En se dotant d’une cible de réduction de ses GES, le Québec s’est engagé dans un processus de transition énergétique dont on commence à peine à comprendre les ramifications et les implications. Chose certaine, nos modes de vie, de consommation et de production sont appelés à changer profondément.

En publiant un plan d’action pour 2035, Hydro-Québec démontre qu’elle prend au sérieux cette question en proposant une transition qui passe par l’électrification massive des services énergétiques actuellement fournis par les énergies fossiles, une base pour commencer une discussion ouverte et réfléchie sur l’avenir énergétique du Québec. Ce plan prévoit également une croissance de la demande liée au développement industriel des technologies vertes, répondant à la vision de l’actuel ministre de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie qui souhaite profiter de la transition pour implanter la filière batterie au Québec.

Or, les gestes et paroles du ministre Pierre Fitzgibbon donnent l’impression que la transition, la carboneutralité et l’électrification sont autant d’occasions d’affaires à saisir, et à saisir vite. Alors que Michael Sabia, PDG d’Hydro-Québec, comparaissait à l’Assemblée nationale pour présenter et défendre son plan, une vaste coalition de groupes citoyens, écologistes, syndicaux, communautaires, ainsi que des professionnels, spécialistes et personnalités publiques de divers horizons lançaient le Manifeste pour un avenir énergétique juste et viable qui soulève d’importantes questions⁠1.

L’urgence climatique devient-elle un prétexte pour se lancer sans avoir un débat de société dans l’octroi de mégawatts à bas prix, mégawatts que nous n’avons pas, pour des projets qui semblent privilégier les rendements des entreprises multinationales au détriment des besoins de la société québécoise ?

Est-ce une excuse pour privatiser à la pièce la production d’énergie renouvelable au Québec, comme cela se dessine dans le projet d’hydrogène vert à Shawinigan proposé par TES Canada ? Sera-t-elle une justification pour briser le modèle de tarification de l’électricité qui, actuellement, garantit de l’énergie à bas prix pour les ménages québécois ? Devient-elle, finalement, un motif valable pour se lancer dans la construction de nouveaux complexes hydroélectriques impliquant le harnachement de grandes rivières dans le Nord et la destruction de vastes habitats naturels dans la forêt boréale ?

Après plus d’un demi-siècle, il est évident que le modèle énergétique hérité de la Révolution tranquille est à revoir, tant pour lutter contre les changements climatiques que pour éviter l’effondrement de la biodiversité. Une transition que les signataires du manifeste souhaitent juste et viable. C’est pourquoi, dans cet appel, nous réitérons un ensemble de valeurs qui nous semblent devoir orienter cette transition et sa planification. Viabilité écologique, justice sociale et énergétique, reconnaissance des droits des Premiers Peuples sur leurs territoires, protection et même expansion du caractère public du système énergétique au Québec et, surtout, démocratisation des décisions quant à son avenir.

PHOTO JACQUES BOISSINOT, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Le ministre de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie, Pierre Fitzgibbon

Les changements et transformations auxquels nous devons faire face sont exigeants : investissements massifs, planification rigoureuse et minutieuse, transformation de nos comportements individuels et collectifs. Tout cela requiert de l’adhésion et pour avoir cette adhésion, nous devons discuter collectivement de manière réfléchie et productive, à l’extérieur des arènes partisanes.

Le gouvernement doit présenter un diagnostic complet et réaliste de la situation, ainsi qu’une pluralité de scénarios avec leurs trajectoires différentes. Et nous devons avoir un forum.

L’empressement du ministre à pousser le système énergétique du Québec dans une direction qui répond à ce qu’il considère comme de « bonnes affaires » est actuellement le principal obstacle à l’essor de ce dialogue social.

Nous avons publié ce manifeste pour réaffirmer que nous tenons à certaines valeurs et à une certaine vision de l’avenir énergétique du Québec. Mais surtout, nous l’avons publié pour ouvrir la discussion et provoquer le débat. C’est maintenant au gouvernement de proposer un forum et de rendre accessible à la population un diagnostic complet de la situation, y compris une diversité de scénarios de transition, dont des scénarios de rechange à celui d’Hydro-Québec misant sur une réduction de la demande énergétique par la sobriété et l’efficacité et non seulement sur sa croissance.

1. Consultez le Manifeste pour un avenir énergétique juste et viable Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue