Lorsqu’elles sont arrivées au restaurant, les invitées de Mylène Drouin se sont empressées de lui dire qu’elles avaient aimé sa façon de gérer la crise de la pandémie. « Tu n’essayais pas de manipuler les gens, lui a dit Pauline Marois. C’est tellement important de dire les vraies choses dans des cas comme ça. »

Pauline Marois souhaite savoir ce que Mylène Drouin a tiré comme leçon en matière de santé publique. « Il y a assurément une réflexion à avoir sur le positionnement même de la santé publique à l’intérieur du gouvernement, a répondu celle-ci. Si on veut faire des gains, il faut être partout. Dans chaque ministère, il devrait y avoir des experts de santé publique. Ce que j’observe en ce moment, ce sont des crises en couches superposées. »

Cette vision séduit tout le monde. De même que l’idée de revoir les structures de pensée pour s’attaquer aux problèmes. Ça devient même le leitmotiv de la rencontre. Louise Arbour, qui siège au sein de la Commission globale sur les politiques en matière de drogues, un organisme créé par d’anciens chefs d’État d’Amérique latine, fait part de son expérience.

« Ces dirigeants ont expliqué qu’ils ne pourront jamais rien faire tant et aussi longtemps que les pays de consommation, avec leurs politiques stupides, feront en sorte que la demande augmentera tout le temps. Nous avons d’abord travaillé à briser les tabous qui empêchent de parler de la drogue comme d’un enjeu de santé publique. Il faut apprendre à inverser l’iceberg et se dire que 90 % du problème en est un de santé et 10 %, de criminalité. »

Cette envie de casser les vieux moules teinte à partir de là tous les sujets abordés, notamment l’éducation. Louise Arbour en profite pour s’en prendre au financement public des écoles privées. « Il faut absolument mettre un frein à cela ! » Elle est appuyée par les autres.

Pauline Marois évoque le mouvement École ensemble, qui milite pour un système d’éducation équitable en mettant fin à la « ségrégation scolaire causée par le réseau privé subventionné et celui du public sélectif ». « Monsieur le Chroniqueur, écrivez que nous appuyons totalement ce mouvement », réclame le groupe.

Après l’éducation arrive le costaud sujet de l’environnement et des changements climatiques. Avec une pointe d’ironie, Françoise David fait part de son étonnement d’avoir vu le ministre de l’Économie, Pierre Fitzgibbon, déclarer au beau milieu de l’été qu’il fallait réduire la taille du parc automobile au Québec. « Est-ce qu’on est en train de tester la température de l’eau ? »

« Toi et moi sommes des travailleuses sociales, ajoute Pauline Marois, avec le même ton ironique. Il faut avoir foi en la capacité de changement et de progression. N’oublie pas que saint Paul est tombé en bas de son cheval quand il a eu une révélation. »

« Oui, sur la route de Damas, ajoute Louise Arbour. Mais aujourd’hui, la route de Damas n’est pas très occupée. »

Françoise David reconnaît que les paroles de Pierre Fitzgibbon ont au moins la qualité de susciter un certain débat. « On est en train de comprendre que de partir son lave-vaisselle à 11 h le soir, ce n’est pas suffisant. Cette réflexion doit être collective. L’idée n’est pas de retourner vivre dans des grottes, mais il faut changer les choses. »

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Françoise David

C’est Louise Harel qui m’a dit un jour : “Tu sais, les gouvernements sont parfois aveugles, mais ils ne sont jamais sourds. Quand la voix du peuple s’élève, ils l’entendent.”

Françoise David

Cette crainte de désorganiser de vieux systèmes nous empêche d’avancer, pense Louise Arbour. « Dans les changements climatiques, le grand absent est la vraie vérité. Quand on s’attaque à ces choses-là, il ne faut pas avoir peur de dire qu’il y aura des gagnants et des perdants. Les gens qui travaillent dans les énergies fossiles, c’est eux qui seront les perdants. Et la politique devra s’occuper d’eux, pas juste avec une formation en recyclage. »

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La Dre Mylène Drouin, accompagnée de Pauline Marois, Louise Arbour et Françoise David

La récente rencontre des maires sur la crise du logement où toutes les parties (provincial, fédéral, municipal) se sont renvoyé la balle est remise sur le tapis. « Je pense que nous avons perdu la capacité de travailler ensemble, dit Pauline Marois. Je conviens que les sommets ne sont pas parfaits, mais il faut trouver des formules pour rassembler tout le monde. C’est possible de le faire, prenez l’exemple de Mourir dans la dignité ou le cas des tribunaux spécialisés. On a fait abstraction de la partisanerie. »

La santé publique, l’éducation, l’environnement, la crise du logement… Ce vaste programme ouvre l’appétit. Vivement le plat principal !

De l’ombre à la lumière

Avant que la pandémie de COVID-19 n’éclate, Mylène Drouin était peu connue du grand public. En quelques jours, elle a été propulsée à l’avant-scène. Elle a été curieuse de savoir comment les trois figures publiques qui étaient devant elles ont vécu, elles-mêmes, ce changement. Conteuse hors pair, Louise Arbour a raconté un épisode récent de son quotidien. « Je suis allée acheter de la nourriture pour mon chien dans un magasin des Laurentides, où j’habite. Le jeune homme à la caisse, voyant mon nom sur ma carte de crédit, m’a dit : ‟Êtes-vous LA Louise Arbour ?” J’ai donc pris mon air le plus modeste pour lui répondre et c’est alors qu’il a ajouté : ‟Celle qui élève des poules ?” Pauvre gars, il était tellement déçu que je ne sois pas celle-là. » Françoise David s’est souvenue de la fois où, alors députée, quelqu’un l’a interpellée dans la rue. « Il m’a déjà demandé si je jouais dans un téléroman. J’ai dit à cette personne que je travaillais plutôt à l’Assemblée nationale et que parfois, en effet, ça pouvait ressembler à un téléroman. »