(Shebrooke) L’homme est couché dans son lit de l’unité de soins intensifs de l’Hôtel-Dieu de Sherbrooke. Intubé. Branché de partout pour être maintenu en vie. Il a la COVID-19. À son chevet, l’infirmier Philippe Tremblay porte un masque N95, une visière, une blouse de protection et des gants. Il s’active depuis près d’une heure et semble avoir chaud. Deux technologues en imagerie médicale font une radiographie des poumons du patient. Une deuxième infirmière est aussi dans la pièce pour collaborer aux manœuvres.
À l’extérieur de la chambre, Sylvain Samson, chef de service des soins intensifs, observe la scène. « Ça demande beaucoup plus d’effectifs un patient COVID », note-t-il. Au poste de garde, Valérie Roy vient de sortir de la chambre d’un autre patient. « Je suis fatiguée. Tannée. Épuisée. C’est décourageant, tous ces cas qui augmentent… Surtout qu’on n’a pas plus de monde pour nous prêter main-forte… », dit l’infirmière, qui travaille aux soins intensifs depuis 10 ans.
Alors que le nombre de nouveaux cas de COVID-19 a fracassé la barre des 5000 mardi dans la province, à l’Hôtel-Dieu du Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke (CHUS), on se prépare à voir arriver un nombre important de patients en détresse. On craint le contagieux variant Omicron. Car déjà, on est surchargé. « C’est pas après Noël que ça va commencer à aller mal. C’est là, là. Maintenant. On dit que la capacité de lits COVID sera atteinte le 8 janvier. Mais ici, ce sera bien avant. Déjà, on est saturé », dit Madeleine Ducharme, coordonnatrice des soins intensifs et de la traumatologie au CIUSSS de l’Estrie-CHUS.
Celle-ci le reconnaît : cette nouvelle vague de la pandémie est particulièrement difficile à vivre pour les travailleurs de la santé. « Parce qu’on leur dit depuis des mois que la ligne d’arrivée est là. Mais la ligne d’arrivée est finalement toujours repoussée… », dit-elle.
Des cas lourds
À l’étage des soins intensifs de l’Hôtel-Dieu lundi, quatre patients étaient soignés pour la COVID-19. Un autre risquait de s’ajouter. Leur âge ? De 40 à 85 ans. Des non-vaccinés surtout, mais pas uniquement. Quatre patients, cela peut sembler peu. Mais les équipes sont déjà étirées au maximum. L’unité de soins intensifs peut en théorie accueillir 16 patients. Actuellement, seulement 12 lits sont ouverts par manque de personnel.
Les patients COVID sont souvent hautement instables. Ils ont besoin d’oxygène. Et d’une surveillance étroite. Alors qu’une infirmière peut prendre soin de deux patients en temps normal, pour un patient COVID, c’est une infirmière par patient. Et parfois plus. « Un patient COVID, ça nous demande le double d’énergie. Tu fais attention. Tu ne veux pas te contaminer. S’il va mal, tu ne peux pas entrer aussi vite que tu voudrais. Tu dois tout t’habiller », dit l’infirmier Styve Roy, qui travaille aux soins intensifs depuis 22 ans.
Ce dernier sort justement de la chambre d’un homme atteint de la COVID-19. Il retire sa visière et sa blouse de protection. « Je suis fatigué. C’est l’usure », dit-il.
Chaque fois qu’on pense que ça va aller mieux, ça recommence. Ça recommence tout le temps…
Styve Roy, infirmier aux soins intensifs
Sa motivation, il la puise entre autres chez ses patients. « Comme cet homme, dit-il en montrant la chambre d’où il sort. C’est une perle. » Certains patients sont « dans le déni » par rapport à la pandémie, reconnaît M. Roy. « Ça nous confronte », dit-il.
Mais pour l’infirmier, ce qui est le plus difficile, c’est le fait d’entrer au travail et de ne jamais savoir à quelle heure il en sortira. Et plus le nombre de patients COVID est élevé, plus la possibilité de devoir faire du « temps supplémentaire obligatoire » augmente. « C’est comme l’image du couperet. On ne sait jamais quand ça tombera sur nous. Pour la vie familiale, c’est difficile. Si je rentre travailler et que mon enfant a une activité le soir, je ne sais jamais si je pourrai y aller », dit M. Roy, père de deux enfants.
Chaque patient COVID reste en moyenne 10 jours aux soins intensifs. Et ensuite 21 jours hospitalisé. Un patient « traditionnel » des soins intensifs peut y rester seulement 24 heures après une intervention chirurgicale, par exemple.
Manque de personnel
Avec les cas de COVID-19 qui atteignent ces jours-ci des niveaux inégalés depuis le début de la pandémie, le ministère de la Santé et des Services sociaux a demandé au réseau « de se préparer et d’augmenter potentiellement sa capacité de lits d’hospitalisation et de soins intensifs », explique le président de la Société des intensivistes du Québec, le Dr Germain Poirier. Au CHUS, on veut faire passer le nombre de lits de soins intensifs de 12 à 14. « Je veux bien, mais… », soupire M. Samson, qui ne sait où il trouvera du personnel.
En 2020, le CIUSSS de l’Estrie-CHUS avait fait un recensement pour savoir combien d’infirmières avaient déjà travaillé aux soins intensifs, une unité de pointe qui demande une formation de six mois ou plus. Elles étaient 130 identifiées comme pouvant aller y prêter main-forte au besoin. Elles ne sont plus que 50 disponibles.
