(Ottawa) L’homme ne se livre pas souvent ; son discours est répété, les émotions qu’il affiche, toujours calculées. Quand il dit « Je comprends à quel point c’est vraiment plate d’être dans cette situation-ci », en parlant de la pandémie, le regard appuyé, le rodage est apparent.

Justin Trudeau n’a pas envie de parler de lui-même. Une de ses lignes préférées, lorsque ses adversaires politiques l’attaquent : Pendant que l’opposition se concentre sur moi, moi, je me concentre sur les Canadiens.

Il va donc esquiver, autant que possible, mais il finira par offrir quelques admissions… oh, une toute petite brèche.

« À un niveau personnel, c’est épuisant », confie-t-il, en entrevue de fin d’année avec l’équipe de La Presse Canadienne, à Ottawa, qui veut savoir à quel point la gestion de la pandémie lui pèse.

Ça fait 21 mois que la COVID-19 occupe, obsède, surprend son gouvernement.

« C’est tough sur ma famille. C’est tough sur moi. C’est sûr. Mais on arrive à avoir un impact […] », dit-il en s’animant tant que le masque glisse sur le bas de son nez pendant son déluge de mots.

Il veut brandir la preuve que si tout n’est pas « licornes et arc-en-ciel », ce n’est pas non plus que du sombre.

Un système national de garderies à 10 $ par jour, partout ou presque (l’Ontario y résiste encore), c’est « grâce » à la pandémie.

« On est en train de livrer des systèmes de garderies style Québec, à travers le pays. On n’aurait jamais pu faire ça sans pandémie. Ce n’était pas dans notre plateforme en 2019. C’est justement la pandémie, où les gens se sont rendu compte, “ oh mon dieu, les garderies, c’est important ”. Ben oui, c’est important. Et on a pu livrer à travers le pays. On n’aurait pas pu le faire [sinon] », souligne-t-il.

Une nouvelle relation avec les Premières Nations, sur le sentier de la réconciliation, c’est « grâce » à la pandémie.

« On est en train de transformer les relations avec les peuples autochtones. Et d’ailleurs, d’avoir été là pour les protéger tellement pendant une pandémie qui aurait été mille fois plus dévastatrice pour les peuples autochtones, nous a permis d’avancer », croit-il.

Et il se réfugie autant qu’il peut dans un message déjà scénarisé.

Moi, ce n’est pas parce que je trouvais que ça allait être facile que je voulais devenir premier ministre. Moi, je suis devenu premier ministre parce que je savais que j’avais la capacité d’aider les gens à améliorer leur pays.

Justin Trudeau, premier ministre du Canada

La journaliste lui offre une métaphore. Ce pays, c’est comme une maison où il a voulu emménager pour y ajouter puits de lumière et solarium, et voilà qu’il y est coincé depuis des mois à écoper les eaux sales d’un refoulement d’égouts — la pandémie — sur lequel il n’a aucun contrôle.

« Est-ce que je suis content d’être premier ministre maintenant et pas il y a 10 ans et pas dans 10 ans ? On ne sait pas qu’est ce qu’il y aura dans 10 ans… », réfléchit tout haut le premier ministre.

« Oui, je suis content d’être premier ministre maintenant », se répond-il.

« On arrive à avoir un impact, pas juste maintenant, pour vider les égouts, mais pour reconstruire en mieux. Puis quand on arrivera à mettre le solarium dans la maison, on va le faire sur une base, dans une maison propre, dans une maison plus solide qu’elle ne l’était avant », affirme-t-il.

Et réalisant qu’il a plongé un peu trop loin dans la métaphore et qu’il est en train de parler d’égouts, il finit l’entrevue dans un rire à gorge déployée.