Après avoir produit une quarantaine de films en 20 ans, Denise Robert s'est imposée au sommet de l'industrie cinématographique québécoise. La Presse l'a rencontrée chez son distributeur, Alliance Vivafilm, pour parler de films, de censure... et de Denys Arcand, son illustre conjoint.

Q: Vous vous êtes lancée comme productrice en 1988, avec À corps perdu. Comment une jeune femme décide-t-elle un matin d'être productrice, plutôt que cinéaste ou actrice?

 

R: En fait, je ne connaissais pas le métier. Dès mon enfance, j'ai eu envie de travailler dans le cinéma. Au départ, je voulais être actrice; je n'ai pas commencé en me disant que je voulais être productrice. J'ai suivi quelques cours et j'ai découvert les différents métiers qui existaient dans le domaine. Je travaillais beaucoup au théâtre, et j'ai commencé comme actrice.

Q: Avec un certain succès?

R: Aucun. J'étais poche. Totalement poche. Je n'avais aucun talent, j'étais profondément timide. J'ai abandonné cette idée-là et je me suis lancée dans la production, avec À corps perdu. J'y suis allée à l'aveuglette, je n'y connaissais pas grand-chose. J'ai découvert ça lentement avec mon associé qui est encore avec moi, Daniel Louis, qui m'a beaucoup appris.

Q: Selon vous, le producteur est-il simplement le financier d'un film?

R: Non. Je fais des films pour accompagner les réalisateurs dans leur démarche, dans l'histoire qu'ils veulent raconter. Le métier de producteur, c'est d'abord bien sûr être une personne d'affaires, trouver du financement, gérer un budget. Mais c'est aussi avoir le privilège d'accompagner quelqu'un qui veut raconter une histoire, la mettre en images. J'adore me faire raconter une histoire. Je n'ai pas évolué depuis que j'étais enfant, et le cinéma, c'est ce plaisir-là que je retrouve. C'est comme lorsqu'on lit un roman; on a ce même plaisir.

Q: Justement, quand vous lisez un scénario, comment décidez-vous d'embarquer ou non?

R: C'est un coup de coeur. Si je lis et que je me suis laissé séduire par l'histoire qui est racontée, par l'univers proposé, alors j'ai envie d'accompagner le créateur.

Q: Est-ce que la femme d'affaires intervient, si un scénario vous semble irréaliste ou beaucoup trop coûteux?

R: Pas du tout. Non. Il ne faut pas. Si on commence à regarder le coût, on ne le fera pas, ça coûte toujours trop cher. Il ne faut pas que l'auteur se censure. Il n'y a pas de limite, il faut que la personne mette tout sur le papier. À la fin, quand on arrive au scénario idéal, c'est là qu'on se demande combien ça va coûter. Disons que si on a une scène avec 10hélicoptères, on le sait qu'on ne peut pas se payer 10hélicoptères.

Q: Depuis 1988, est-ce qu'on a changé la façon de faire des films au Québec?

R: Oui, beaucoup. Nos écrans sont occupés par des films qui ont les moyens. Ce n'est pas inhabituel aujourd'hui de voir des films qui coûtent 50 ou 100 millions. Mais quand monsieur et madame Tout-le-Monde vont acheter leur billet, ils paient le même prix, que ton film ait coûté 4 millions ou 100 millions. Ils n'ont pas une réduction parce que le film a coûté moins cher. Donc, tu te dois d'être inventif et de trouver d'autres façons d'émerveiller le public, pour qu'il sente qu'il en a eu pour son argent. Ce qui a évolué, c'est notre capacité de faire de la magie avec peu.

Q: Vous êtes montée au créneau pour dénoncer les coupes en culture et la censure. Que pensez-vous de la déclaration de Pierre Falardeau à Tout le monde en parle, où il affirme qu'il y a toujours eu de la censure, par exemple quand on touchait à la question de l'indépendance du Québec? Y a-t-il des sujets que vous ne pouvez pas aborder?

