Pour adapter la carte électorale à la réalité démographique d’aujourd’hui, le Directeur général des élections du Québec (DGEQ) propose notamment de réduire le nombre de circonscriptions en Gaspésie.

Il faut évidemment corriger les inégalités de représentation, mais la démocratie ne se résume pas à un calcul mathématique.

Trois arguments devraient nous inciter fortement à chercher d’autres solutions que celle proposée par le DGEQ, en Gaspésie ou ailleurs.

La capacité réelle de parler aux gens

Quand une circonscription couvre 10 000 km⁠2, 50 municipalités, 2 régions administratives, 2 territoires de centre de santé et de services sociaux et 2 territoires de centre de services scolaire, comme ce serait le cas dans la nouvelle circonscription de Gaspé, il est IM-PO-SSI-BLE pour un député provincial de bien faire son travail. Il n’aura pas la capacité de défendre tous les dossiers importants de son coin de pays et, surtout, les citoyens ne le verront jamais en personne. Quand la taille des circonscriptions grandit, la capacité de les promouvoir ou de les défendre rapetisse d’autant. Belle recette pour augmenter, encore, le mépris de la politique.

De plus, dans les espaces urbains, les députés sont assez nombreux pour se partager le travail de représentation des enjeux locaux. Il y a 27 députés dans l’île de Montréal, 11 dans la capitale nationale, 5 sur le territoire de Gatineau. La lutte contre la pauvreté, les défis en santé ou en éducation, le développement social, le développement économique ou encore le mont Royal, le Vieux-Québec ou le parc de la Gatineau ne manqueront jamais de défenseurs. Toutefois, l’île d’Anticosti, les Îles-de-la-Madeleine, le Nitassinan (et peut-être bientôt la plus grande part de la Gaspésie) n’ont qu’un seul député chacun. Le modèle de représentation politique doit en tenir compte.

La capacité de représenter un territoire

Représenter une circonscription, ce n’est pas incarner l’addition de volontés individuelles, c’est porter un « nous » territorial. Quand des citoyens « députent » ⁠1 l’un des leurs à l’Assemblée nationale, ils désignent le représentant d’une terre habitée. Le député représente des gens, mais également un espace physique, administratif et humain, c’est-à-dire un territoire. Ce territoire est composé d’institutions particulières, d’une histoire, d’une sociologie, d’une géographie, d’une faune, d’activités économiques ou d’enjeux sociaux qui lui sont propres. Nous avons besoin d’élus qui connaissent les défis de tous les territoires du Québec et qui font la promotion de leurs atouts.

Par ailleurs, les régions ne constituent pas une richesse uniquement pour les gens qui les habitent, elles sont un bien collectif pour tout le Québec, elles doivent avoir les moyens de s’inscrire partout dans nos priorités nationales.

Consolider la démocratie

Ai-je besoin de rappeler que la démocratie va très mal, que la participation au vote diminue, que la crédibilité des institutions démocratiques s’affaisse ? Pour consolider la politique, il faut en faire plus, pas moins. Comment ? En la rapprochant des citoyens : la réforme proposée fait exactement le contraire. L’ancien député de Gaspé Gaétan Lelièvre parlait d’une réforme qui ajoute à « l’abrutissement de la politique, de la représentation des communautés ».

Pour que les gens se remettent à faire confiance à la politique, ils doivent sentir que leur élu est branché sur une communauté réelle, en ville comme ailleurs, ils doivent connaître leurs représentants, les voir à l’œuvre, les entendre expliquer leurs actions autrement qu’à travers un clip de 12 secondes ou une phrase et demie dans un article de 500 mots. Pour ce faire, les circonscriptions doivent être à échelle humaine.

Des solutions existent

Le DGEQ applique la loi. Les parlementaires, eux, peuvent la changer pour qu’elle tienne compte d’autres critères que le ratio élu/électeurs. Plusieurs avenues sont possibles.

Jean-François Lisée propose une solution qu’il vaut la peine d’explorer. En gros, il s’agit non pas de faire varier le nombre de circonscriptions, mais le poids du vote de chaque député à l’Assemblée nationale⁠2.

L’adoption d’un mécanisme de représentation proportionnelle tenant compte des réalités régionales serait aussi une solution idoine.

La meilleure solution reste, selon moi, l’ajout de circonscriptions. On respecterait à la fois le principe de la représentation démocratique équitable et l’impératif de représentation des territoires.

J’entends déjà des cris : ça coûte cher ! Les Ontariens ont déjà moins de députés que nous ! La belle affaire ! En nombre de députés par habitant, l’Assemblée nationale est sous la norme mondiale⁠3. Si notre objectif est de copier les autres nations, nous devrions donc augmenter la taille de l’Assemblée nationale. Si notre objectif est plutôt de consolider la démocratie, nous devrions, là aussi, augmenter la taille de l’Assemblée nationale. Matière à réflexion.

1. « Députer » est un vieux verbe qui veut dire envoyer quelqu’un en députation ; déléguer, élire. Il vient du latin deputare, assigner, et de putare, estimer (oui, estimer !).

2. Lisez le texte de Jean-François Lisée 3. Lisez la lettre du professeur Marc André Bodet dans Le Devoir Qu'en pensez-vous ? Participez au dialogue