L’ex-ministre de la Santé, Danielle McCann, témoignera jeudi à l’enquête publique du coroner qui se penche sur les décès survenus dans les CHSLD lors de la première vague de COVID-19 au Québec.

Le sous-ministre adjoint, Daniel Desharnais, la suivra à la barre des témoins en après-midi. M. Desharnais avait été nommé en avril 2020 au ministère de la Santé pour aider à juguler la crise en CHSLD et préparer les établissements à la deuxième vague. Il avait notamment été chef de cabinet du ministre de la Santé, Gaétan Barrette, de 2014 à 2017.

Mercredi, l’ex-sous-ministre à la santé, Yvan Gendron, a affirmé devant la coroner Géhane Kamel que les établissements de santé (les CISSS et les CIUSSS) avaient été prévenus dès janvier 2020 de se préparer à l’arrivée d’une pandémie de COVID-19 au Québec. Et qu’il leur avait été mentionné de préparer leurs CHSLD à cette éventualité.

Il a affirmé que dans une réunion avec les PDG de CISSS et de CIUSS à la fin de janvier, il a été mentionné de mettre à jour leur plan de préparation à une pandémie en utilisant le document qui avait été conçu lors de la grippe A H1N1 en 2009. « Les établissements devaient faire leurs plans », a dit M. Gendron.

Pour lui, dès janvier, il était clair que « l’ensemble de la population dont celle des personnes âgées risquait d’être atteinte ». « Donc on n’attendra pas des statistiques précises pour se préparer, dit-il. Le message c’était de dire : préparez-vous. Sur l’ensemble de votre offre de service. Incluant bien sûr, particulièrement les personnes vulnérables qui sont en CHSLD », a dit M. Gendron.

La coroner a demandé à M. Gendron ce qui a pu se passer pour que, malgré les discussions sur la préparation en janvier, on se retrouve en mars avec des CHSLD en pleine tourmente. Et ce, même si le plan de préparation à la grippe H1N1 duquel devaient s’inspirer les CISSS et les CIUSSS prévoyait qu’il manquerait 30 % d’effectif dans le réseau. MKamel a affirmé qu’elle croyait que M. Gendron était « plein de bonnes intentions ». Mais elle a demandé : « Que s’est-il passé entre les deux ? Entre les directives, les rencontres, et que quand on arrive en CHSLD, on a des gens à la guerre sans munitition… »

« L’organisation sur le terrain, ça leur appartient, a répondu M. Gendron […] Est-ce que tous les gens se sont préparés de façon suffisante ? Moi j’ose imaginer qu’ils ont mis beaucoup d’énergie. Mais des fois, on dirait que tant que ça ne te frappe pas, tu ne mets pas toutes tes énergie ». Ce dernier a tout de même souligné que plusieurs établissements s’étaient bien préparés et que 61 % des CHSLD n’ont pas eu de cas durant la première vague.

Une pénurie déjà présente

En après-midi, le sous-ministre associé à la direction générale des ressources humaines, Vincent Lehouillier, a mentionné qu’au plus fort de la première vague de COVID-19, 12 000 employés manquaient dans le réseau public, dont 3500 en CHSLD. « Près de 30 % de l’effectif en CHSLD était absent », a expliqué M. Lehouillier. À ces données doivent être ajoutés les absences dans les établissements privés.

M. Lehouillier a mentionné que la pénurie de personnel dans le réseau de la santé était présente bien avant la pandémie et que des solutions étaient déjà appliquées.

Tant la coroner Kamel que les avocats des partis intéressés ont demandé à M. Lehouillier si on avait préparé dès janvier le réseau à faire face à la pandémie en planifiant les pénuries de personnel. Ce dernier a assuré que le ministère de la Santé était « en action ». Dès la mi-mars, différents gestes ont été posés, a rappelé M. Lehouillier, dont la mise sur pieds de la plateforme Je contribue. Mais pour lui, la formation et l’orientation de travailleurs réaffectés dans le réseau appartenaient aux CISSS.

Des directives du ministère critiquées

Pour une deuxième journée de suite, la coroner a soulevé des questions sur certaines directives émises par le ministère de la Santé durant la première vague de la pandémie. Par exemple, dans une lettre envoyée le 18 mars, M. Gendron écrivait que les transferts de patients des CHSLD vers les hôpitaux devaient « être évités ». Une directive suivie à la lettre par plusieurs établissements de santé. Mais depuis mardi, des représentants du ministère affirment que cette interdiction n’était pas ferme et ne visait pas à limiter tout transfert.

La coroner Kamel a soumis à M. Gendron que dans une lettre envoyée au CHSLD Herron, par exemple, le CIUSSS de l’Ouest-de-l’Île-de-Montréal reprochait au CHSLD d’avoir envoyé des patients à l’hôpital même si le CHSLD n’avait plus suffisamment de personnel pour les soigner. « C’est là où le bât blesse », a dit la coroner.

Pour M. Gendron, le terrain avait la latitude pour « juger » de l’application des directives du ministère. « Ça leur appartient. Il faut qu’ils le fassent », a dit M. Gendron.

« Étiez-vous conscient que vos directives étaient appliquées comme la Bible », a demandé MKamel. M. Gendron a affirmé qu’il y avait possibilité pour les CIUSSS de faire part de leurs préoccupations au ministère lors de leurs rencontres quotidiennes. « Y avait-il vraiment du challenge qui se faisait à ces rencontres-là ? », a ajouté MKamel. M. Gendron a assuré que ces échanges « avaient eu lieu ». « Des fois on faisait des ajustements. C’est normal. Est-ce qu’on aurait pu changer des mots ? Peut-être », a reconnu M. Gendron.

Herron était sous tutelle

M. Gendron a indiqué dans son témoignage que le CHSLD Herron avait été mis sous « tutelle » dès la fin mars 2020. Un terme que plusieurs acteurs avaient refusé d’utiliser jusqu’ici. La coroner a félicité M. Gendron d’avoir le courage d’utiliser ce terme. Elle a demandé à M. Gendron pourquoi la police n’a été appelée que le 11 avril pour le CHSLD Herron « alors que la situation est catastrophique le 29 mars » et que l’établissement est sous tutelle.

Pour M. Gendron, les actions au départ au CHSLD Herron « se centraient sur aider les personnes âgées ». « Il fallait stabiliser la situation avant de faire toute autre chose. C’était l’urgence d’agir. Les gens étaient en déficit de différentes choses […] C’est pour ça que j’ai dit : peu importe, là c’est une tutelle. Vous prenez en charge l’organisation. Si on veut nous poursuivre après ça, c’est pas grave », a dit M. Gendron. Ce dernier a indiqué que l’idée d’appeler les policiers avait été évoquée le 7 avril, mais concrétisée le 11 avril.