Fatigue pandémique, assouplissements prématurés, explosion des cas chez les enfants : malgré un haut taux de vaccination au Québec, la COVID-19 a profité d’un relâchement généralisé pour faire un retour en force cet automne. Comment l’expliquer ? La réponse en cinq points.

Des assouplissements trop rapides ?

Levée de la limite de la capacité maximale des bars et des restaurants, retour de la danse et du karaoké, fin du masque obligatoire au secondaire, fin de la recommandation pour le télétravail : la série d’assouplissements annoncés en novembre par le gouvernement Legault a-t-elle joué un rôle dans la hausse des cas ? S’il reste difficile d’établir un lien direct, l’augmentation des cas reste notable à partir de la mi-novembre. « C’est la réalité typique d’un virus respiratoire : on a ouvert des activités à plus grand risque, et les gens se sont davantage retrouvés à l’intérieur à l’approche de l’hiver. Le virus n’a pas eu de mal à trouver une combinaison gagnante », explique le virologue et professeur en sciences biologiques à l’UQAM Benoit Barbeau. Il dit néanmoins comprendre que Québec ait voulu « donner un peu d’air » aux Québécois, rappelant que l’arrivée des températures plus froides signifie toujours, d’une façon ou d’une autre, « de donner plus de chances au virus de se transmettre ». « Le gouvernement savait très tôt qu’on devrait apprendre à vivre avec ce virus, qu’il n’allait pas disparaître. Dans cette transition, il a choisi de se diriger vers des assouplissements continus, pourvu que les hospitalisations restent stables », résume M. Barbeau.

« Fatigue pandémique »

Au-delà des mesures en place, la fatigue pandémique joue pour beaucoup dans la hausse des cas et la recrudescence de la COVID-19 partout dans le monde, juge la directrice régionale de santé publique de Montréal, la Dre Mylène Drouin. « Je pense qu’il y a probablement un élément important de la fatigue pandémique. Globalement, la population a retrouvé son niveau de contacts antérieur et il y a probablement un relâchement des mesures, alors qu’on est face à un variant qui est somme toute beaucoup plus transmissible », explique-t-elle en entrevue avec La Presse. Selon nos chiffres, ce relâchement se fait surtout sentir chez les Québécois pleinement vaccinés, dont le taux d’infection a grimpé en flèche depuis la mi-novembre. Chose certaine : Montréal demeure un cas particulier au Canada. « Pourquoi on en a plus ? Ça, je n’arrive pas encore à comprendre. On dépiste un petit peu plus aussi, mais non, je ne peux pas dire précisément pourquoi moi, j’en ai 800 et qu’à Toronto, par exemple, ils en ont moins », avoue la médecin.

Explosion chez les enfants, écoles mal ventilées

Depuis cet automne, la hausse des cas de COVID-19 semble propulsée par une augmentation fulgurante des infections liées au variant Delta chez les jeunes enfants, surtout dans le réseau scolaire. On recense actuellement en moyenne 450 nouveaux cas par jour chez les moins de 10 ans, et le Québec rapporte 640 éclosions actives au primaire. C’est deux fois plus qu’à Noël l’an dernier : au moment de partir en vacances pour les Fêtes en décembre 2020, le Québec comptait environ 300 éclosions au primaire. D’ailleurs, au sommet de la deuxième vague, soit à Noël dernier, on comptait 176 cas par jour chez les moins de 10 ans. Selon l’épidémiologiste Nimâ Machouf, la bévue du gouvernement Legault aura été d’ignorer « la transmission du virus par l’air », un point de vue qui est d’ailleurs partagé par plusieurs autres experts. « Dans le réseau, la majorité des gens qui sont infectés aujourd’hui sont dans des écoles primaires, où les jeunes ne sont pas vaccinés et peuvent enlever le masque. Pourtant, les systèmes de ventilation n’ont pas été pris au sérieux et presque aucune modification n’a été faite. C’est beaucoup pour ça qu’on a les éclosions qu’on voit aujourd’hui », résume-t-elle. À ses yeux, la façon dont ont été présentés certains messages gouvernementaux dans les derniers mois était aussi trop hâtive. « C’était souvent : si on est bien vaccinés, maintenant on peut retourner à un sentiment de vie normale. Ça donnait l’impression que ce n’était plus grave, que tout pouvait reprendre. Ça, pour moi, c’était une erreur », soutient-elle.

Les nouveaux variants

Jugé plus contagieux, mais pas pour autant plus virulent, le variant Omicron suscite l’inquiétude partout dans le monde puisqu’il se substitue au variant Delta, qui est le principal responsable de la hausse des cas au Québec et à Montréal pour le moment. À Montréal, où on rapportait 95 cas du variant Omicron en milieu de semaine, on estime que leur nombre double littéralement tous les trois jours actuellement. Le criblage de 1213 cas dépistés un peu partout au Québec mardi en a détecté 268 liés au nouveau variant, soit 1 sur 5. Il semble inévitable qu’Omicron prenne d’ailleurs la place prédominante de Delta au cours des prochaines semaines dans la province. « Les nouveaux variants nous font entrer dans une nouvelle ère : celle de la chronicité de la présence du virus », avance Marie-Pascale Pomey, experte en politiques publiques à l’École de santé publique de Montréal. Elle affirme que l’important sera de « gérer l’impact de ces variants sur de potentiels cas graves » qui entraîneraient plus de morts ou plus de pression sur le réseau de la santé. Avec deux doses de vaccin de Pfizer, le variant Omicron ferait passer la protection contre les hospitalisations de 95 % à 70 %, montrent des données préliminaires. La protection contre l’infection passerait d’environ 80 % contre Delta à 35 % contre Omicron. On ne connaît toutefois pas encore la virulence d’Omicron. En Ontario, Omicron se transmet 4,5 fois plus vite que Delta : une personne infecte 4,5 personnes avec Omicron, comparativement à 1 seule personne pour Delta.

L’enjeu de la vaccination mondiale

Malgré toutes les mesures de prévention, c’est la concertation entre les pays et la vaccination dans le monde entier qui mettra un terme à la crise, croit la Dre Mylène Drouin. « Tant qu’on ne réglera pas la question de la vaccination mondiale, on va vivre avec des variants qui vont resurgir et qui vont être de plus en plus virulents ou transmissibles. Je pense que c’est l’élément de fond qu’on doit régler, mais qui n’est pas à mon niveau », glisse-t-elle. Les taux de vaccination sont en effet très inégaux dans le monde. En Afrique du Sud par exemple, d’où a initialement émergé le variant Omicron, à peine le quart des citoyens sont pleinement vaccinés. Au Canada, plusieurs provinces ont déjà ouvert l’administration d’une troisième dose – ou dose de rappel – aux personnes âgées de 18 ans et plus. Idem pour la France et les États-Unis notamment.

Avec la collaboration de Vincent Brousseau-Pouliot, La Presse