La quatrième vague frappe le Japon. Elle inonde désormais les villes de Tokyo et d’Osaka, où l’état d’urgence instauré en avril sera maintenu jusqu’à la fin de mai. Elle refroidit l’enthousiasme de la population pour la tenue des Jeux olympiques, qui doivent ouvrir dans moins de trois mois. Et elle pourrait emporter le gouvernement du premier ministre Yoshihide Suga, dont la gestion de la crise est de plus en plus critiquée.

Un sondage mené durant le week-end dernier par le quotidien Yomiuri Shimbun a révélé que 59 % des répondants souhaitaient l’annulation des Jeux olympiques, qui doivent se tenir à Tokyo à partir du 23 juillet. Un second sondage, réalisé pour la chaîne TBS News, précise que 28 % des répondants veulent qu’on reporte les Jeux pour la deuxième fois, et 37 % veulent carrément les annuler.

« En ce moment, à Tokyo, on demande aux gens de ne pas sortir de chez eux, sauf pour des raisons indispensables », dit Yves Tiberghien, codirecteur du Centre pour la recherche japonaise à l’Université de Colombie-Britannique. « Des tas d’activités, notamment pour les enfants, sont donc annulées. Par contre, les Jeux olympiques, eux, sont classés comme indispensables. On commence donc à sentir des tensions dans la société à ce sujet. »

Shingo Takahashi, professeur dans la région de Sapporo, dans le nord du pays, est de ceux qui pensent que les Jeux devraient être annulés. « Je crois qu’il est plus important que le gouvernement se concentre sur la gestion de la crise du coronavirus », nous a-t-il écrit.

Je ne crois pas que presque tous les Japonais seront vaccinés dans quelques mois. Je ne crois pas non plus que les ressources médicales sont suffisantes pour tenir les Jeux olympiques.

Shingo Takahashi, professeur dans la région de Sapporo

Lundi, le premier ministre Suga s’est défendu de vouloir tenir les Jeux coûte que coûte, malgré la pandémie. Les sondages ont par ailleurs montré que sa cote de popularité était maintenant autour de 40 %. « Ma priorité a toujours été de protéger les vies et la santé de la population japonaise. Nous devons d’abord empêcher la circulation du virus. »

PHOTO HIRO KOMAE, ARCHIVES REUTERS

Yoshihide Suga, premier ministre du Japon

Hausse des cas

Et ce virus s’est d’ailleurs remis à circuler dans l’archipel. Le niveau n’a pas encore atteint le sommet de la troisième vague à la mi-janvier (50 nouveaux cas par million d’habitants), mais s’en approche. Ce taux reste cependant beaucoup moins élevé qu’ailleurs dans le monde.

N’empêche, cette hausse constante depuis la fin de mars inquiète les Japonais et alimente les critiques du gouvernement Suga. Jusqu’ici, le Japon s’est assez bien tiré d’affaire, note Yves Tiberghien, notamment en raison de la cohésion sociale, d’une gestion efficace dans les maisons de retraite et de l’adoption très rapide des consignes sanitaires par la population. « Il y a des pratiques anciennes du port du masque », rappelle-t-il. Les Japonais évitent généralement les contacts physiques comme les poignées de main ou les bises.

C’est donc la société qui a naturellement adopté ces comportements, elle n’a pas eu besoin d’un État pour l’ordonner.

Yves Tiberghien, codirecteur du Centre pour la recherche japonaise à l’Université de Colombie-Britannique

Heureusement par ailleurs, parce que le gouvernement a été assez lent à mettre en place des mesures comme le dépistage et la fermeture des frontières, note M. Tiberghien. Le nombre réel des décès dus à la COVID-19 au Japon — près de 11 000 personnes — pourrait même être jusqu’à 10 fois plus élevé que ce que les autorités ont rapporté, selon une étude publiée par l’Université de Washington le 6 mai.

Mardi, les autorités de la préfecture d’Osaka ont révélé que le taux d’occupation aux soins intensifs des hôpitaux de la ville était maintenant de 96 %. Les hôpitaux auraient commencé à faire du délestage, repoussant l’admission de patients atteints de cancer ou de maladies cardiaques, a déclaré à l’agence Reuters Yasutoshi Kido, professeur à l’École de médecine de l’Université d’Osaka.

Vaccination à la traîne

Et cette quatrième vague frappe au moment où la campagne de vaccination peine à décoller dans l’archipel. Pas plus de 3 % des Japonais ont reçu une première dose de vaccin jusqu’ici.

Plusieurs raisons expliquent ce retard, dit Yves Tiberghien. D’abord, les sociétés pharmaceutiques installées au Japon n’ont pas réussi à créer un vaccin efficace contre le virus. Ensuite, parce que le gouvernement japonais a tardé à passer ses commandes. « Le gouvernement disait : ‟Nous, ça va, on n’a pas de COVID parce qu’on a de bonnes pratiques sociales.” »

Mais également parce que la loi japonaise oblige la tenue d’essais cliniques au Japon avant d’autoriser un nouveau médicament. Le vaccin de Pfizer a donc été approuvé à la mi-février, mais les vaccins de Moderna et d’AstraZeneca ne le sont pas encore. La vaccination des personnes âgées et des travailleurs de la santé a commencé, mais celle du reste de la population ne sera pas en branle avant le mois de juillet.

PHOTO KAZUHIRO NOGI, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Un agent de santé injecte une dose du vaccin de Pfizer-BioNTech à une femme âgée, dans le village de Kitaaiki, dans la préfecture de Nagano, au Japon.

« C’est très lent », reconnaît Daisuke Watanabe, agent immobilier de Sapporo, dans un message à La Presse. « Ça me rappelle le temps où le Japon a étendu le réseau internet à haute vitesse au début des années 2000. Comparé à d’autres pays, ça a pris un bon moment pour que le réseau soit en place, mais une fois parti, ç’a été rapide. J’espère que ce sera la même chose. »

Les autorités espèrent avoir vacciné tous les Japonais de plus de 16 ans à la fin de septembre. Ce même mois, le premier ministre Suga devra affronter le congrès de son parti libéral-démocrate, qui décidera s’il lui renouvelle sa confiance avant les élections législatives qui se tiendront en octobre.

« Le premier ministre manque de leadership et ne sait pas où il s’en va », dit Daisuke Watanabe, qui estime que l’ancien chef Shinzo Abe aurait mieux géré la situation.

« Suga a très peu de temps devant lui », observe M. Tiberghien. S’il annule les Jeux olympiques, il risque de s’aliéner les électeurs nationalistes qui tiennent à l’évènement. « Par contre, si jamais il y a une éclosion, ou si c’est mal géré, ça pourra tourner au cauchemar pour lui. »

Nombre de nouveaux cas quotidiens par million d’habitants (en date du 10 mai 2021)

France : 261

Canada : 192

États-Unis : 117

Québec : 78

Japon : 42

Royaume-Uni : 33

Sources : ourworldindata.org, INSPQ

Nombre cumulatif de décès par la COVID-19 confirmés, par million d’habitants (en date du 10 mai 2021)

Royaume-Uni : 1884

États-Unis : 1759

France : 1568

Québec : 1283

Canada : 653

Japon : 86

Sources : ourworldindata.org, INSPQ

Proportion de la population qui a reçu au moins une dose de vaccin

Royaume-Uni : 52 %

États-Unis : 46 %

Québec : 43 %

Canada : 40 %

France : 27 %

Japon : 3 %

Sources : ourworldindata.org, INSPQ