Coincé dans un rayon de moins de 1 km, le quadrilatère formé des 75 et 81e Avenues et des boulevards Lévesque et Perron est le coin le plus chaud de Laval.

Pauvreté, prostitution, crackhouses: le coin est une véritable enclave de misère, où s'alignent les immeubles glauques. «Le crack est très présent à Laval. Et c'est effrayant, les ravages que ça fait», dit Martin Métivier, d'Urgence sociale Laval.

Les piqueries sont parfois «organisées» par certaines personnes qui occupent un appartement dans un immeuble et qui demandent aux junkies une petite somme chaque fois qu'ils utilisent les lieux.

«Ils ont le droit de coucher là et de se servir dans le frigo. Il y a des matelas par terre, des rideaux», décrit Mylène Gervais, intervenante pour l'organisme l'Oasis, qui promène son motorisé dans plusieurs quartiers de Laval.

La jeune intervenante, qui travaille également à Montréal pour un organisme semblable, a eu un choc lorsqu'elle a commencé à sillonner l'île Jésus. «Je ne pensais pas que, à Laval, il y aurait des travailleuses du sexe dans les rues, des consommateurs de crack. Pour moi, Laval, c'était bon pour le moral; propre, propre, comme dans la publicité.»

Sous le couvert de l'anonymat, un jeune policier raconte être tombé des nues lorsqu'il a commencé à travailler dans le quartier Chomedey.

«Je me sentais dans une autre ville!» lance le jeune homme, policier depuis une dizaine d'années. Lavallois d'origine, il a grandi dans une bulle banlieusarde, à des années lumière de la réalité qu'il observe à Chomedey depuis qu'il porte l'uniforme. «Les gens s'entassent parfois à huit dans un quatre-pièces. À l'occasion, on trouve des mini-usines de textiles clandestines dans des sous-sol», raconte le policier.

C'est pour attirer l'attention sur les problèmes qui existent à Laval et surtout dans ce quartier que le policier a accepté de se confier. Selon lui, Laval n'est plus cette banlieue bucolique où les familles vivent un bonheur tranquille. «Les autorités se mettent un peu la tête dans le sable, ne comprennent pas qu'il y a de l'action», explique-t-il.

Impuissants

En 2009, c'est un incendie - et non la police - qui avait interrompu les activités de l'une des piqueries de la 75e Avenue. Les voisins avaient alors crié victoire.

Mais leur joie a été de courte durée, comme l'explique l'un d'eux. «Les problèmes ont cessé quelques jours seulement, puis tout est revenu comme avant», peste-t-il.

De son balcon, sa famille et lui, impuissants, contemplent en direct les activités qui se déroulent dans la piquerie aménagée dans un quadruplex vétuste. Les fenêtres sont obstruées par du contreplaqué ou des draps.

«Dès 6h du matin, jusqu'à 2h30 dans la nuit, des taxis déposent des prostituées et des clients à la porte», explique le voisin.

À notre passage, en plein après-midi, deux taxis ont déposé deux jeunes femmes légèrement vêtues et visiblement intoxiquées, qui sont ressorties de l'immeuble quelques minutes plus tard. Deux clients ont répété le même manège, à bord de leur voiture. Le va-et-vient est constant.

«Il faut fermer cet endroit. Les gens sont exaspérés, mais ils ne se plaignent pas, ils s'occupent de leurs affaires. Ils ont peur...»

Il s'explique mal pourquoi les policiers n'arrivent pas à venir à bout du problème. «De mon balcon, ma conjointe et moi voyons des prostituées faire des fellations à des clients dans des voitures et même dans des taxis. On a deux enfants, et presque tout le monde en a, ici», soupire le voisin, qui a décidé déménager quelques rues plus loin.

Selon notre policier, les crackhouses sont exploitées par les mêmes personnes, liées aux gangs de rue. «Ça entraîne des guerres, des gens se font poignarder et font des introductions par effraction. Ces endroits sont la source d'une grande criminalité», dit-il.

Il craint que sa ville ne devienne une poudrière. «Il y a des saisies d'armes, à Laval - des AK-47, des armes automatiques... À l'école secondaire Saint-Maxime, il y a aussi beaucoup de saisies de stupéfiants et d'armes blanches. Ça ne dérape pas encore, mais la table est mise», croit le jeune agent.

«Inhumain»

À l'autre extrémité de la 75e avenue, au coin du boulevard Lévesque, Massoud rage en pelletant des déchets devant son immeuble à logements. Il y a deux semaines, un de ses locataires est mort. Sa conjointe a disparu dans la brume après avoir déversé le contenu de son frigo devant l'immeuble. Il ne peut réprimer son dégoût à la vue des milliers de vers blancs qui grouillent au milieu du monticule de nourriture avariée.

Cet immeuble traîne une bien mauvaise réputation, dans le coin.

Les policiers y sont intervenus à plusieurs reprises parce qu'il abritait des crackhouses. Mais chaque frappe était un coup d'épée dans l'eau. De nouveaux trafiquants reprenaient le commerce illicite quelques jours après le passage des policiers.

Lors de la dernière descente, il y a quelques mois, le crackhouse situé dans le logement du rez-de-chaussée était dans un tel état que l'employé de Massoud affecté à l'entretien a appelé du renfort pour le nettoyer. «C'était inhumain, il y avait des excréments et de l'urine sur les murs et dans le bain», raconte Serge.

Après la dernière descente, Massoud a loué le logement à une famille.

Depuis, c'est calme. Les voisins poussent un soupir de soulagement, et Massoud peut enfin respirer un peu.

Mais pour combien de temps?