Chaque jeudi, nous revenons sur un sujet marquant dans le monde, grâce au recul et à l’expertise d’un chercheur du Centre d’études et de recherches internationales, de l’Université de Montréal, ou de la Chaire Raoul-Dandurand, de l’Université du Québec à Montréal.

Après avoir dangereusement périclité au cours des dernières années, les relations entre la Chine et les États-Unis pourraient-elles être en voie de se stabiliser ?

Le 15 novembre dernier, le président américain Joe Biden a rencontré son homologue chinois Xi Jinping en marge du sommet de la Coopération économique pour l’Asie-Pacifique (APEC) à San Francisco. Le tête-à-tête, qui constituait leur première rencontre en un an, a duré plus de quatre heures et a mené, entre autres, à la reprise du dialogue militaire entre les deux superpuissances. Ces contacts avaient été coupés par Pékin (Beijing) à la suite de la visite de Nancy Pelosi – alors présidente de la Chambre des représentants démocrate – à Taïwan en août 2022, qui avait provoqué de vives réactions et des exercices militaires à grande échelle des forces armées chinoises autour de l’île.

Le ton positif adopté par les deux leaders à la suite de leur rencontre et leur volonté affirmée d’éviter une escalade des tensions laissent croire que les deux pays pourraient entamer une nouvelle phase dans leurs relations bilatérales.

Quelques heures après le sommet, Xi Jinping déclarait que son pays était prêt à être un « partenaire et ami » des États-Unis. Un tel sommet peut en effet envoyer un signal clair aux instances militaires de chaque côté afin d’éviter les provocations et donner un élan aux diplomates de part et d’autre, permettant ainsi de meilleures relations de travail, voire une coopération plus soutenue dans certains domaines.

Il faut toutefois être réaliste quant aux limites d’un rapprochement entre Washington et Pékin. D’abord, les circonstances particulières auxquelles doivent faire face les deux pays ont joué pour beaucoup dans leur volonté de remettre la diplomatie sur les rails.

Du côté américain, on est préoccupé par le conflit entre Israël et le Hamas, en plus de la guerre que continue de mener la Russie contre l’Ukraine. Washington a envoyé des milliards de dollars d’armes à Israël et à l’Ukraine et pourrait difficilement composer avec un nouvel affrontement en Asie. La Chine est quant à elle aux prises avec une économie tournant au ralenti et une pression grandissante de la part des États-Unis et de ses alliés visant à limiter son accès à certaines technologies de pointe, dont les semi-conducteurs les plus avancés. Dans ce contexte, une stabilisation stratégique est dans l’intérêt des deux parties.

PHOTO LAM YIK FEI, ARCHIVES THE NEW YORK TIMES

Des soldats taïwanais lors d’un exercice militaire, en juillet dernier. Le sort de l’île alimente la rivalité entre la Chine et les États-Unis.

Une détente viable ?

Si dans l’immédiat la Chine et les États-Unis vont bénéficier d’une détente, celle-ci sera difficilement viable, tant les problèmes structurels sont nombreux. Globalement, les deux pays ont des visions fondamentalement irréconciliables de ce que devrait être l’ordre international.

La Chine exprime de manière de plus en plus explicite son opposition à l’ordre libéral de l’après-Seconde Guerre mondiale, bâti en grande partie par les États-Unis et l’Occident. De manière plus concrète, les deux puissances ont des positions opposées sur la guerre en Ukraine, les droits de la personne, les relations Chine-Taïwan, les contentieux territoriaux en mers de Chine méridionale et orientale, et la Corée du Nord, pour ne nommer que quelques enjeux. La rivalité s’est également intensifiée sur le plan de la technologie, des capacités militaires, des échanges commerciaux et des systèmes politiques, en plus d’une compétition visant à raffermir leur influence dans les régions stratégiques telles que l’Asie du Sud-Est, le Moyen-Orient et l’Afrique.

Alors que le récent renforcement du partenariat entre la Chine et la Russie préoccupe plusieurs capitales occidentales, les États-Unis ne sont pas en reste. Depuis quelques années, de nombreux pays occidentaux ont renforcé leurs liens avec des pays de la région indopacifique, dont le Japon, la Corée du Sud et l’Inde, qui entretiennent eux-mêmes des relations parfois tendues avec la Chine. Le Canada, qui marquait récemment le premier anniversaire de la parution de sa stratégie pour l’Indopacifique, fait notamment partie des pays ayant fait de cette région clé une priorité stratégique.

Résultat : la profonde fracture qui place d’un côté la Chine, la Russie et leurs partenaires et, de l’autre, l’Occident, n’est pas en voie de guérir.

La situation pourrait se compliquer passablement en 2024. Taïwan – de facto indépendant, mais considéré par Pékin comme une part intégrante de son territoire – tiendra son élection présidentielle en janvier. La victoire possible de William Lai, du Parti démocrate progressiste (pro-indépendance), pourrait provoquer une forte réaction de Pékin, ce qui envenimerait les relations entre la Chine et les États-Unis.

Mais c’est la présidentielle américaine de novembre 2024 qui comporte les plus grands risques. Un retour à la Maison-Blanche de Donald Trump, avec son approche plus agressive à l’égard de la Chine et ses promesses de découpler davantage les deux économies, pourrait marquer le début d’une période encore plus périlleuse dans les relations bilatérales, avec des conséquences inévitables pour la stabilité mondiale.

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