Les prochaines phrases pourraient vous faire fuir ce texte. Ce serait dommage : sa fin est lumineuse.

Dimanche dernier, à l’âge de 24 ans, ma nièce Katerine est décédée. « 24 ans » et « décédée », des mots qui ne devraient jamais former une phrase. Pour ajouter à l’improbable, c’est un cancer du cœur qui l’a emportée. En général, quand on l’annonce, les gens s’étonnent : « Ça existe, ça, un cancer du cœur ? » Oui, ça existe. Et c’est rare, très rare. Surtout si jeune. Plus de chances de gagner le gros lot du 6/49. Et incurable, aussi. Un cœur, ça pompe et ça répand partout. En un rien de temps, des métastases. Partout.

Certains diront qu’il n’y a pas de mots. Personnellement, j’en ai trouvé au moins sept : ostie que la vie peut être injuste. Une fois que c’est dit, on fait quoi ? On se laisse inspirer par la leçon que Katerine nous a livrée.

C’est à l’Institut universitaire de cardiologie et de pneumologie de Québec, où elle venait d’emménager pour étudier, qu’elle a reçu son diagnostic, mais c’est à quelques heures de route de là qu’un médecin lui a dit : « Pas plus d’un an à vivre. » Un verdict dont Katerine a accepté la fatalité, mais dont elle a refusé l’échéance. Elle souhaitait vivre sans date de péremption. Pas question de se laisser soigner par un système à la vision trop courte. Elle est donc repartie pour Québec, accompagnée par sa mère, rejoindre ceux qui avaient foi en son dernier projet : vivre.

S’en sont suivis les actes médicaux. Opération à cœur ouvert, reconstruction de l’oreillette droite, installation d’un « pacemaker ». Chimio agressive, la plus forte à laquelle on puisse soumettre un corps sans y laisser sa peau.

Ici, je cesse la description de son martyre : ce n’est pas ce que Katerine souhaiterait que l’on retienne. Tout au long de sa maladie, elle a gardé sa douleur pour elle et son sourire pour les autres. Peu d’entre nous l’ont vue souffrir. On ne peut jamais tout cacher à ceux qu’on aime le plus.

Penser aux autres avant de penser à elle, ce n’était pas nouveau chez Katerine. Durant la COVID, quand le gouvernement a crié « à l’aide », elle s’est faite préposée dans un CHSLD. Ses amies la décrivaient comme une sauveuse. Avant le pronostic, elle allait entreprendre des études en travail social. Pour faire le bien. Encore. Un cancer du cœur pour une jeune femme au grand cœur, quelle cruelle ironie.

Si sa vie nous avait déjà révélé sa grandeur, ses derniers mois nous en ont démontré l’envergure. Elle a marqué toutes les personnes qu’elle a croisées. Voulant redonner à ceux qui l’ont soignée, Katerine a œuvré comme préposée auprès des patients de l’unité de cardiologie où elle avait été hospitalisée. Entre ses traitements de chimio, elle travaillait. Pour en éviter la peine à ses proches, elle a procédé, seule, à ses arrangements funéraires préalables. D’une hospitalisation à l’autre, elle prenait soin des siens. Elle voyageait, prenait des nouvelles, partageait des moments. Elle a laissé, pour chaque étape de sa fin de vie, des vidéos, pour rassurer sa famille, la faire rire. Elle a rédigé vingt-quatre lettres, une pour chaque année de vie, à l’intention de ses proches. Et tout ça sans se plaindre. À ses funérailles, elle était parmi nous, sur vidéo. Inspirante, radieuse et lumineuse. Une dernière chance de nous rappeler que la vie continue et qu’elle mérite d’être vécue.

Son frère l’a décrite comme un ange. J’en sais au moins ceci : il faut un être d’exception pour que d’un drame aussi terrible jaillisse tant de lumière. Ça n’emplit pas le gouffre laissé par son absence, pas plus que ça n’assèche nos larmes. Ça aide quand même de pouvoir se dire : « Si Katerine a enduré tout ça si sereinement, je n’ai pas le droit de me plaindre. »

Je suis athée, cynique et mécréant. Je n’ai pas la foi facile, mais maintenant, j’en ai acquis la certitude : si elle signe la fin des processus biologiques, la mort ne tue pas. Katerine a gagné, n’en doutez pas. Car au bout du compte, ce n’est pas son cancer, mais bien sa force et sa bonté que son cœur aura pompées et répandues. Partout. Et il continuera de battre, à tout jamais, en chacun de nous.

Katerine est immortelle !

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