(Montréal) Inconnue du public il y a seulement 18 mois, la docteure Caroline Quach-Thanh, du CHU Sainte-Justine, s’est imposée comme une des figures de proue de la lutte à la COVID-19 au Québec.

Elle a complété cette semaine son mandat de quatre ans comme présidente du Comité consultatif national de l’immunisation, le CCNI, une présidence qui restera à jamais inextricablement liée à la pire crise de santé publique du dernier siècle.

Malgré la tourmente, elle confie s’être bien amusée, ne pas avoir de regrets et quitter la tête haute.

Au lendemain de son départ, La Presse Canadienne a jasé avec celle qui assure ne pas trop savoir ce que lui réserve l’avenir — à part le fait qu’elle ne se lancera jamais en politique.

La présidence du CCNI est un poste bénévole qui ne demande habituellement que quelques heures par mois. Ça s’est transformé en poste à temps plein. Avoir su il y a quatre ans ce qui vous attendait, l’auriez-vous accepté quand même ?

Honnêtement, je ne pense pas que qui que ce soit aurait pu prédire l’ampleur que ça a pris. C’est certain que regarder en rétrospective, je me dis que c’est complètement fou, mais en même je pense que j’étais bien placée pour faire ce travail-là. Aujourd’hui, en fin de mandat, j’ai le sentiment du devoir accompli. Quand on a l’expertise et quand on a les capacités de le faire, de se dérober de responsabilités parce qu’elles sont très demandantes et exigeantes, à mon point de vue, c’est un peu de la lâcheté. Je ne l’aurais pas choisi d’emblée, ça m’a choisi, et je l’ai fait avec conviction et énergie. Et honnêtement, malgré toute la difficulté et toute la pression, j’ai quand même eu du plaisir à travers tout ça. Le comité est composé d’experts, donc discuter avec eux était super intéressant. J’ai découvert des personnes qui étaient dévouées et qui n’ont jamais compté leur temps. L’occasion ayant fait le larron, je ne regrette absolument pas de l’avoir fait. On ne sait jamais ce qui nous attend, mais je suis hyper fière d’avoir été dans ce poste-là et d’avoir réussi à faire ce qui a été accompli au cours des derniers mois.

Est-ce qu’il a été difficile de composer avec une crise pendant laquelle les connaissances scientifiques évoluaient à pleine vitesse et les conseils parfois contradictoires arrivaient de toute part ?

Dire non, ce serait mentir de façon éhontée. Tous ceux qui avaient à prendre des décisions pendant cette pandémie-là ont été aux prises avec ces connaissances constamment évolutives, des recommandations changeantes. Donc ce qu’on a décidé de faire, et moi personnellement, c’est d’agir en toute transparence. On n’avait aucun enjeu politique, on allait faire fi de toute pression politique qui pouvait venir. On était un comité indépendant, ce qui nous a permis de prendre cette approche-là. On regardait les données scientifiques et on prenait des décisions pour le plus grand bien des Canadiens. C’est sûr qu’on y allait en concertation aussi, parce que parfois, une décision qui est la meilleure d’un point de vue scientifique pourrait se déployer et avoir des conséquences néfastes d’un point de vue organisationnel et populationnel. On prenait aussi en compte ces enjeux d’acceptabilité et de faisabilité, mais on a toujours mis les connaissances scientifiques et l’éthique au-delà de tous les autres éléments. On s’est adaptés. Je pense que ça s’est relativement bien fait, malgré le fait que des décisions sont passées en travers de la gorge de certains par moment, ou il y a eu des répercussions négatives sur moi parce que j’étais la porte-parole du comité. Mais quand on regarde ça d’un point de vue beaucoup plus macroscopique, je pense qu’en gros, on s’en est bien tirés et les décisions qui ont été prises ont été les bonnes. On ne pouvait pas nécessairement le prouver au départ, mais jusqu’à maintenant, l’avenir nous a prouvé que nous n’avions pas tort.

Justement, vous avez parfois été éclaboussée personnellement, comme lorsque vous avez dit que vous ne recommanderiez pas le vaccin d’AstraZeneca à votre sœur. Quel souvenir gardez-vous de cet épisode ?