R: Moi, il y a quelques mois, on m'a suggéré d'enlever des sacres. Les choses gratuites, je ne suis pas d'accord. Mais si, par rapport à l'écriture, c'est la texture du personnage, c'est ce dont le personnage est composé, alors pour moi, c'est acceptable. Mais je n'ai pas eu d'expérience à Téléfilm ou à la SODEC de quelqu'un qui me disait: «Écoutez, ce sujet-là, on ne peut pas y toucher.» Je ne peux pas commenter là-dessus. Ma seule expérience, ç'a été au niveau du langage. Et parfois, ça peut être un diffuseur qui est frileux.

Q: Sur un tout autre sujet... Vous formez un couple avec Denys Arcand, ce n'est pas un secret, mais vous en parlez très peu...

R: C'est quelque chose qui est privé. C'est sacré. On a une fille de 12 ans, on a un quotidien ben... quotidien, comme tout le monde. On va à l'épicerie, on élève notre enfant, on veut s'assurer que ça va bien à l'école. Je rentre à la maison, j'aide ma fille à faire ses devoirs. Ce n'est pas très glamour. On fait le souper, on mange en famille. Le lendemain matin, je me lève tôt pour l'emmener à l'école; des fois, c'est Denys. Il manque du lait, on court au dépanneur chercher notre pinte de lait. C'est une vie qui nous convient, très rangée, pas compliquée.

Q: Vous représentez l'inverse d'une certaine norme - prenons par exemple Céline Dion et René Angélil. Vous êtes la manager, il est l'artiste. Êtes-vous la réaliste du couple, et lui le rêveur?

R: (Rires.) Ah non! c'est le contraire. C'est quelqu'un qui aime beaucoup rester à la maison. Il lit beaucoup. Il est très tranquille. Il a eu son époque où il faisait beaucoup de premières, de tapis rouges; il l'a vécu, ça. Il est rendu à une autre étape. Lui, il dit: «Plus on vieillit, plus on fait le choix de la simplicité.» On est de deux générations différentes. Moi, beaucoup de choses me passionnent, m'émerveillent. Lui aussi, mais différemment.

Q: Ça fait un an et demi que L'âge des ténèbres est sorti. Avec le recul, trouvez-vous encore que la critique a été trop dure?

R: Je ne juge pas la critique, elle a son travail à faire. Denys, quand il a fait Les invasions barbares, ç'a été merveilleux, il a été encensé de partout. Mais une fois que tu as fait ça, que faire ensuite? Je me réjouissais beaucoup du fait que Denys sentait une liberté de faire un film comme il en avait envie. Il aurait pu être tenté de répéter Les invasions barbares; il ne l'a pas fait. Ça, j'applaudis ça. J'espère qu'il n'aura pas perdu cette liberté-là. Ce n'est pas un péché de se tromper. S'il s'est trompé, je ne le sais pas encore. Pour moi, il ne s'est pas trompé, il a fait ce qu'il avait envie de faire et il a avancé. Il n'a pas refait Les invasions barbares. Combien de cinéastes refont le même film parce que c'est confortable? Il a fait quelque chose de différent qui lui ressemble. Je m'en réjouissais. La critique ne me dérange pas du tout, mais c'est sûr que ça fait de la peine, on n'est pas en béton. Ça m'a fait de la peine. Denys est fragile: il a l'air de quelqu'un de fort, au-dessus de tout ça, mais ça l'a atteint. Cela dit, je suis fière de L'âge des ténèbres.

 

Sa filmographie en bref

À corps perdu (1988)

Montréal vu par... (1991)

Le confessionnal (1995)

C't'à ton tour Laura Cadieux (1998)

Stardom (2000)

Nuit de noces (2001)

Mambo Italiano (2003)

Les invasions barbares (2003)

Maurice Richard (2005)

Roméo et Juliette (2006)

L'âge des ténèbres (2007)

Le grand départ (à venir en 2008)

De père en flic (à venir en 2009)