Juste avant Noël l'an dernier, une vidéo d'un ours polaire émacié dans l'Arctique canadien avait fait le tour de la planète. La vidéo a été vue plus de 2,5 milliards de fois. La photographe qui a filmé cet ours affamé vient de publier un essai où elle regrette d'avoir « perdu le contrôle du message » véhiculé par la vidéo, souvent présentée comme une conséquence directe du réchauffement de la planète. Erronément. Nos explications.

LA VIDÉO

Dans un essai publié fin juillet dans le National Geographic, la photographe Cristina Mittermeier explique que son collègue Paul Nicklen avait vu l'ours polaire à l'automne 2016, dans l'île Somerset, au Nunavut. Il avait alors demandé à Mme Mittermeier de mettre sur pied une expédition de son organisme SeaLegacy, qui vise à protéger les océans, notamment en exposant les conséquences des changements climatiques.

La photographe mexicaine et son collègue canadien, qui tournait la vidéo, ont retrouvé l'ours polaire à l'automne 2017. Certains membres de l'expédition se sont mis à pleurer en voyant à quel point l'ours était en mauvais état, se souvient Mme Mittermeier. Après avoir cherché en vain de quoi se mettre sous la dent dans un baril vide, l'ours est entré dans l'eau et s'est éloigné.

LA LÉGENDE

Paul Nicklen a mis la vidéo sur Instagram avec comme titre « Voici de quoi a l'air la famine », en précisant que des études montraient que l'ours polaire disparaîtrait de la planète d'ici un siècle à cause des changements climatiques. National Geographic a repris la vidéo, qui est devenue virale, en changeant le titre : « Voici de quoi ont l'air les changements climatiques. » « Nous sommes devenus un autre exemple d'exagération environnementaliste », explique Mme Mittermeier dans son récent essai (ni elle ni M. Nicklen n'étaient disponibles pour une entrevue parce qu'ils préparent une autre expédition).

« Nous avons peut-être fait une erreur en ne racontant pas l'histoire au complet - que nous cherchions une image illustrant l'avenir de la planète, mais que nous ne savions pas ce qui était arrivé à cet ours polaire pour qu'il soit aussi maigre. Je ne peux pas dire que cet ours était affamé à cause des changements climatiques, mais je sais que les ours polaires ont besoin de la banquise pour chasser et que le réchauffement rapide en Arctique la fait disparaître pour des périodes de plus en plus longues, d'année en année. » National Geographic a modifié en catimini la légende de la vidéo de M. Nicklen en juin dernier, précisant « être allé trop loin en établissant une connexion définitive entre les changements climatiques et cet ours polaire en train de mourir de faim ».

INUITS ET CLIMATOSCEPTIQUES

L'erreur de National Geographic est de ne pas avoir expliqué le contexte général du réchauffement en Arctique, selon Farrah Khan, responsable torontoise du dossier climatique à Greenpeace Canada. « On aurait dû préciser qu'on ne peut pas parler spécifiquement de cet ours polaire comme d'une victime du réchauffement de la planète, mais plutôt des études qui prévoient que les ours polaires auront de la difficulté à chasser sans banquise », dit Mme Khan.

« On aurait aussi pu évoquer le témoignage des chasseurs et pêcheurs inuits, qui rapportent que la "vieille glace", présente toute l'année sur la mer, est en voie de disparition. » L'affaire a-t-elle apporté des munitions aux climatosceptiques ? « Je n'ai rien vu spécifiquement sur cette vidéo, mais il est certain qu'elle peut être utilisée de cette façon », dit Mme Khan.