Le gouvernement fédéral a franchi un pas vers la mise sur pied d'une bourse canadienne du carbone mercredi en dévoilant deux documents préliminaires portant sur un éventuel système de crédits compensatoires.

L'annonce est cependant loin d'être suffisante pour l'opposition et les groupes environnementaux, qui trouvent encore bien trop timide l'approche des conservateurs pour lutter contre les changements climatiques.

Selon le plan avancé par le ministre de l'Environnement, Jim Prentice, au cours d'un dîner-conférence avec des gens d'affaires à Ottawa, les compagnies affichant un bon bilan d'émissions de carbone pourront être admissibles à des crédits compensatoires, dont le prix sera fixé par le marché. Ces entreprises vertes pourront ensuite échanger leurs crédits à des firmes plus pollueuses.

«Le système va établir un prix pour le carbone au Canada, ce qui n'a encore jamais été entrepris au pays», a souligné M. Prentice.

«Et je n'ai pas à vous dire, vous qui êtes chefs d'entreprise, ce qui arrive quand on met un prix sur ce qui a toujours été gratuit auparavant: tous les directeurs financiers vont manifester un intérêt soudain pour le carbone», a-t-il conclu.

Le gouvernement établira une limite aux émissions de gaz à effet de serre (GES) et permettra aux entreprises d'acheter et de vendre des permis d'émissions à l'intérieur de cette limite. Les participants qui ne respecteront pas la limite pourront acheter des crédits auprès d'entreprises qui en possèdent en surplus, plutôt que de diminuer leurs émissions.

Chaque crédit compensatoire sera associé à une réduction d'émissions vérifiable égale à une tonne de dioxyde de carbone.

Mais pour l'instant aucun plafond d'émissions n'a été fixé pour les différents secteurs de l'économie canadienne.

«La suite complète de nos politiques sera annoncée avant la (rencontre internationale) de Copenhague en décembre», a simplement indiqué M. Prentice.

Le gouvernement conservateur s'est engagé à réduire d'ici 2020 les émissions de gaz à effet de serre de 20 pour cent par rapport aux niveaux de 2006. Le Canada est le seul pays à adopter 2006 comme année de référence, alors que la communauté internationale s'entend généralement sur 1990, soit l'année choisie dans le Protocole de Kyoto.

Pas assez

Le coordonateur général d'Equiterre, Sydney Ribaux, juge minime l'annonce du gouvernement conservateur devant l'ampleur de la tâche qui l'attend pour lutter contre le réchauffement planétaire.

«C'est comme si votre frère vous annonçait qu'il vous achetait une maison, mais dans les faits, qu'il vous achetait une poignée de porte (...)», a-t-il ironisé.

«Ce gouvernement n'a pas de cible, pas d'objectif, aucun plan d'action. Il nous promet des mesures depuis peu après son élection (...), et là, on nous annonce un élément extrêmement technique d'un «futur, éventuel, peut-être» système d'échange de crédits de carbone canadien», a déploré l'environnementaliste.

Les partis d'opposition à la Chambre des communes sont eux aussi restés sur leur faim.

Le chef néo-démocrate Jack Layton s'est demandé si le gouvernement conservateur allait continuer à baser ses actions sur des cibles d'intensité, tel qu'il l'a fait par le passé, ou s'il allait enfin adopter des cibles de réductions absolues, comme l'exigent les groupes environnementaux.

«Nous avons demandé un marché du carbone depuis des années et l'approche du gouvernement Harper a toujours été inadéquate», a-t-il affirmé, ajoutant que l'ensemble de la communauté internationale, y compris les Etats-Unis, privilégiaient désormais les cibles absolues.

Les cibles d'intensité ne feraient que contraindre les entreprises à réduire en proportion de leur production leurs émissions de GES, notamment grâce à des technologies vertes. Les compagnies qui polluent pourraient malgré tout augmenter en absolu le total de leurs émissions si leur production montait elle aussi.

«Le ministre Prentice n'a jamais, jamais démontré comment c'est possible de procéder avec la réglementation et un système de permis d'échange sans aller vers un système de (réduction) absolue», a fait valoir le libéral David McGuinty.

Le bloquiste Gilles Duceppe s'est pour sa part désolé que seuls les projets de réduction des émissions de carbone mis de l'avant après 2006 pourront faire toucher aux entreprises des crédits compensatoires. Selon lui, cela pénalisera le Québec, dont les efforts environnementaux remontent bien avant 2006, et privilégiera l'Alberta et la Saskatchewan, dont les émissions de GES ont explosé ces dernières années.