« Il y a eu des départs, des maternités, des maladies… », explique Mme Ducharme. Et ces 50 infirmières travaillent déjà ailleurs dans l’hôpital. « Si je les fais venir aux soins intensifs, je découvre un autre secteur. Je vise qui ? Le bloc opératoire ? La néonatalogie ? Les urgences ? C’est des choix déchirants », dit Mme Ducharme.
Certes, les travailleurs absents sont pour l’instant moins nombreux qu’à la première vague dans le réseau de la santé. Ils sont environ 4200 absents contre près de 12 000 au plus fort de la première vague. Mais contrairement au printemps 2020, les autres activités de l’hôpital se poursuivent pour l’instant, affirme le Dr Marc-André Leclair, intensiviste.
Mais si les cas de COVID-19 continuent d’augmenter et que les services de soins intensifs deviennent trop occupés, « on va le convertir à 100 % COVID », dit Mme Ducharme. Du délestage devrait se faire. Et si les soins intensifs devenaient débordés, des infirmières non formées pourraient venir y travailler, appuyées par une partenaire d’expérience, explique Mme Ducharme.
Selon le Dr Leclair, il ne faut vraiment pas pour l’instant brandir le spectre du redouté « protocole de priorisation aux soins intensifs ». Protocole qui aide à déterminer quel patient bénéficie de soins en cas de débordement. Ce protocole ne serait utilisé que si les lits de soins intensifs de partout dans la province étaient utilisés à 200 %. « Et on n’est vraiment pas là », dit-il.
D’après Mme Ducharme, selon la manière dont frappera Omicron, ce pourrait être les lits réguliers d’hospitalisation de patients COVID qui débordent rapidement.
La vague nous rentre dedans depuis trois semaines ici, à Sherbrooke. Et là, on voit la “vraie” vague arriver. Et on a peur. On voit les hospitalisations augmenter…
Madeleine Ducharme, coordonnatrice des soins intensifs et de la traumatologie au CIUSSS de l’Estrie-CHUS
« On se prépare au pire »
À l’unité COVID de l’Hôtel-Dieu de Sherbrooke, deux employés discutent devant les chambres de patients atteints. L’un d’eux tousse à s’en défoncer les poumons. Sur sa porte est inscrit en jaune le mot « isolement ». Et une affiche indique que pour pénétrer dans la pièce, il faut porter un masque N95.
Coordonnatrice des unités de médecine à l’Hôtel-Dieu, Myrthe Langeveld explique que 25 patients sont actuellement soignés à l’étage COVID. Pour l’instant, il y a très peu de cas de variant Omicron. Celle-ci espère que ce variant ne frappe pas trop durement la majorité des gens et que les hospitalisations « restent stables ». Mais l’incertitude est encore grande. Mme Langeveld et son équipe se préparent donc à augmenter leur capacité de lits COVID à 40. Voire plus.
« On peut ajouter des lits, mais plus on ajoute des lits, plus de patients avec autres choses ne pourront pas venir à l’hôpital parce qu’il n’y aura pas de lits ni de personnel pour eux. On prie fort pour que les hospitalisations se maintiennent… Mais on se prépare au pire », dit Josée Thompson, cheffe de service de l’unité COVID de l’Hôtel-Dieu.
Un « recommencement » à chaque nouvelle vague
L’infirmière Karine Francœur travaille depuis mars dernier à l’étage COVID de l’Hôtel-Dieu. Le moral est-il bon ? « Ça dépend des jours. Là, on voit que les cas augmentent. Et ça finit par se sentir ici. Pour chaque deux patients qui sortent, on en rentre trois… », dit-elle.
La Dre Catherine St-Pierre sort de la chambre d’un patient en coup de vent. Elle le reconnaît : chaque nouvelle vague « est un recommencement qui n’est pas facile pour le moral ». Ce qui l’inquiète actuellement : le fait que certains patients qu’elle soigne à l’étage COVID soient doublement vaccinés.
Ils sont très déçus. Mais on espère qu’ils ne seront pas trop nombreux à être infectés avec Omicron.
La Dre Catherine St-Pierre, à propos de patients doublement vaccinés atteints de la COVID-19
Selon Mme Langeveld, les intervenants de la santé sont aujourd’hui mieux outillés en termes de traitement pour soigner les patients atteints de la COVID-19. « Mais on manque beaucoup plus de gens que l’an passé… », dit-elle. Plus de patients en fin de soins actifs occupent aussi des lits à l’Hôtel-Dieu. Ils sont 160 à attendre une place en CHSLD, en réadaptation ou dans une autre ressource intermédiaire pour obtenir leur congé de l’hôpital. « Ils étaient environ 110 à pareille date l’an passé. Et peut-être 60 ou 70 à la première vague », dit-elle.
Dans le brouhaha de leur journée, les travailleurs ont peu de temps à accorder à La Presse. Mais ils prennent le temps de le faire. Des vacances de Noël ? Pour certains peut-être. Mais pas très longues. Et surtout : pas de grand rassemblement. Car les conséquences pour eux sont loin d’être théoriques. « Si votre reportage peut faire prendre conscience au monde que c’est pas des jokes, ce serait le fun », dit l’infirmier Styve Roy.
327
Nombre de lits d’hospitalisation occupés au Québec mardi, soit une hausse de 42 % sur une semaine
88
Nombre de lits de soins intensifs occupés au Québec mardi, soit une hausse de 17 % sur une semaine