Vivement critiqué aux États-Unis pour le déversement de près de cinq milliards de litres d'eaux usées dans le Saint-Laurent l'automne dernier, Montréal s'oppose à son tour au projet d'une ville américaine souhaitant puiser son eau potable dans les Grands Lacs.

La métropole se joint à un groupe de municipalités québécoises montant au front pour empêcher une ville du Wisconsin de puiser son eau dans le lac Michigan. Montréal, Québec, Salaberry-de-Valleyfield et Sorel-Tracy pressent le gouvernement Couillard de s'opposer au projet controversé de Waukesha en vertu d'une entente avec l'Ontario et huit États américains.

Situé en banlieue de Milwaukee, Waukesha souhaite bâtir une canalisation jusqu'au lac Michigan, à une vingtaine de kilomètres de son territoire, pour approvisionner ses 70 000 habitants en eau potable, sa source actuelle étant contaminée.

Même si la ville est située à 1500 kilomètres du Québec, le projet est suivi de près ici parce que c'est la première fois qu'une administration demande de déroger à un traité qui interdit le détournement de l'eau des Grands Lacs.

Lundi, les élus du conseil municipal de Montréal seront appelés à voter une «déclaration d'opposition à la demande de transfert d'eau de la Ville de Waukesha». «La question de Waukesha concerne les bassins versants et doit être traitée comme telle. Un pacte a été signé en 2005 par tous les États américains concernés et les provinces de l'Ontario et du Québec», explique Andrée-Anne Toussaint, porte-parole au cabinet du maire Coderre.

Projet Montréal dit appuyer l'opposition du maire Coderre. «Le Midwest a soif, et s'il se met à pomper dans les Grands Lacs, ça peut devenir problématique, explique le conseiller municipal Sylvain Ouellet. Il faudrait en pomper beaucoup pour affecter nos prises d'eau, mais ça pourrait faire baisser le niveau du fleuve et compromettre la compétitivité du Port de Montréal.»

L'opposition à l'hôtel de ville de Montréal se questionne par contre sur la crédibilité environnementale de son administration depuis l'épisode du déversement, l'automne dernier. Celui-ci avait été durement décrié aux États-Unis, tant par des élus que par des personnalités publiques américaines. «Ça fait drôle de voir le maire faire la morale après le flushgate, dit Sylvain Ouellet. Quand la Communauté métropolitaine de Montréal s'est opposée à l'oléoduc Énergie Est, la réaction dans l'Ouest a été immédiate [et on s'est fait] dire qu'on n'avait plus aucune crédibilité environnementale.»

L'administration Coderre ne voit toutefois pas en quoi le déversement lui enlève de la crédibilité. «Le déversement de novembre 2015 était une mesure exceptionnelle dans un continuum d'actions prises par Montréal justement pour protéger notre fleuve. On voit très mal comment cet événement, que la science appuyait, peut nous disqualifier par rapport à la résolution concernant le détournement des eaux des Grands Lacs», soutient Andrée-Anne Toussaint, porte-parole du cabinet du maire Coderre.

Inquiétude ailleurs au Québec

Le projet de Waukesha inquiète le maire de Sorel-Tracy, Serge Péloquin. «Si on donne le feu vert, ce sera le début de différents projets, qui ont été mis en veille, d'envoyer l'eau des Grands Lacs vers le Sud», a-t-il indiqué en entrevue à La Presse.

Au début de février, la municipalité a été la première au Québec à adopter une résolution pour exhorter les provinces et les États américains à s'opposer au projet.

Le maire Péloquin a écrit une lettre à Philippe Couillard pour lui demander de prendre position. Il espère que le premier ministre sera conséquent avec le «virage vert» qu'il a entamé sur l'exploration pétrolière à Anticosti.

Les élus de Salaberry-de-Valleyfield ont adopté une résolution semblable mardi dernier. Le maire, Denis Lapointe, estime que toute ponction d'eau dans le bassin des Grands Lacs peut avoir un impact sur le niveau du fleuve Saint-Laurent, dont sa ville et tout le Québec dépendent. «Ils ne peuvent pas rester indifférents à cette situation», résume M. Lapointe.

L'Alliance des villes des Grands Lacs et du Saint-Laurent, dont font partie Montréal, Trois-Rivières, Québec et une vingtaine d'autres villes québécoises, a aussi pris position contre le projet. L'organisme a demandé une rencontre avec le premier ministre Philippe Couillard.

Le Québec fait partie avec l'Ontario et huit États américains du Conseil régional des ressources en eau des Grands Lacs et du fleuve Saint-Laurent. Cet organisme n'a pas le pouvoir de bloquer le projet, mais son opinion pèsera très lourd dans la décision finale.

Le mois dernier, le ministre de l'Environnement, David Heurtel, s'est dit «très préoccupé» par le projet de Waukesha. Mais il a refusé de préciser s'il s'y opposerait formellement.

Au bureau du ministre, on a refusé de commenter le dossier, hier, au motif que la consultation publique sur le projet était toujours en cours.