Des récalcitrants reçoivent ces jours-ci leur première dose de vaccin contre la COVID-19. Témoignages.

Le couperet est tombé jeudi : la SAQ et la SQDC sont les premiers des commerces non essentiels qui fermeront désormais leurs portes aux personnes non vaccinées au Québec. Au moment de la progression galopante d’Omicron et de la ruée vers la troisième dose de vaccin, une poignée de récalcitrants relèvent leur manche… pour la première fois. Pourquoi maintenant ? Nous leur avons posé la question.

Le centre de vaccination du Stade olympique de Montréal était bondé jeudi. Entre le changement de quart du personnel de vaccination, les soldats de l’armée canadienne en renfort et les files d’attente de personnes venues recevoir leur troisième dose, des têtes sortaient du lot. Des personnes qui, à contre-courant de leurs croyances ou de leurs inquiétudes, avaient décidé de venir se faire vacciner contre la COVID-19 pour la première fois.

En une heure sur place, La Presse avait déjà parlé à quatre d’entre elles. La veille, plus de 1400 Québécois de 18 ans et plus avaient fait la même chose dans la province.

La grossesse avait retenu jusqu’à présent Fatiha Abdaoui, jeune mère de 36 ans, d’aller se faire vacciner. Elle craignait que le vaccin ait des effets secondaires sur la santé du bébé, a-t-elle expliqué à La Presse.

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Fatiha Abdaoui

J’étais enceinte, donc après l’accouchement, j’ai décidé d’avoir le vaccin.

Fatiha Abdaoui

La femme se déplaçait en fauteuil roulant à cause d’importants problèmes au dos. Sa petite fille est née en novembre dernier.

Vers un passeport vaccinal élargi

Le centre du Stade olympique est l’un des principaux lieux pour la vaccination sans rendez-vous à Montréal.

« Depuis les Fêtes, on en voit plus [des primovaccinés], et c’est vraiment une bonne nouvelle pour nous », a affirmé Caroline St-Denis, directrice de la vaccination au CIUSSS de l’Est-de-l’Île-de-Montréal, en entrevue sur place. « Et c’est une tendance qui semble se maintenir. »

Cette hausse s’apparente, selon Mme St-Denis, à ce qui a été observé lors de l’instauration du passeport vaccinal en septembre dernier.

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Caroline St-Denis, directrice de la vaccination au CIUSSS de l’Est-de-l’Île-de-Montréal

En plus des mesures déjà en place, le gouvernement du Québec a annoncé jeudi que le passeport vaccinal allait être élargi à la Société des alcools du Québec (SAQ) et à la Société québécoise du cannabis (SQDC) à partir du 18 janvier. Des rumeurs à ce sujet circulaient depuis quelques jours.

D’autres commerces non essentiels, comme ceux qui offrent des soins corporels, seront bientôt aussi visés par cette mesure, a prévenu Christian Dubé, ministre de la Santé et des Services sociaux, lors d’un point de presse. Les détails seront dévoilés dans les prochains jours.

Pour certains, les restrictions ont eu raison des appréhensions. C’est notamment le cas de Mohamed Tazi, jeune homme qui a tenté sa chance pour une dose sans rendez-vous.

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Mohamed Tazi

Avant, j’étais contre [le vaccin], mais j’ai changé d’avis. Ça ne sert à rien d’être contre. Je veux faire ma vie sans être enfermé.

Mohamed Tazi

Une vision partagée par Fares Kouahi, qui avait pris rendez-vous pour être vacciné jeudi. « Il y a plusieurs choses que je ne peux pas faire, comme aller dans les cafétérias et les restaurants, a-t-il expliqué. Je n’ai plus le choix. »

C’est l’interdiction de prendre l’avion qui a amené Emmanuelle Lacasse dans la file d’attente du centre de vaccination jeudi. En début de semaine, elle avait prévu se rendre au Mexique avec la compagnie aérienne Aeroméxico. Cette entreprise, croyait-elle, n’exigeait pas le passeport vaccinal. Or, avoir reçu deux doses de vaccin est une exigence du gouvernement fédéral pour monter à bord d’un train ou d’un avion au Canada depuis le 30 octobre.

« Rendue à l’aéroport, on m’a refusé le droit de quitter le pays ! s’est-elle insurgée. Je n’avais pas tant senti les autres restrictions, comme dans les restaurants, parce qu’il y avait toujours moyen [de les contourner]. »

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Emmanuelle Lacasse

Mais quand je suis venue prendre l’avion, ça m’a vraiment fait comme une claque dans la face. Je me suis sentie emprisonnée. J’en pleure encore.

Emmanuelle Lacasse

Pas encore une tendance

La tendance observée au centre de vaccination du Stade olympique reste toutefois localisée et ne reflète pas une augmentation généralisée du nombre de premières doses administrées quotidiennement dans la province

Selon les données du ministère de la Santé et des Services sociaux, le nombre moyen de premières doses administrées au cours des sept derniers jours est de 850, soit près de la moitié du nombre de premières doses administrées à la mi-novembre, qui s’élevait alors à plus de 1600.

« Depuis le début de janvier, nos sites de vaccination ne reçoivent pas davantage de personnes âgées de 18 ans et plus pour leur première dose de vaccin qu’avant les Fêtes », a indiqué par courriel Véronique Bernier, relationniste pour le CISSS des Laurentides. Dans cette région, 640 premières doses avaient été administrées entre le 23 et le 29 décembre, comparativement à 414 entre le 30 décembre et le 5 janvier.

À Montréal, aucune hausse significative n’a été observée du côté des CIUSSS du Nord et de l’Ouest-de-l’Île-de-Montréal.

« Il y a toujours des personnes de plus de 18 ans qui vont chercher leur première dose de vaccin, même près d’un an plus tard, a aussi précisé Jean-Nicolas Aubé, responsable des relations avec les médias au CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal. C’est difficile à notre niveau d’évaluer s’il s’agit d’une recrudescence. »

Avec la collaboration de Pierre-André Normandin, La Presse

La brèche Omicron

La « charge d’anxiété » liée à la très grande transmission du variant Omicron peut convaincre certaines personnes de recevoir une première dose, selon Geneviève Beaulieu-Pelletier, psychologue, conférencière et professeure associée à l’Université du Québec à Montréal. Pour d’autres, l’ampleur de la situation leur fait prendre du recul par rapport aux discours opposés aux mesures sanitaires. « Quand il y a un doute, cela ouvre une brèche pour réfléchir différemment », explique Geneviève Beaulieu-Pelletier. Des restrictions plus sévères – comme l’extension du passeport vaccinal – peuvent toutefois ancrer certaines personnes dans leurs croyances, prévient la psychologue. Et même si une certaine partie des gens se font vacciner parce qu’ils s’y sentent contraints, cela ne permet pas de leur faire comprendre l’importance des mesures instaurées, soutient-elle.

Florence Morin-Martel, La Presse