L'exploitation du gaz de schiste va noircir le bilan environnemental du Québec et la province n'en retirera pas des avantages financiers suffisants pour compenser l'ensemble de ses coûts, conclut le Bureau des audiences publiques sur l'environnement (BAPE) dans un rapport rendu public hier.

«Il n'est pas démontré que l'exploration et l'exploitation du gaz de schiste dans les basses terres du Saint-Laurent avec la technique de fracturation hydraulique serait avantageuse pour le Québec», peut-on lire en conclusion du rapport.

Les forages dans le sud du Québec entraîneront une série de conséquences environnementales, constatent les commissaires. Ils craignent la détérioration de la qualité de l'air, l'augmentation du bruit et de la circulation routière ainsi que la pollution des eaux de surface et souterraines.

L'industrie pourrait également provoquer une hausse des émissions de gaz à effet de serre (GES) de la province de 3% à 23% selon l'ampleur de son développement. Cela n'empêcherait pas le Québec de respecter ses engagements internationaux en matière de changements climatiques, précise le BAPE. En effet, les entreprises gazières devraient adhérer au système de plafonnement et d'échange de droits d'émissions en vigueur dans la province.

Acceptabilité sociale

Les commissaires prennent acte de la profonde réticence de la population par rapport à cette industrie. Les forages auraient lieu en pleine vallée du Saint-Laurent, dans la partie la plus densément peuplée du Québec.

«La commission d'enquête a constaté que l'acceptabilité sociale de l'exploration du gaz de schiste, condition essentielle pour aller de l'avant, selon le gouvernement, la majorité des intervenants en audiences publiques et les entreprises gazières elles-mêmes, était loin d'être acquise», note le BAPE.

Québec toucherait des redevances de l'exploitation du gaz de schiste. Mais vu le cours actuel et projeté de cette ressource, ces retombées seraient insuffisantes «pour compenser les coûts et les externalités pour la société et l'environnement ou pour assurer la rentabilité de l'industrie».

Prudence à Québec

Le gouvernement Couillard a accueilli avec prudence le rapport. Dans une déclaration écrite, le ministre de l'Environnement, David Heurtel, s'est dit conscient «des inquiétudes et des préoccupations de la population» par rapport au gaz de schiste.

Québec avait annoncé en mai la tenue d'une étude environnementale stratégique sur l'ensemble de la filière des hydrocarbures. Les conclusions du BAPE alimenteront cette nouvelle étude, a indiqué le ministre Heurtel hier.

Pour l'opposition, Québec doit aller plus loin. Le député du Parti québécois Sylvain Gaudreault affirme que le gouvernement Couillard doit fermer la porte une fois pour toutes à l'exploitation du gaz de schiste.

«S'il ne nous dit pas ça, ce sera une preuve supplémentaire que le gouvernement veut enfoncer le gaz de schiste dans la gorge des citoyens», a indiqué le député.

L'Association québécoise de lutte contre la pollution atmosphérique (AQLPA) abonde dans le même sens. Son président, André Bélisle, estime que les conclusions du BAPE sont toutes aussi valides pour la filière du pétrole de schiste, que Québec songe à développer dans l'île d'Anticosti.

«Partout où il y a de la fracturation hydraulique, il y a des problèmes de qualité de l'air importants, il y a des empoisonnements des nappes phréatiques, a souligné M. Bélisle. Avec tout cela, mis ensemble, le jeu n'en vaut pas la chandelle pour le Québec.»

L'Association pétrolière et gazière du Québec (APGQ) a pour sa part plaidé pour la mise en place d'un projet-pilote qui permettrait de démontrer la capacité des producteurs à minimiser les impacts sur l'environnement. L'organisme se montre toutefois fort critique des conclusions du BAPE sur les retombées économiques de l'industrie.

«Pour l'évaluation des impacts économiques, nous ne reconnaissons pas au BAPE l'expertise de procéder à des conclusions aussi hâtives, a indiqué l'Association dans une déclaration écrite. L'APGQ considère que la production du gaz naturel ici même au Québec a des avantages certains pour les communautés locales de même que pour l'approvisionnement général de la province.»

Rappel des faits

1998

Forage au Texas du premier puits de gaz de schiste avec les technologies de la fracturation hydraulique et du forage horizontal.

2005

La production de gaz naturel aux États-Unis commence à augmenter, alors qu'elle était en baisse depuis 1970.

Avril 2008

Le titre de la société gazière québécoise Junex explose en Bourse quand son partenaire américain Forest Oil annonce avoir ciblé un potentiel de 40 milliards dans la vallée du Saint-Laurent.

Automne 2009

Avec les forages exploratoires qui se multiplient, les écologistes et les citoyens commencent à prendre conscience de la venue possible de l'industrie au Québec, avec ses conséquences possibles en l'absence de réglementation.

Printemps 2010

L'opposition s'intensifie, en particulier en Montérégie, alors que des MRC demandent un moratoire sur les forages, comme vient de le décréter l'État de New York.

29 août 2010

Le ministre libéral de l'Environnement Pierre Arcand annonce que le BAPE se penchera sur le «développement durable de l'industrie des gaz de schiste au Québec».

Mars 2011

Le BAPE conclut qu'il y a trop d'incertitudes sur les impacts de l'industrie. Le gouvernement Charest lance une évaluation environnementale stratégique (EES) pour réduire ces incertitudes.

Septembre 2012

La ministre péquiste des Ressources naturelles, Martine Ouellet, fraîchement élue, émet des doutes sur l'avenir de l'industrie du gaz de schiste au Québec.

Octobre 2012

Talisman Energy fait une croix sur tous ses investissements au Québec, en radiant 109 millions d'actifs.

Mai 2013

Le gouvernement péquiste annonce un moratoire sur les forages.

Février 2014

Le rapport de l'EES estime que le contexte économique est défavorable au développement de l'industrie. Un nouveau BAPE est déclenché.

- Charles Côté

Les environnementalistes crient victoire

Les groupes environnementaux expriment leur satisfaction à l'égard des conclusions du Bureau d'audiences publiques sur l'environnement (BAPE) relativement aux enjeux liés à l'exploration et l'exploitation du gaz de schiste dans les Basses-Terres du Saint-Laurent. 

«C'est une victoire citoyenne, des groupes environnementaux et des scientifiques sur les gazières. Le rapport du BAPE ferme la porte sur l'exploitation des gaz de schiste au Québec. Il est très clair et sans équivoque à ce sujet», a indiqué Patrick Bonin, de Greenpeace Canada

«La preuve est maintenant faite que le développement d'une filière au Québec ne serait pas avantageux: les bénéfices que la société en retirerait (emplois, redevances, etc.) seraient bien inférieurs aux nombreux coûts engendrés (investissements publics, infrastructures, coûts environnementaux, impacts sur les autres activités économiques, émission de GES, etc.)», a fait savoir, par voie de communiqué, Guy Lessard, président du Conseil régional de l'environnement Chaudière-Appalaches et responsable du comité développement durable du Regroupement national des conseils régionaux de l'environnement (RNCREQ).

- André Dubuc