(Ottawa) Un niveau de risque pandémique établi trop longtemps à « faible ». Un réseau chargé de diffuser des alertes de santé publique qui n’en diffuse pas. Des outils technologiques de collecte et de partage d’informations désuets. Et surtout, des ratés considérables dans le suivi de la quarantaine obligatoire des voyageurs.

L’Agence de la santé publique du Canada (ASPC) en prend pour son rhume dans un audit réalisé par la vérificatrice générale (VG) du Canada, Karen Hogan. Sa conclusion tient en quelques mots : « Je suis découragée ». Le découragement vient du fait que l’Agence n’a pas « agi pour régler des problèmes de longue date », ce qui a nui à la gestion de crise.

Ses constats les plus sévères touchent la gestion des retours des voyageurs au pays. Une analyse d’un échantillonnage de la période comprise entre le 5 mai et le 30 juin a permis d’établir que l’ASPC a effectué un suivi auprès de seulement 33 % des voyageurs arrivés au Canada pour vérifier s’ils s’étaient bel et bien placés en quarantaine.

Au cours de la même période, moins de la moitié des voyageurs (18 400 sur 46 500, soit 40 %) soupçonnés de ne pas respecter les termes de la quarantaine ont été signalés aux forces de l’ordre. L’Agence n’a ensuite eu connaissance d’aucun suivi pour 83 % de ces cas (15 300 des 18 400 rapportés).

Bref, l’ASPC « a raté une occasion d’évaluer l’efficacité des mesures de quarantaine pour ce qui est de limiter la propagation du virus responsable de la COVID-19 », tranche-t-on dans ce rapport, l’un des quatre que publiait jeudi l’agente indépendante du Parlement.

Car même si « la plupart » des gens contactés — par courriel, appels automatisés, appels d’un agent — ont assuré qu’ils se conformaient à leur ordonnance de quarantaine, « ces résultats ne pouvaient être utilisés de manière fiable », fait-on valoir.

À cela s’ajoute le fait qu’il y a un trou béant dans les statistiques.

C’est que « vu l’ampleur et la complexité des mesures » de contrôle des retours au pays, il n’a « pas été possible de faire appliquer l’ordonnance de mise en quarantaine avant le 25 mars ».

Entre le 13 mars — date à laquelle le gouvernement canadien a déconseillé les voyages à l’étranger et exhorté ses ressortissants à rentrer au bercail — le 25 mars, ce sont environ 1,7 million de voyageurs internationaux qui sont entrés au Canada, selon la VG.

Un réseau d’alerte qui n’alerte pas

Quelques semaines auparavant, alors que des signaux inquiétants nous arrivaient de la Chine, puis de l’Iran, et ensuite de l’Italie, l’ASPC ne semblait pas apercevoir de voyant rouge sur son tableau.

Entre janvier et la mi-mars, cinq évaluations des risques ont été réalisées pour éclairer la santé publique. Toutes, à l’exception de la dernière, soit celle du 16 mars, ont attribué la cote « faible » à l’incidence du virus.

L’Agence en a compris que la COVID-19 « aurait des conséquences minimales ».

Il a fallu que l’administratrice en chef de l’ASPC, la Dre Theresa Tam, réclame que la cote soit rehaussée, le 15 mars, avant qu’elle ne passe à « élevée » dans l’évaluation publiée le lendemain, selon les trouvailles de la VG puisées dans des procès-verbaux.

De leur côté, les analystes membres du Réseau mondial d’information en santé publique — une instance créée en 1997 ayant comme mandat de signaler les évènements liés à la santé publique en diffusant des alertes — n’ont pas ressenti le besoin de sonner l’alerte.

Ni quand des nouvelles sur une pneumonie d’origine inconnue ont été diffusées pour la première fois. Ni lorsque le virus a commencé à se propager à l’extérieur de la Chine. Ni lorsque les premiers cas suspectés ou confirmés ont été recensés au Canada.

Le Réseau a, en revanche, envoyé par courriel un rapport quotidien à ses abonnés dans lequel se trouvaient des liens à des articles de presse connexes, mentionne Mme Hogan dans son rapport.

Les provinces aussi fautives

L’agente indépendante du Parlement souligne à gros traits que le gouvernement n’était pas prêt à composer avec une crise d’une telle ampleur en grande partie, car il n’a pas tiré des enseignements des épidémies du SRAS (2003) et de la H1N1 (2009).

Malgré des rappels à l’ordre formulés dans des rapports du bureau du VG en 1999, en 2002, et en 2008, l’Agence n’avait pas réglé certains problèmes relatifs à « l’information de surveillance en matière de santé publique ».

On n’a pas non plus régulièrement mis à jour ni testé les plans d’intervention d’urgence à l’échelle nationale en cas de pandémie ni corrigé les problèmes d’une « infrastructure technologique désuète » qui aurait pu donner un tableau cohérent de la pandémie.

Le fédéral a aussi échoué à s’assurer de « l’efficacité de l’échange de données de santé entre l’Agence et les provinces et territoires ». Mais à ce chapitre, Ottawa ne porte pas seul le blâme, précise Mme Hogan.

L’Agence s’en est défendue auprès du bureau de la VG en arguant que « les provinces et les territoires lui avaient communiqué des données incomplètes », en brandissant le fait que de février à juin, seuls 4 % des cas avaient été signalés 24 heures après la détection.

Comme d’habitude, la titulaire du ministère visé par l’audit en a accepté les conclusions.

La ministre de la Santé, Patty Hajdu, l’a fait en notant que des sommes ont été injectées en santé publique – souvent le parent pauvre du réseau – et que l'ASPC a embauché environ 1000 employés depuis le début de la pandémie.

Audit à suivre sur les vaccins

Dans un message accompagnant ses rapports, Karen Hogan signale que son attention se tournera sur la vaccination.

Cet examen, le gouvernement l’a priée de le repousser, de crainte qu’il ne sollicite trop les fonctionnaires fédéraux, lesquels se consacrent à « offrir des services essentiels à la population canadienne » et « participent déjà à d’autres audits ».

La VG a accédé à cette demande.

Elle mentionne qu’elle a l’intention d’entamer des discussions avec ses vis-à-vis dans les provinces et les territoires afin d’« étudier la possibilité de coordonner » les travaux sur cet enjeu crucial, qui mobilise plusieurs ordres de gouvernement.