(Lac-Simon, Abitibi) « Bienvenue à Lac-Simon pour un séjour sans COVID ! »

Daniel Pien ne cache pas sa fierté en nous accueillant devant la guérite temporaire qui fait désormais partie du paysage à l’entrée de la réserve anishnabe, nichée près de Val-d’Or, dans le parc de La Vérendrye.

Depuis un an, la communauté de plus de 1000 habitants a réussi un exploit dont peu peuvent se vanter. Il n’y a eu ici aucun cas de COVID-19 depuis mars 2020.

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À Lac-Simon, communauté de 1000 habitants, il n’y a eu aucun cas de COVID-19 depuis mars 2020.

La digue a même tenu lorsque l’Abitibi a lutté contre une montée du variant B.1.351, communément appelé variant sud-africain, au printemps 2021.

Certains diront que c’est l’isolement qui a protégé la réserve. Cela serait de minimiser grossièrement tous les efforts qu’il a fallu pour tenir à distance le coronavirus.

Chaque jour, plus de 100 personnes – enseignants, travailleurs de la santé, intervenants sociaux, entrepreneurs en construction, policiers – entrent à Lac-Simon. Sans compter les membres de la communauté qui se rendent régulièrement en ville. La maladie avait tous les moyens de s’infiltrer. Mais elle ne l’a pas fait. Pourquoi ?

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Chaque jour, une centaine de personnes entrent à Lac-Simon.

Disons qu’on a pris ça très au sérieux dès le début. On est surpeuplés ici. Il y a une famille qui vit à 21 dans la même maison. Si la COVID rentre, tout le monde est malade.

Daniel Pien, coordonnateur des mesures d’urgence et pandémie

Les mesures, mises en place avant même que Québec décrète l’état d’urgence sanitaire le 13 mars 2020, sont extrêmement contraignantes. Malgré leur sévérité de loin supérieure à celles instaurées par les gouvernements provincial et fédéral, elles ont été suivies à la lettre.

« Nous, on trouvait que c’était le gouvernement du Québec qui était en retard », raconte Lucien Wabanonik, élu au conseil de bande.

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Lucien Wabanonik, conseiller de La nation Anishnabe de Lac-Simon

Notre mémoire collective a été frappée par d’autres grandes épidémies. Il y a eu la petite vérole. Puis la grippe espagnole. On a des familles complètes qui ont été décimées, qui n’existent plus. Les gens le savent.

Lucien Wabanonik, conseiller de la nation Anishnabe de Lac-Simon

Les membres des Premières Nations et les Inuits ont été ciblés par le gouvernement du Canada comme faisant partie des groupes à risque et priorisés pour la vaccination. Vivant dans des foyers souvent multigénérationnels et surpeuplés et aux prises avec des taux plus élevés de diabète, de maladies chroniques et d’obésité que la moyenne de la population, ils sont hautement vulnérables. (ACCROCHER CAPSULE 2)

« Ça me fait très peur », confie Malynda Thusky, 29 ans, mère de quatre enfants. La jeune femme n’a pu être vaccinée au cours de l’hiver en même temps que ses concitoyens parce qu’elle était enceinte.

N’entre pas qui veut à Lac-Simon

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Un signe d’arrêt en langue algonquine, à l’entrée de Lac-Simon

Pour aller à Lac-Simon de Montréal, il faut traverser la réserve faunique de La Vérendrye. Une trentaine de kilomètres avant d’arriver à Val-d’Or, on prend à droite sur un petit chemin qui traverse la forêt aux arbres encore nus en ce mois de mai. En temps normal, on roule librement sur environ un kilomètre avant d’entrevoir l’épicerie, annoncée au bord de l’autoroute et habituellement ouverte aux campeurs et aux voyageurs.

Pas cette année.

Dès les premiers mètres, le chemin est barré par des cônes orange et un signe d’arrêt en langue algonquine, Kibiskan. On immobilise la voiture devant une cabane en bois et une roulotte installée à la hâte en mars 2020, le temps d’expliquer à un employé masqué la raison de notre visite. N’entre pas qui veut. Avant de nous mettre en route, il a fallu remplir un questionnaire détaillé sur nos allées et venues des derniers jours. L’identité de tous les étrangers est ainsi contrôlée depuis le tout début.

Mais ça, ce n’est rien.

Durant six semaines à l’époque du premier confinement, la communauté a été complètement bouclée. Ni entrées ni sorties. La population n’a pas eu le droit de quitter le territoire de Lac-Simon, sauf pour aller en forêt. Pas même question d’aller faire des achats dans les commerces essentiels de Louvicourt, le village voisin, ou de Val-d’Or. « On faisait livrer le nécessaire par camion à notre épicerie », explique la vice-chef, Pamela Papatie.

Avant de permettre de nouveau les allées et venues, tous les résidants désireux de sortir de la réserve ont eu à suivre une formation obligatoire sur les mesures sanitaires dans le gymnase de l’école. Idem pour certains membres du personnel allochtone appelé à travailler sur le territoire anishnabe.

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Pamela Papatie, vice-chef de Lac-Simon

On a parlé du masque, du lavage des mains, de l’importance de la distanciation sociale et du fait de ne pas toucher aux aliments à l’épicerie.

Pamela Papatie, vice-chef de Lac-Simon

« On leur a expliqué à quoi s’attendre quand ils iraient à Val-d’Or. On leur a parlé des files d’attente devant les magasins. On voulait les préparer », poursuit Mme Papatie, qui précise que quelque 600 personnes ont été formées.

Ces gens ont ensuite reçu une vignette à installer sur le rétroviseur de leur véhicule pour indiquer aux employés du point de contrôle qu’ils avaient gagné la permission de circuler.

Dans la même optique, on a fourni aux travailleurs habituels venant de l’extérieur des vignettes de couleurs différentes selon leur titre d’emploi pour qu’ils n’aient pas à remplir chaque fois un questionnaire ou à s’arrêter à l’entrée de la communauté. Le conseil de bande leur a interdit de voyager en zone rouge. S’ils le font quand même, ils doivent fournir un résultat de test COVID-19 négatif ou faire 14 jours de quarantaine chez eux avant de retourner travailler à Lac-Simon.

Toutes ces règles sont maintenues même si la population est aujourd’hui largement vaccinée. Il faut protéger les enfants, dit Mme Papatie. « Au début, il y a des gens qui trouvaient qu’on exagérait. Maintenant, ils voient qu’on avait raison », sourit la vice-chef.

L’exception Lac-Simon

Difficile de savoir combien de villes et villages ont réussi, comme Lac-Simon, à se protéger entièrement de la COVID-19. Il n’existe pas de bilan provincial public des cas par municipalités. Mais selon le bilan par réseaux locaux de services, lesquels découpent le Québec en 93 sous-régions, seul Kawawachikamach, un territoire naskapi sur la Côte-Nord, ne compte aucune infection au coronavirus depuis le début de la Pandémie. Même le Nunavik, qui est particulièrement isolé, a eu une cinquantaine de cas.

27 564

Nombre de cas de COVID-19 déclarés dans des communautés des Premières Nations au Canada depuis le début de la pandémie. On en compte seulement 726 au Québec.