Ils ne croient plus aux monstres de leur enfance. Pourtant, ces jeunes de 12 à 17 ans font face à un autre démon: la toxicomanie. C'est au centre Le Grand Chemin, à Montréal, que La Presse a rencontré des adolescents qui mènent un difficile combat contre l'alcool et la drogue. Parmi eux, Mathieu, un «miraculé» qui avait passé un été à inhaler des vapeurs d'essence dans un sac-poubelle. Sarah, qui a découvert l'effet de l'alcool à 8 ans. Et Dannick, que nous avons accompagné au moment de sa sortie du centre. Histoires de jeunes qui s'accrochent à la vie malgré tout.

«Je suis pas mal magané dans le caillou.» Mathieu, 16 ans, a fumé son premier joint à l'âge où l'on croit encore au père Noël. Il avait 7 ans. L'été dernier, il a passé ses journées la tête dans un sac-poubelle, à inhaler des vapeurs d'essence. Il en gardera des séquelles.

 

«Je pouvais prendre 100, 200 puffs par jour. Ça gèle fort, mais ça brûle les cellules du cerveau. Ça m'a affecté», confie-t-il, lucide. Quand il est arrivé au Grand Chemin, en octobre, il n'arrivait pas à faire une phrase complète. «Je bégayais, je cherchais mes mots. J'avais des problèmes de mémoire. Ça m'a pris trois semaines à apprendre les noms de chacun.»

Aujourd'hui, après deux mois de thérapie, c'est le jour et la nuit. Son état s'est nettement amélioré, au-delà de toute attente. Il a encore un peu de difficulté à s'exprimer, il est facilement confus. «Je suis lent à comprendre des fois, mais ça va beaucoup mieux. J'en ai repris.»

«C'est un petit miraculé», souligne le coordonnateur du centre, Gaëtan Brière.

Mathieu a illustré ses émotions sur papier. Devant son intervenante, Annie Marcotte, il étale ses dessins sur la table. Sur le premier, il a dessiné un nuage au-dessus de sa tête et des excréments à ses pieds. «Ça montre que j'étais tanné d'être dans ma marde.» Il volait de l'ecstasy à son frère et de l'argent à ses parents. Sur un autre dessin, il a écrit le mot «amour» et collé un papillon. «Je vais bientôt voler de mes propres ailes», dit-il, ému.

D'ici à sa sortie, prévue dans deux semaines, il devra mettre les bouchées doubles. Au propre comme au figuré. Il refuse régulièrement de manger - il n'aime pas ce qu'on lui sert. Frêle et petit, il a le corps d'un enfant de 12 ans. Son visage est émacié, livide. «Tu fonds à vue d'oeil. Tu dois prendre des forces avant de sortir», dit Annie. Il fera ce qu'elle dit, promet-il. «Et ton comportement?»

Il admet qu'il est agité depuis quelque temps. Comme l'autre jour, quand il a réagi à l'expulsion de Gabriel, décidé à passer Noël chez lui coûte que coûte. Comme ce matin, quand il s'est recouché après la douche. «Assieds-toi à ton bureau en silence. Tu le sais, c'est la règle», a répété François Boisvert, le surveillant de nuit. Au lieu d'obtempérer, Mathieu s'est étendu par terre, entre son lit et son bureau, générant des éclats de rire dans les autres chambres.

Il regrette: «J'ai déconné. Je suis le plus ancien, je dois montrer l'exemple.» Le garçon, qu'on rejetait à l'école, vient d'être nommé chef de groupe. «C'était tout juste si on ne lui tirait pas des cailloux. Il se ramassait avec des bums qui lui faisaient faire n'importe quoi», indique Gaëtan Brière. Il prend son nouveau rôle à coeur.

Pour lui, la vie entre quatre murs est confortable. Comme son kangourou à carreaux trop grand et ses pantoufles usées à motif camouflage. «Ça me fait du bien d'être ici, mais je m'ennuie de ma famille. J'ai hâte de sortir.» Il rêve aussi d'une moto de course, d'une femme, d'un enfant, d'un chalet au bord d'un lac. Il rêve surtout de ne jamais plus consommer.