Côté ombre ou côté soleil, de premiers clients ont bravé la fraîcheur de ce vendredi matin pour étrenner les terrasses nouvellement montées des restaurants montréalais : un brunch festif suivant près de 240 jours de « pour emporter ».

« La première table que j’ai servi ce matin, c’était comme si j’avais un gros cadeau à Noël », s’émerveille Michèle Lévesque, serveuse au restaurant le Pot Masson situé à l’angle de la 8avenue et de la rue Masson. Avec émotion, celle qui fait le métier depuis 21 ans – dont six dans cet établissement – décrit le regard de ses clients habituels ce matin, ses papillons dans le ventre, la joie de retrouver l’ambiance familiale de l’équipe de travail. « On s’aperçoit que ça nous manquait, plus qu’on ne pensait », ajoute-t-elle en s’essuyant discrètement les yeux.

L’ambiance est fébrile sur la Promenade Masson, où résonnent les coups de marteau des dernières terrasses en train d’être montées et les vrombissements des camions de livraison. La propriétaire du restaurant, Roxane Mercier, s’exclame de soulagement en voyant arriver ses fournisseurs. « Tout s’est fait tellement rapidement », explique-t-elle. Tellement rapidement que famille, amis, anciens et nouveaux employés ont mis la main à la pâte pour que tout soit prêt à temps. « J’en ai qui m’ont dit qu’ils allaient venir clouer mes tables, d’autres aider aux brunchs la fin de semaine. Je suis très touchée de l’aide que les gens m’ont offerte », souligne celle qui a fait carrière en restauration avant de lancer son propre établissement.

En profiter malgré le froid

Les neuf degrés Celsius ambiants n’ont pas retenu ceux qui voulaient célébrer. À 10 h 30, la terrasse plein soleil était presque pleine. « Avec une petite laine, ça valait le coup ! », affirme Félix Parent, dont le premier jour de vacances rime avec déconfinement. Avec un ami, attablés devant des assiettes vides encadrées de mimosa et de bière, ils en profitent avant une fin de semaine au chalet. Un passant âgé s’arrête à leur niveau en souriant : « la vie reprend son cours ! ».

À une autre table, le petit Laurent Boisvert, six mois, vit sa première expérience en terrasse. La famille s’est arrêtée à l’improviste en route vers un week-end de camping pour profiter d’un café au soleil. De biais, un couple accompagné d’un petit chien frisé. L’homme est en congé, tandis que la femme assiste à un cours à distance sur son cellulaire. « On n’a aucun problème avec le froid, rien ne nous empêcherait d’être ici ! », résume Enrique Elizoga.

Le téléphone ne dérougit pas au Pot Masson, promesse d’une ambiance festive prolongée. « Les gens appellent pour savoir si c’est ouvert, s’il faut réserver, ils nous contactent sur nos réseaux », explique la propriétaire en passant en coup de vent.

Des terrasses pleines, même à l’ombre

Un peu plus à l’ouest, la terrasse ombragée de L’Oeufrier connaît le même achalandage. « Ça se passe bien, les gens sont arrivés tôt malgré le froid », décrit le propriétaire William Régis. Son personnel était là d’avance ce matin. Une grande partie est restée fidèle au restaurant qui n’est pourtant ouvert que depuis deux ans, dont un en pandémie, ajoute l’entrepreneur. « On a fini de monter la terrasse hier [jeudi] soir, les clients sont vraiment fins, on a un nouveau menu qu’on inaugure en même temps : on est contents. On espère juste qu’on ne va pas refermer ».

Sur la terrasse, Mélanie Cantin et sa mère, Ginette Freve, sont bien installées et bien habillées. « Ça faisait tellement longtemps qu’on attendait ce moment-là ! », s’exclament les résidentes du quartier. L’ambiance conviviale, le contact avec les serveuses, le fait de se relaxer avant de continuer sa journée : l’expérience du restaurant leur manquait. « C’est comme une grosse fête, j’ai l’impression de revivre », confie la septuagénaire au regard pétillant. « Même s’il fait froid, ça ne fait rien, ça vaut le coup. Ça fait ma journée ».

Autre quartier, même tableau. À la microbrasserie Siboire, boulevard Saint-Laurent dans le Mile End, on croise des habitués qui ont voulu marquer le coup à presque toutes les tables. « Il fait frais aujourd’hui, mais il fait beau soleil et pour une fois c’est comme si la bière me réchauffait ! », indique joyeusement Michael Tremblay, qui a profité de sa pause pour venir ici avec un collègue.

Leur serveuse, Laura Fiset, en est à son premier quart depuis la « journée où tout a changé », en mars 2020. « J’y ai pensé toute la nuit ! Un an c’est long. J’étais presque stressée de recommencer, je veux vraiment bien faire pour la première journée », dit-elle avec fébrilité. « C’est peut-être niaiseux, mais j’ai particulièrement hâte de finir mon quart et de m’asseoir avec collègue pour prendre une petite bière. »

Pour Philippe Dompierre et Monica Windsor, attablés au petit restaurant Tsak Tsak, revenir le premier jour était en quelque sorte un acte de principe. « Ce matin, on a même dû choisir entre les restaurants qu’on voulait voir en premier », affirme en riant Philippe Dompierre. Pendant la pandémie, ils ont soutenu leurs établissements favoris en commandant à la maison, mais les déjeuners au restaurant leur avaient cruellement manqué.

La propriétaire, Riana Andriamanoelison, se dit particulièrement heureuse de pouvoir accueillir à nouveau ses serveurs, qu’elle a dû mettre à la porte au moment de la fermeture des restaurants. Cet hiver, elle a tout de même réussi à garder la cuisine ouverte et à payer ses cuisiniers, en faisant des livraisons et en vendant des produits en épicerie. « Mais on ne faisait pas d’argent avec ça », dit-elle, « c’était vraiment pour continuer à faire quelque chose. »