Xavier Dolan réussit systématiquement à dépeindre des gens « ordinaires » dans ses films, sans basculer dans le mépris ou le jugement. Ces personnages attachants, comme la truculente veuve Diane Després (Anne Dorval) dans Mommy, ne s’expriment pas comme des diplômés de Brébeuf, mais ont le cœur accroché à la bonne place.

La télé québécoise, surtout en fiction, s’aventure rarement dans le territoire du « vrai monde ». Je déteste cette expression super cliché. Reste qu’elle décrit une importante frange de la population québécoise à peu près absente des téléromans et séries d’ici. La serveuse Sonia Moreau (Marie-Claude Morin) de L’échappée, la maman endeuillée Nancy Riopelle (Geneviève Schmidt) de District 31 et le bum Jean-Olivier Blanchette (Adam Kosh) dans Une autre histoire entrent dans cette catégorie.

Leurs vies, passées en mode survie, ont été rock’n’roll. Et pas de place pour l’écoanxiété dans leurs pensées.

Ce vrai monde-là, moi, je l’aime. Je le vois dans Les naufragés de l’amour (Canal Vie), Huissiers (V), Éboueurs (Canal D) et Un souper presque parfait (V). Je le retrouve aussi dans la nouveauté À table avec mon ex, qui a démarré lundi à 19 h sur les ondes de V.

PHOTO FOURNIE PAR V

Dany et Sylvie dans la téléréalité de V À table avec mon ex

La volubile Sylvie, aperçue dans le premier épisode d’À table avec mon ex, encapsule à elle seule la définition du « vrai monde ». Propriétaire d’une entreprise de camionnage, cette quinquagénaire bronzée parle fort, est directe et ne passe pas par Toronto pour se rendre à Chicoutimi, selon ses propres paroles.

Quand son ancien conjoint Dany « wake up, Dany, wake up ! » lui tend une paille en inox parce que le plastique détruit l’environnement, Sylvie répond : « Voyons, c’est quoi c’t’histoire-là ? » Sylvie est spontanée, comme sa chum de fille Linda, qui saupoudre chacune de ses phrases de « icitte » et de « toé ».

Le succès d’À table avec mon ex, qui dérive du concept britannique Eating With My Ex, dépend de l’authenticité des participants. Des Sylvie et des Linda, amenez-en. Leur vécu, leur langage coloré et leur franc-parler ravigotent les conversations qui s’enfoncent dans les banalités.

Et tout le plaisir de visionner À table avec mon ex réside dans les malaises gênants ou les vérités crues qui éclatent entre deux services de vin d’épicerie. Le titre de l’émission révèle d’ailleurs tout : pendant 30 minutes, nous dégustons un repas avec d’anciens amoureux, gais ou hétéros, qui espèrent arracher des excuses à l’autre, rallumer la flamme ou simplement se vider le cœur.

Quand les discussions s’enlisent, comme dans l’épisode de mardi soir, le moins bon jusqu’à présent, la production plante des questions croustillantes sur une assiette ou une carafe d’eau. M’as-tu déjà aimé ? Pourquoi as-tu menti ?

Si vous êtes du genre à baisser le ton uniquement pour entendre ce qui se jacasse sur la banquette d’à côté, À table avec mon ex vous rassasiera.

L’épisode d’hier, mettant en vedette les flamboyants Paolo, 19 ans, et Nidal, 24 ans, s’annonçait comme une séance de bitcherie intense. Alors, quoi de nouveau ? Euh, j’ai de nouvelles joues. T’as toujours trouvé mes rides de front laides ! Je t’ai payé du Botox pour m’excuser, non ?

Puis, coup de théâtre. À l’arrivée de la facture, la sincérité s’est invitée chez les deux anciens amants et le revirement est franchement étonnant, voire touchant.

À la narration, l’humoriste Ève Côté, la moitié des Grandes Crues, pourrait pousser ses gags encore plus loin. Ses flèches sont bien aiguisées, mais pourraient piquer davantage. Surtout quand une jeune concurrente, qui vient de se faire dire que son ex ne l’a jamais trouvée jolie, lui répond qu’il est, malgré tout, l’homme de sa vie. Allume, fille !

Relayé à 19 h du lundi au jeudi, À table avec mon ex (moyenne de 109 000 téléspectateurs) se fait dévorer tout rond par District 31, dont les cotes d’écoute tournent autour de 1,5 million d’accros.

« Dans le fond »

Regarder autant de téléréalité québécoise m’a rappelé combien tous les candidats, peu importe l’émission ou la chaîne, commencent toujours leurs phrases par l’expression « dans le fond ». Du genre : dans le fond, ce que tu veux me dire, c’est que tu me détestes, c’est ça ?

En fait, autant dans les chroniques à la radio que dans un souper d’amis, tout le monde se sert de cette béquille de langage. Dans le fond par-ci, dans le fond par-là, tendez l’oreille, c’est une épidémie.

« Dans le fond », c’est l’équivalent du « du coup » des Français ou du « basically » des anglos. On pourrait le remplacer par « en réalité » ou « après tout », mais non. On reste toujours dans le fond, bien dans le fond.

Pensez-vous que si on le touche, un jour, le fond, et que l’on se trouve littéralement dans le fond, on puisse remonter ?