J’essayais honnêtement d’expliquer qu’une complication suite à l’AstraZeneca qui aurait pu être évitée, parce qu’on n’était pas à risque et que d’autres vaccins s’en venaient, était une complication de trop. Je voulais prendre un exemple qui était parlant, donc j’ai pris ma sœur parce que j’ai une seule sœur et que je l’adore. J’aurais pu prendre la sœur ou l’épouse (du journaliste à qui je parlais), mais ça aurait peut-être été mal venu de prendre un exemple qui n’était pas personnel, donc je l’ai ramené à moi. Est-ce que je le ferais autrement ? Oui, peut-être. J’ai rectifié les faits par la suite. À l’époque, il y avait suffisamment de preuves au niveau mondial pour nous dire que quand il y a une alternative à l’AstraZeneca, et que la personne n’est pas à risque, ça vaut peut-être la peine de dire aux gens que s’ils peuvent avoir un ARN messager dans une semaine, attendez donc. Si vous prenez votre AstraZeneca et que vous avez une complication majeure de thrombose, pour nous c’était inacceptable. Et c’est un message qui a été très difficile à passer parce que les politiciens voulaient qu’on dise que tous les vaccins étaient équivalents, et pour eux le plus important était de vacciner le plus rapidement possible. Mais pour nous, ce n’était pas à tout prix.

Le public ne vous connaissait pas il y a 18 mois. Comment avez-vous composé avec votre soudaine notoriété ?

D’être devenue une figure publique, ça entraîne des responsabilités que je n’avais pas avant, alors je ne peux plus me fâcher contre qui que ce soit en public (rires). Il faut quand même que je garde une certaine retenue. D’avoir été la porte-parole a été extrêmement taxant, et heureusement que j’avais une certaine affinité avec les médias. Je pense que j’en ai donné beaucoup plus que ce qui était attendu, et je faisais ça en plus de mes jobs à temps plein.

Qu’est-ce que cette pandémie nous enseigne comme leçons utiles pour l’avenir ?

On a appris que tout ce qui était prévention est absolument clé, mais qu’on avait rapidement mis la hache dans tout ce qui avait été mis en place après les autres urgences de santé publique. En santé en général, et dans la société en général, on a tendance à ignorer la prévention parce qu’on a l’impression que ça coûte cher et qu’on ne sait jamais quand ça va payer. Et c’est vrai, on ne sait jamais quand ça va payer. Mais quand une pandémie arrive et qu’on est prêts, que le réseau est prêt, que le personnel est formé, on s’en tire beaucoup mieux. On a vu cette fois-ci que les réserves d’équipements de protection personnelle n’avaient pas été renouvelées, alors qu’après la pandémie de (grippe aviaire H1N1 en) 2009, on les avait ces réserves-là, mais elles n’avaient pas été renouvelées parce que le gouvernement précédent disait que ça ne servait à rien. À chaque fois on dit qu’on va apprendre de cette crise-là, et à chaque fois on met à la poubelle tout ce qu’on a préparé parce qu’on dit que ça ne sera pas nécessairement réutilisable, mais est-ce qu’on peut avoir un « playbook » qui dit que, quand il y a tel signal, voici la séquence de choses à mettre en place, voici ce qu’on déleste, voici les milieux qu’on doit protéger et de quelle façon ? On a fait le travail en 2009, on a fait le travail en 2014 pour l’Ebola, et dans la plupart des milieux on a été obligés de refaire le travail en 2020. Pour moi, c’est une des leçons qu’on ne doit pas oublier cette fois-ci.

Que vous réserve l’avenir ? Allez-vous continuer à vous impliquer publiquement ou bien vos tâches à Sainte-Justine et à l’Université de Montréal sont-elles plus que suffisantes ?

Je ne sais pas. De façon générale, je n’ai pas de plan de carrière préétabli. J’attends de voir les occasions qui me seront offertes. Je ne suis jamais fermée, et parfois les occasions n’ont rien à voir avec ce que je fais présentement, mais je suis toujours ouverte à des projets ou à des collaborations intéressants. En termes de médias je vais continuer là où on a besoin de moi, je vais peut-être être un peu moins présente parce qu’en théorie, la pandémie devrait finir par finir (rires), je continue dans mes postes actuels, mais pour le reste, on verra. Je ne prendrai pas la première chose qui va passer parce que j’ai un peu besoin de souffler, mais on verra bien ce que l’avenir me réserve.

Êtes-vous en train d’ouvrir la porte à une carrière politique ?

S’il y a une chose que j’ai apprise, c’est que je ne suis pas faite pour la politique. J’ai trop d’intégrité et je n’aime pas me faire tapisser dans un coin quand on veut me faire dire quelque chose que je ne veux pas dire. La politique, quand on y entre, on a souvent envie d’y rester, il y a un pouvoir qui vient avec qui ne me convient pas. Je pense que je vais être beaucoup plus utile en parapolitique et en parapublic ou dans le domaine public qu’en politique, bien honnêtement. Je n’ai jamais été approchée, mais avec tout ce que j’ai dit, je ne penserais pas qu’on m’approche (rires).

Les propos de la docteure Caroline Quach-Thanh ont été abrégés et condensés à des fins de clarté et de concision.