En raison des délais serrés imposés par l'administration Tremblay, le vérificateur général n'a pas eu le temps de terminer avec satisfaction une portion particulièrement obscure de son enquête sur l'attribution du contrat des compteurs d'eau. D'ici quelques jours, Jacques Bergeron entend donc remettre un document complémentaire à son enquête dans lequel il expliquera pourquoi l'ancien directeur interne de la Ville, Denis Savard, n'a pas émis un avis de conformité du processus d'appel de qualification de juin 2006.

À l'époque, M. Savard travaillait pour le directeur général de la Ville, Claude Léger, dont le contrat a abruptement été résilié, avant-hier, dans la foulée des multiples irrégularités décelées par le vérificateur général. M. Savard a depuis quitté son poste de vérificateur interne pour se joindre à la petite équipe du vérificateur général, Jacques Bergeron, avec pour responsabilités la gestion de la vérification financière et informatique de la Ville de Montréal. Il a été remplacé à la vérification interne par Marie Mongeau, qui relève depuis hier de la directrice générale par intérim, Rachel Laperrière.

Outre le fait qu'il n'y ait pas eu d'avis de conformité, le vérificateur général s'interroge aussi sur le contenu suspect d'un sommaire décisionnel lu et approuvé par les membres du conseil exécutif du maire Gérald Tremblay en novembre 2006. Dans ce sommaire, que La Presse a obtenu, il est indiqué que le processus de qualification s'est déroulé «sous la supervision de la Direction de l'approvisionnement et d'un observateur neutre, soit Denis Savard, vérificateur interne».

Selon l'information transmise aux élus et corroborée par les deux directeurs alors responsables du dossier, Louis Provencher et Jean-Pierre Pilon, un comité de sélection de cinq personnes, accompagné par des représentants de la direction de l'approvisionnement, devait «évaluer» les candidatures des entreprises privées. Mais est-ce que Denis Savard a réellement supervisé le processus? Et surtout, a-t-il pu accomplir sa tâche, sous les ordres de Claude Léger, en toute «neutralité»?

Les réponses incombent à Jacques Bergeron, le vérificateur général, qui n'a pas voulu en dévoiler davantage, mardi, afin de ne pas nuire à son enquête. Deux firmes externes ont aussi agi à titre «d'experts-conseils» dans le processus de qualification, en partenariat avec la Ville: BPR (volet technique) et Raymond Chabot Grant Thornton (volet financier).

L'appel de qualification a été lancé avant l'appel de propositions, au courant de l'été 2006. Essentiellement, il visait à sélectionner des entreprises en fonction d'une série de critères, dont l'un exigeait une «connaissance du milieu montréalais et de la Ville de Montréal».

Au total, 31 firmes ont demandé le cahier des charges. Mais à la fin, seulement quatre consortiums, dont le géant européen Veolia, avaient soumissionné. Dans son rapport sur l'appel de qualification, Jacques Bergeron émet deux constats. Selon lui, le fait de ne pas avoir procédé à des appels distincts pour chacun des deux volets du contrat a eu pour effet de limiter le nombre d'offrants. Deuxièmement, le critère «montréalais», qui comptait pour 10 points sur une note de passage de 80%, a eu pour conséquence de restreindre les règles du libre marché.

Jacques Bergeron va même jusqu'à écrire: «Il est possible qu'un tribunal conclue à l'invalidité de ce critère, soit parce qu'il est formulé pour contourner la loi ou soit qu'il va à l'encontre du principe d'une saine concurrence et de l'intérêt de la collectivité.»