À Guantánamo, la prison est divisée en plusieurs camps, en fonction du comportement des détenus. Mais les prisonniers condamnés sont tenus à l'écart du reste de la population carcérale. C'est le sort qui attend, pour la prochaine année, Omar Khadr, dont la peine doit être prononcée officiellement aujourd'hui ou demain.

L'eau turquoise frappe la côte, les cactus bornent la berge et le ciel bleu se fond à l'horizon avec la mer des Caraïbes. Il est 9h30 et le soleil plombe. Paradis perdu sous les tropiques? Pas vraiment.

À quelques dizaines de mètres, les barbelés, les clôtures et les trous de contrôle s'alignent, rappelant la triste réalité. Bienvenue au Camp Delta de Guantánamo, où sont encore détenus plus de 170 ennemis des États-Unis, prisonniers de la guerre contre le terrorisme.

Par souci de transparence, et dans l'espoir de démontrer à quel point les détenus sont bien traités, l'armée américaine invite les journalistes à visiter les installations, sous haute surveillance.

Les mots «prison» et «prisonniers» sont à proscrire. Ici on parle de centre de détention et de détenus, dans le langage aseptisé de l'armée américaine, qui tente par tous les moyens de se défaire de l'image de tortionnaire qui lui colle à la peau depuis les scandales de torture du début des années 2000. Les quelques détenus en grève de la faim ne sont pas «nourris de force», explique-t-on, ils acceptent «volontairement» de faire entrer un tube par leur narine, pour être gavé d'Ensure, à saveur de fraise, chocolat ou pacane au beurre.

«Ainsi, ils poursuivent leur grève de la faim sans ressentir les effets négatifs causés par la privation de nourriture», explique fièrement le Dr Smo, qui refuse toutefois que sa photo soit prise ou que son prénom soit divulgué.

L'hôpital du camp fournit des traducteurs en sept langues, qui ont tous une formation spécifique liée à la médecine, afin de comprendre les problèmes de santé des détenus.

À l'heure des repas, des thermos sont déposés dans chaque bloc de la prison et les prisonniers se servent eux-mêmes, selon ce qu'ils ont demandé, parmi un choix de plusieurs menus; végétarien, végétarien avec poisson, haute teneur en fibre, etc.

Dans une salle commune du camp no 6, trois hommes barbus, habillés en blanc, mangent en regardant la télé. Ils ont accès à 18 chaînes, dont plusieurs en arabe, de Tunisie ou d'Égypte. S'ils regardent surtout du sport et un peu de nouvelles, l'émission la plus courue, à l'automne 2010, était un feuilleton syrien, d'après le commandant adjoint du camp, le lieutenant-colonel Andrew McManus.

Au fond de la salle, quelques détenus sont assis sur des matelas. C'est le coin des jeux vidéo. Les prisonniers disposent d'une PlayStation 3. Leurs jeux préférés? Le soccer, le baseball et les jeux de course.

On en oublie presque que la vaste majorité d'entre eux sont détenus depuis des années, sans explication, sans accusation, sans procès, dans le plus grand non-respect des règles de droit.

Au camp no 4, environ 40 détenus vivent dans un environnement communautaire. Ils peuvent passer jusqu'à 20 heures par jour à l'extérieur, font du sport, dorment dans des dortoirs, mangent ensemble.

Ce sont les détenus les plus respectueux des règles. Ici, pas de grève de la faim, pas d'habits orange, pas d'insultes envers les gardes.

C'est là qu'est détenu Omar Khadr. Mais ces conditions de détention pourraient bientôt changer dramatiquement.

Le Canadien maintenant âgé de 24 ans a plaidé coupable, lundi, aux accusations de meurtre, tentative de meurtre, complot, espionnage et soutien matériel au terrorisme qui pesaient contre lui. L'entente à l'amiable signée entre ses avocats et ceux du gouvernement américain prévoit qu'après une année supplémentaire à Guantánamo, il pourra demander à être transféré au Canada.

La prison de Guantánamo n'abrite actuellement que deux détenus qui ont été formellement condamnés devant les controversées commissions militaires.

Où se trouvent ces deux condamnés? Officiellement, les militaires ne le disent pas. Officieusement, on sait qu'ils se trouvent au camp no 5, à sécurité maximale, et qu'ils sont séparés des autres détenus, en isolement cellulaire, dans des conditions beaucoup plus punitives.

Pour Omar Khadr, cela voudrait dire la fin des matchs de soccer, de la télévision et de la vie communautaire.

Il n'aura donc que deux codétenus. Ibrahim al-Qosi, Soudanais de 50 ans, a plaidé coupable à l'été d'avoir comploté avec Al-Qaïda et fourni un soutien matériel au terrorisme. Les détails de son entente à l'amiable n'ont pas été rendus publics. Le Yéménite Ali Al Bahlul a été condamné à la prison à vie, à Guantánamo, en novembre 2008, pour avoir réalisé les vidéos propagandistes d'Al-Qaïda. Il a boycotté tout le processus juridique, ne reconnaissant pas la légitimité des commissions militaires.

On connaîtra dans les prochains jours les détails de l'entente signée par Omar Khadr lorsqu'il a accepté de plaider coupable. Après les audiences sur la peine, la défense et la poursuite feront leurs plaidoyers finaux aujourd'hui, puis le jury rendra une décision, après délibérations, quant à la peine de prison qui devrait être imposée à Omar Khadr. Mais cette décision n'aura d'effet que si les jurés commandent une peine inférieure à celle contenue dans l'entente, estimée à huit ans, dont sept années au Canada.