(Québec) La commissaire à la santé et au bien-être critique durement le manque de leadership du ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) ainsi que son « attitude paternaliste » envers les aînés dans son rapport d’enquête sur la gestion de la première vague. Elle recommande de donner un « pouvoir explicite » au directeur national de santé publique pour informer le public de façon « indépendante ».

Le « Québec n’était pas prêt » à faire face à la pandémie, tranche la commissaire à la santé et au bien-être, dans son rapport d’enquête sur « la performance des soins et services aux aînés », dévoilé mercredi. Le constat de Joanne Castonguay est sans équivoque : elle conclut à « un échec collectif ». La première vague, au printemps 2020, a mené à la mort de 4836 personnes âgées en milieux d’hébergement pour aînés.

Joanne Castonguay montre du doigt l’absence d’un système de vigie efficace qui aurait pu démontrer tôt au début de la crise sanitaire que les personnes âgées étaient surreprésentées dans le nombre de cas d’infections.

« Certains indicateurs montraient un signal clair et précoce de la propagation de la pandémie dans les CHSLD au Québec. La compilation du taux de positivité par groupe d’âge et date de dépistage montre qu’une vigie performante aurait permis de reconsidérer rapidement la planification pandémique initiale qui priorisait les hôpitaux », a fait valoir la commissaire en conférence de presse.

PHOTO OLIVIER JEAN, ARCHIVES LA PRESSE

Joanne Castonguay

Il est maintenant notoire que le Québec a mis l’accent sur la préparation des hôpitaux et non sur les milieux de soins pour aînés. Le moment de la prise en charge de la crise dans les CHSLD a mené à des discours contradictoires de poids lourds du gouvernement Legault devant la coroner Géhane Kamel. La protectrice du citoyen a conclu pour sa part que rien n’a été fait pour les CHSLD avant mars 2020.

Mme Castonguay explique qu’elle n’avait pas le mandat de déterminer la chronologie des évènements. « De toute évidence, l’alerte n’a pas été sonnée au bon moment », a-t-elle précisé mercredi. « Ce que les gens nous disent, c’est qu’on a tardé à agir et que le système de vigie n’était pas approprié. »

L’absence d’un plan de pandémie à jour, « mis à l’essai et adapté à tous les types de milieux », a aussi été déterminante dans le triste sort connu par les milieux d’hébergement. Mme Castonguay conclut également que le transfert de patients des hôpitaux vers les CHSLD « n’ont pas été observé comme étant un facteur ayant contribué à la propagation du virus ».

Le ministre de la Santé, Christian Dubé, a promis de donner suite au rapport de la commissaire et assure que le MSSS est déjà à l’œuvre.

« Nous n’avons pas attendu jusqu’à aujourd’hui pour le faire, car des mesures ont été prises sur le terrain dès 2020, dont on a vu immédiatement les résultats au cours de la deuxième vague. Nos efforts se poursuivent, dans un souci d’amélioration continue, afin d’être mieux outillés lors de prochaines crises sanitaires, auxquelles nous serons mieux préparés. Ce rapport nous invite à adopter une nouvelle vision pour l’avenir, ce que nous nous engageons à faire, de concert avec nos partenaires », a-t-il indiqué dans un communiqué.

« Attitude paternaliste » envers les aînés

La commissaire n’est pas tendre à l’égard du MSSS dans son rapport intitulé « Le devoir de faire autrement ». Elle critique l’absence de leadership du ministère en ces temps de crise.

Mme Castonguay note notamment le « manque d’agilité des organismes ne disposant pas de processus décisionnel en contexte d’urgence » et la « sous-représentation de la réalité des milieux de vie et des besoins des aînés découlant de l’absence d’experts dans les comités décisionnels. »

Elle conclut même que le MSSS a une « attitude paternaliste à l’égard des aînés » dans sa gestion. « On pensait savoir ce qui était bon pour eux et on ne les a pas assez consultés dans le cadre de l’élaboration de la stratégie pour faire face à la pandémie », a-t-elle expliqué mercredi.

Le rapport dévoile également que les mesures de prévention et contrôle des infections (PCI) étaient largement déficientes et les équipements de protection individuelle étaient en nombre insuffisant. « Le partage des rôles et responsabilités était confus. Les conséquences pour les personnes âgées et le personnel soignant ont été dramatiques. Plusieurs situations, parfois inhumaines, ont été signalées », souligne-t-elle.

Pourquoi l’hécatombe est-elle survenue dans les CHSLD et résidences pour aînés pendant la première vague au Québec ? Joanne Castonguay fait quatre principaux constats.

  1. La gestion du système de santé en contexte de crise, indiquant que le Québec était mal préparé pour faire face à une pandémie.
  2. État du système de soins et de services aux aînés au moment d’entrer en pandémie (manque de main-d’œuvre, insuffisance d’encadrement du personnel, déficit d’expertise en matière de prévention et de contrôle des infections).
  3. La gouvernance défaillante des soins et des services destinés aux personnes âgées.
  4. La gouvernance générale du système de santé et de services sociaux.

