit à Pékin le seuil de 671 microgrammes par mètre cube, selon l'ambassade américaine.

Ce niveau est 27 fois plus élevé que le plafond préconisé par l'Organisation mondiale de la santé (OMS) pour une exposition de 24 heures. De telles situations sont désormais surnommées «airpocalypses» en Chine.

Place Tiananmen, devant le célèbre portrait du Grand Timonier, les touristes enlèvent leur masque filtrant le temps d'une photo. Le sourire est de mise pour conjurer l'atmosphère crépusculaire.

«Je n'ai jamais connu un truc pareil», s'exclame Richard Deutsch, un Américain de 59 ans qui profite d'une pause dans son voyage d'affaires pour faire un saut à la Cité interdite.

Il explique avoir senti l'odeur caractéristique du charbon brûlé en descendant plus tôt dans le hall de son hôtel, où un employé lui a remis un masque.

En ce mois de janvier où il gèle à Pékin, les centrales thermiques tournent à plein régime à l'intérieur et à l'extérieur de la mégalopole. La Chine consomme la moitié du charbon dans le monde et en tire plus de 70 % de son énergie.

Cette semaine, le quotidien China Daily a rapporté une chute de plus de 10 % du nombre de touristes dans la capitale au cours des onze premiers mois de 2013. Une baisse s'expliquant notamment par la dégradation de l'air.

En voyant le ciel plombé à leur réveil, des parents ont décidé de ne pas envoyer en classe leur enfant. Tous les établissements n'ont pas les moyens de l'École internationale de Pékin, qui s'est dotée de deux dômes gonflables géants sous lesquels l'air est purifié.

«Je suis désolé pour tous ces gens. Car ils voient se réduire de plusieurs années leur espérance de vie», confie M. Deutsch.

«Aux États-Unis la population n'accepterait jamais cela. Mais ici on dirait que cela passe», ajoute cet habitant du Vermont, «l'État des montagnes vertes» réputé pour sa faible urbanisation.

La pollution atmosphérique est pourtant devenu l'un des principaux sujets de mécontentement des Chinois, lassés de suffoquer et d'assister à l'explosion des cancers du poumon dans les zones urbaines.

Les médias officiels se gardent de leur côté d'émettre des mises en garde trop alarmistes. Les autorités chargées de l'environnement ont cependant publié jeudi sur leur compte de microblogues des messages appelant à éviter autant que possible les activités en plein air, notamment pour les enfants, les personnes âgées et celles souffrant de problèmes cardio-pulmonaires.

Le maire de Pékin, Wang Anshun, a lui appelé à une «mobilisation tous azimuts» contre la pollution, dans une déclaration à l'agence Chine nouvelle. Il a notamment promis la restructuration d'environ 300 industries et l'élimination des chaudières à charbon dans le périmètre du cinquième périphérique de la métropole.

Rencontré place Tiananmen, Gerald Meissner est un professeur de violon allemand marié à une Chinoise. Pour leur première visite ensemble à Pékin, le couple confie ne pas avoir emmené leur enfant. «L'air est trop mauvais pour les bébés, même pour une courte durée», dit-il.

«J'espère que le gouvernement va fermer les usines les plus polluantes», glisse son épouse Ma Di.

Les autorités chinoises font régulièrement des promesses dans ce sens, mais continuent à s'équiper en sources d'énergie principalement polluantes. Selon Greenpeace, 570 centrales à charbon sont actuellement programmées ou en construction en Chine.

Jeudi à 20 h la pollution de l'air à Pékin conservait un niveau «dangereux» selon l'ambassade américaine, avec une concentration de particules PM 2,5 de 437, soit 17 fois le plafond fixé par l'OMS.