Chacune dans leur domaine, ces quatre femmes ont pu bénéficier d’une forme de pouvoir qui leur a permis de changer des choses, un sujet incontournable au cours du repas. Comment utilise-t-on ce pouvoir ? Que ressent-on quand on le détient ? Ont-elles le souvenir précis d’un geste qui a fait une différence ?

Louise Arbour tient à faire la nuance entre le pouvoir et l’influence en revenant sur ses années comme professeure.

Les étudiants que tu croises par la suite te parlent de l’influence que tu as eue sur eux. Mais quand tu es juge, tu écoutes, tu décides et tu signes. Sous ton nom, c’est écrit ‟ordonne”, c’est exécutoire, ça va arriver. C’est beaucoup de pouvoir.

Louise Arbour

Pour bien exercer le pouvoir, Louise Arbour croit qu’il faut détenir toutes les cartes du jeu. « Je me souviens d’un collègue au Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme qui m’avait dit que nous étions une symphonie et qu’il fallait que j’apprenne à jouer ma partition correctement. J’ai répondu : ‟Écoute, je vais y aller à ton concert, mon baquet, mais à deux conditions : tu m’invites à toutes les répétitions et tu me donnes un petit solo de temps en temps.” »

Pauline Marois prend la balle au bond. « Il n’y a rien que je déteste plus que quelqu’un qui me cache une information. Ça, je ne le pardonne pas. Je me suis fait avoir quelques fois. Je ne suis pas rancunière, mais j’ai une bonne mémoire. »

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

De gauche à droite : Pauline Marois, Louise Arbour et Françoise David

Transmission des valeurs

Le pouvoir a plusieurs visages. Pour Françoise David, il repose sur la transmission de valeurs. « Il y a quand même une loi que j’ai réussi à faire passer, celle qui protège les locataires aînées de 70 ans et plus qui sont à revenus modestes. C’est tout petit, mais j’ai ressenti du grand bonheur. Rencontrer quelqu’un qui te dit qu’on lui a permis de rester dans son logement, ça valait les deux ans que ça a pris pour faire adopter cette loi de trois articles. »

L’un des faits marquants de la carrière de Louise Arbour demeure cet instant où elle a lancé un mandat d’arrêt contre l’ex-président serbe Slobodan Milosevic alors qu’elle était procureure générale au Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie. « Au fond, ce que je retiens de tout cela, c’est le jeu tactique et stratégique. Parfois, il y a dix coups sur l’échiquier et il ne faut pas que tu te trompes. J’adore ça ! J’aime les jeux de cartes, ce n’est pas pour rien. »

Captivée par les propos de Louise Arbour, Mylène Drouin confie qu’elle n’a aucun intérêt pour ces stratégies. « J’ai une équipe qui m’a aidée à cet égard durant la pandémie, mais ces jeux-là m’épuisent. »

Pauline Marois cause alors la surprise générale. « Croyez-moi ou pas, je n’ai aucun talent pour ça, dit l’ex-première ministre du Québec.

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Pauline Marois et Louise Arbour

Je dis souvent dans des formations en leadership : n’ayez jamais peur de vous entourer de gens qui sont plus forts que vous dans des champs pour lesquels vous sentez que vous êtes plus faible. Ne choisissez surtout pas des gens qui vous aiment et qui acquiescent à tout. Dieu que c’est mauvais.

Pauline Marois

Parmi les réalisations de Pauline Marois, la création des centres de la petite enfance et la mise sur pied d’une politique familiale trônent au sommet. « Tout cela relevait de plusieurs ministères. Je suis allée voir Lucien Bouchard et je lui ai demandé de me confier entièrement ce dossier s’il voulait que je livre la marchandise. Je ne voulais pas passer mon temps à me chicaner avec les collègues. J’avoue que lorsque la ministre Chrystia Freeland m’a dit qu’ils allaient reprendre ce modèle dans le reste du Canada, j’étais fière. »

La discussion va bon train. Les échanges sont vifs, l’écoute est grande, tellement que l’offre des desserts n’a pas un grand succès.

L’inévitable sujet de la souveraineté

Quelques minutes de cette rencontre ont évidemment été consacrées à la souveraineté du Québec. C’est Louise Arbour qui a abordé le sujet. « Quand j’étais à la faculté de droit, j’étais très souverainiste. Mais au fil du temps, j’ai été confrontée à ce que j’appelle la pathologie des nationalistes. Quand on découvre ce qui se cache derrière les crimes de guerre, on devient allergique à la proposition nationaliste. Le nationalisme, quand il atteint sa maturité, il vieillit mal. » Pauline Marois, on peut s’en douter, ne partage pas ce point de vue. « Le nationalisme peut bien vieillir. Un mauvais nationalisme est celui qui se replie sur lui-même, qui exclut, qui n’est pas capable d’accueillir, d’intégrer, qui n’est pas capable de diversité et qui veut imposer son modèle à d’autres. Je ne crois pas que ça soit un nationalisme qu’on pratique ici. Je pense que le Québec a quand même un cheminement très sain à cet égard. »