L’organisation des soins aux aînés était par ailleurs problématique avant l’arrivée de la pandémie, ce qui a accentué les effets de la crise sur les milieux de soins, selon la commissaire.

Il y avait « plusieurs lacunes au moment d’entrer en pandémie : ressources financières, main-d’œuvre, encadrement du personnel, déficit d’expertise en prévention et contrôle des infections, carences dans l’organisation des soins médicaux en milieu de vie, déficience des systèmes de suivi et d’assurance qualité, déficience au niveau informationnel », cite-t-elle.

Plus d’indépendance pour la Santé publique

Parmi ses recommandations, la commissaire recommande de « donner un pouvoir explicite au directeur national de santé publique d’informer le public de façon indépendante ».

Elle écrit ceci : « Il est important d’assurer l’indépendance des avis scientifiques du directeur national par rapport aux décisions politiques pour améliorer l’adhésion et la confiance du public. La communication publique transparente par le directeur national de santé publique de ses avis et recommandations ainsi que des justifications en appui à ceux-ci témoignerait de cette indépendance ».

Après analyse, elle ne va pas toutefois jusqu’à demander de scinder le rôle du directeur national en deux (rôle de sous-ministre et directeur national de santé publique). « On a essayé de voir s’il y avait une différence dans les résultats de la gestion de la pandémie entre les provinces où le chef de la santé publique était indépendant du ministère de la Santé et l’inverse, et on ne voit pas d’impact. Personne ne peut dire si les résultats étaient meilleurs dans un cas comme dans l’autre », a-t-elle expliqué.

L’indépendance de l’ex-directeur national de santé publique, le DHoracio Arruda, qui a démissionné la semaine dernière, a été remise en cause à plusieurs reprises pendant la pandémie. Québec n’a pas fermé la porte à revoir le rôle du directeur national de santé publique.

Joanne Castonguay formule sept recommandations au gouvernement :

  1. Développer et adopter une stratégie nationale intégrée de préparation aux risques sanitaires
  2. Développer une culture de transparence en matière de politiques et de décisions relatives à la santé des populations
  3. Adopter un système d’évaluation des résultats en fonction d’une norme internationale reconnue pour soutenir la prise de décision (clinique, organisationnelle, gouvernance)
  4. Planifier et réguler l’offre de services d’hébergement selon les résultats attendus et selon un mode de financement équitable
  5. Appel à des solutions concertées pour rehausser la prestation des soins de santé et services sociaux dans les milieux de vie et renforcer leur coordination avec les services d’hébergement en milieu de vie.
  6. Renforcer le rôle stratégique de la santé publique
  7. Plan national pour un système de santé axé sur la valeur

« Responsabilité collective » et enquête publique

Les travaux de Mme Castonguay ne cherchent pas à trouver un coupable à l’hécatombe survenue dans les milieux de soins pour aînés. Elle ne fait d’ailleurs pas la chronologie des évènements, mais plutôt un état des faits selon les témoignages recueillis et la littérature scientifique. Dans son rapport, elle écrit également que « les constats et recommandations formulés […] ne cherchent pas à attribuer la responsabilité des conséquences de la crise à une organisation ou un responsable en particulier. »

La responsabilité à la crise que nous avons vécue est collective.

Joanne Castonguay

Alors que les partis d’opposition réclament d’une seule et même voix la tenue d’une enquête publique sur la gestion plus large de la pandémie par le gouvernement Legault, Mme Castonguay estime que les autorités ont maintenant « tout en main pour passer à l’action ». Ses travaux s’ajoutent à ceux de la coroner Géhane Kamel et de la protectrice du citoyen, Marie Rinfret, qui a déposé un rapport accablant en novembre.

Peu après la première vague de la pandémie, en août 2020, Québec avait confié à la commissaire à la santé et au bien-être, Joanne Castonguay, le mandat d’examiner la performance du réseau de la santé, en particulier les soins aux aînés, lors de la première vague de la pandémie de COVID-19. La période à l’étude est du 25 février au 11 juillet 2020. Il y a eu pendant cette période 5718 décès liés à la COVID-19, dont 4836 sont survenus dans différents milieux d’hébergement pour aînés.

Son rapport préliminaire, dévoilé en septembre dernier, avait donné le ton : la désorganisation des services, une mauvaise évaluation de la qualité des soins et le manque de données fiables ont « contribué au triste bilan de la première vague de la pandémie de COVID-19 pour les personnes âgées hébergées au Québec », concluait la commissaire. Elle relevait des « lacunes dans la gouvernance » qui expliquent, du moins en partie, le nombre élevé de morts durant la première vague.