J’ai récemment entendu Jérémie McEwen, professeur de philosophie au collège Montmorency, chroniqueur et jeune père au début de la quarantaine, parler de son plus récent essai Je ne sais pas croire (paru aux éditions XYZ) à Radio-Canada. Il y parlait des motivations qui ont alimenté son ouvrage et de la complexité de son rapport à la croyance. Je me suis sentie interpellée. J’ai eu la chance de discuter avec lui pendant plus de deux heures.

Nous venons tous les deux, comme de très nombreux Québécois, de familles catholiques pratiquantes. C’était la norme dans les années 1950 et 1960. Puis tout a basculé, et maintenant, on parle surtout de la pratique religieuse des autres. Certes, il reste quelques relents religieux au Québec relégués à la sphère privée, presque secrète. Alors il faut de l’audace, du courage même, pour se proclamer ouvertement croyant et oser écrire, comme le professeur McEwen : « La réflexion religieuse que je vis depuis toujours est philosophique et elle ne se cachera plus, je ne veux plus avoir peur de ses mots et de ce qu’ils impliquent jusqu’au fond de mon corps. »

McEwen cite aussi Dany Turcotte, qui a dit à Tout le monde en parle : « Je suis jaloux, j’aimerais ça, croire. » Comme si le fait de croire nous permettait de vivre plus sereinement, de donner un sens au présent et à l’au-delà.

L’essayiste et chroniqueur n’est pas nécessairement serein et définitif dans ses convictions. Oui, il assume son choix et ses propos, mais il précise que plusieurs questions demeurent en suspens, et le resteront toujours. C’est, dit-il, l’essence même de son essai : savoir qu’on ne sait pas, qu’on ne comprend pas tout, que tout n’est pas explicable. Il tient à préciser que sa posture croyante est avant tout philosophique, et qu’elle n’est surtout pas celle d’une pratique partagée avec d’autres ou de rituels sacrés.

Quand il parle de Dieu, référence à laquelle il tient, car les philosophes parlent de Dieu depuis des siècles, McEwen réfère à quelque chose de plus grand que lui, à une sorte de verticalité relationnelle. « Dieu n’existe pas, c’est l’évidence même, mais je n’arrive pas à ne pas le sentir au-dessus de moi », écrit-il.

Par ailleurs, et il insiste, McEwen exècre l’emprise des religions qui dit aux fidèles quoi penser, qui prier, quoi dire et comment vivre. Son Dieu à lui transcende la vie quotidienne et lui permet de vivre des moments de plénitude et de calme, souvent fugaces et inattendus, mais ô combien apaisants. Il écrit : « L’au-delà, cela signifie qu’il y a autre chose que soi, et ça fait du bien. » Il apprécie de pouvoir en profiter pleinement, car, ajoute-t-il : « Ce qui se passe quand on arrivera au bout de nos vies, ce n’est fort probablement rien du tout, ce sera comme avant qu’on soit né, la vie continuera sans nous, et nous serons oubliés. »

Avec une vérité aussi crûment évoquée, aussi bien savoir reconnaître les privilèges du moment présent. Il ajoute : « tout cela est bien trop grand pour le moi. Il faut tâcher d’abandonner le plus possible la notion de sens de la vie appliquée à une vie individuelle, notion qui est égoïste et pompeuse et surtout souvent inutile pour le bien du monde ».

La question religieuse vue comme une interrogation spirituelle a tellement été oubliée ces dernières décennies que nous faisons comme si elle n’existait plus. Mais comment l’occulter lorsque nous réfléchissons à notre humble statut de mortel, que nous regardons derrière et devant, que l’astronomie et des scientifiques comme Hubert Reeves, qui nous a récemment quittés, nous rappellent qui nous sommes dans cet immense univers quand nous vivons les drames humains des atrocités guerrières ?

Nous pouvons nous demander, avec Reeves, cité par Alexandre Sirois et Judith Lachapelle dans leur recueil 80, 90, 100 à l’heure ! : « Qu’est-ce qu’on fait sur cette planète où il y a à la fois de si belles et de si vilaines choses ? Où il y a eu les nazis et Mozart ? » Plusieurs des questions soulevées par McEwen résonnent avec celles d’Hubert Reeves. Quel est le sens de notre existence, d’où venons-nous et pourquoi sommes-nous de passage sur Terre ? Reeves ajoute : « Quand on est plus âgé, on revient à ces questions profondes. À quoi ça rime ? À quoi rime cette vie ? » Le but ultime nous dépasse, admettait l’astrophysicien.

McEwen n’apporte pas de réponse dogmatique et définitive, mais il explique : « J’écris pour ceux qui se sont laissé convaincre de parler de ces choses le moins possible, par peur de passer pour des cons réactionnaires rétrogrades. »

Je suis sortie de cette rencontre en me disant que je n’avais certainement pas perdu mon temps. C’est vrai qu’en vieillissant, nous voyons la fin se rapprocher, mais discuter avec quelqu’un qui essaie d’accepter avec humilité son rôle bien temporaire et limité sur cette planète et de lui donner un sens, eh bien, ça peut aider à réfléchir au sens de notre propre existence. Nous avons bien besoin de ces réflexions en ces temps où, comme le disait Hubert Reeves, c’est nous qui sommes en train de nous autodétruire, en même temps que la planète où nous avons le privilège d’être de passage. La nature, elle, nous survivra et se portera probablement bien mieux sans nous.

Habitée par ces questions, je me suis réveillée récemment durant la nuit et j’ai écrit ceci : « En attendant que toutes ces questions se calment dans ma tête et aient du sens, je suis allée voir ma nounou de 94 ans et lui ai apporté des raisins qui goûtent tout simplement le paradis. C’est là qu’elle doit aller, elle qui est très croyante et qui se dit prête à partir pour aller rejoindre tous ceux et celles qui l’ont quittée. »

Je pense que je suis jalouse de sa croyance…

L’essai de Jérémie McEwen nous bouscule, donc, mais il a le mérite de poser les questions les plus existentielles qui soient.

Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue