Tous les adultes américains pourront être vaccinés d’ici à la fin de mai. Cette promesse du président Joe Biden a fait ressortir le fait que le Canada, où le premier ministre Justin Trudeau vise la fin septembre, est loin d’être un champion.

Les plus récentes statistiques montrent en effet que le pays n’est pas seulement devancé par les États-Unis, il l’est par la totalité des pays auxquels il aime se comparer, et par d’autres encore comme la Turquie, la Grèce et le Maroc.

Avec 5,7 doses administrées pour 100 habitants, le Canada se situe au 43e rang d’un classement mondial des pays. Il ne fait pas mieux pour la proportion de la population qui est vaccinée, soit 4,1 %.

Israël, premier au monde, a déjà vacciné plus de la moitié (54,7 %) de sa population. Les États-Unis occupent le 6e rang de ce palmarès avec 16 % de personnes vaccinées, derrière le Royaume-Uni (31 %) et le Chili (20 %), selon les données du New York Times compilées à partir de sources gouvernementales par le projet Our World in Data de l’Université d’Oxford.

> Consultez les données du New York Times (en anglais)

Mais si de nombreux pays devancent le Canada, certains ne sont pas très loin devant : Italie (5,4 %), Suède (5,3 %), Allemagne (5,5 %), France (4,7 %) et Espagne (5,9 %). Une accélération de la campagne au Canada, avec l’autorisation de nouveaux vaccins, pourrait donc permettre un rattrapage.

C’est d’ailleurs ce qu’espère le premier ministre Trudeau, qui croit qu’il est possible de devancer la date cible de la mi-septembre. « Évidemment, on est optimistes qu’on va peut-être pouvoir devancer ces chiffres et ces prévisions, [en se basant] sur le nombre de vaccins qu’on est en train d’approuver et de voir livrer au Canada », a-t-il déclaré mercredi.

Un nouveau vaccin sous peu ?

Santé Canada, qui a déjà autorisé le vaccin d’AstraZeneca, pourrait donner son accord à celui de Johnson & Johnson sous peu. Le DMarc Berthiaume, directeur du Bureau de sciences médicales de Santé Canada, a souligné, en conférence de presse, jeudi, que ce vaccin « devrait être approuvé dans les prochains jours ».

« La livraison pourrait commencer à partir du deuxième trimestre », a précisé Joëlle Paquette, directrice générale responsable de l’approvisionnement en vaccins à Services publics et Approvisionnement Canada.

Dans les données sur la vaccination, on utilise deux mesures différentes. La première porte sur le nombre de gens vaccinés. La seconde, sur le nombre de doses qui ont été administrées. Ce deuxième chiffre est plus élevé parce qu’une partie de la population a reçu les deux doses.

La proportion de la population qui a reçu les deux doses est élevée en Israël et aux États-Unis, par exemple, mais elle est très faible au Canada (1,5 %), et encore plus au Québec, qui a choisi d’administrer la première dose au plus grand nombre possible de personnes et de retarder l’administration de la seconde dose, dans le contexte où les vaccins se font rares.

Stratégie peu fructueuse

Les causes du retard du Canada sont connues. Le pays s’est distingué en passant des ententes pour l’achat d’un très grand nombre de doses, 404 millions, auprès de huit entreprises pharmaceutiques pour se protéger contre les incertitudes autour du taux de succès de ces divers vaccins au moment des négociations.

La quantité de doses totale est beaucoup plus importante que les besoins pour vacciner la population.

Cette stratégie, qui semblait gagnante l’automne dernier, n’a pas été couronnée de succès parce que les entreprises pharmaceutiques qui sont arrivées les premières au fil d’arrivée, Pfizer et Moderna, avaient d’autres pays pour clients et n’ont pas accordé la priorité au Canada.

Cela s’explique par le fait que les entreprises ont d’abord comblé les besoins des pays où elles produisaient les vaccins. Le Royaume-Uni et les États-Unis ont profité d’un traitement préférentiel, tout comme l’Union européenne, qui a choisi de partager ses achats entre les pays membres.

Le Canada, où il n’y a pas de production de vaccin, a été pénalisé. Ce problème a été amplifié par les retards de livraison de Pfizer, en raison de la rénovation de son usine de production en Europe.

Vulnérabilité face au virus

« On n’a peut-être pas opté pour les bonnes stratégies de commandes vaccinales », analyse Benoît Barbeau, professeur au département des sciences biologiques de l’Université du Québec à Montréal et expert en virologie. « On a été un peu large. Il y a peut-être eu une mauvaise priorisation des entreprises qui semblaient vraiment aller de l’avant. »

L’autre problème, c’est qu’on n’a aucune infrastructure optimale depuis plusieurs années qui nous permettrait de supporter les productions vaccinales des grosses entreprises, comme Pfizer ou AstraZeneca. Ça, ça n’a pas joué en notre faveur.

Benoît Barbeau, professeur au département des sciences biologiques de l’Université du Québec à Montréal

Le fait qu’on vaccine moins vite que d’autres pays nous rend-il plus vulnérables aux variants et à la possibilité d’une troisième vague ?

« Aussi longtemps qu’on n’est pas capables de couvrir la majorité de la population québécoise, on laisse un peu d’espace au virus pour qu’il continue à se propager, explique M. Barbeau. On est plus sujets à ce que la troisième vague nous frappe plus fortement, s’il y en a une, à cause des variants. »

Retard à rattraper

Cela pourrait aussi avoir des effets sur la reprise économique et le tourisme.

« Je ne crois pas que les Américains soient très chauds à l’idée de rentrer ici », lâche M. Barbeau.

Pour l’économie dans son ensemble, Robert Gagné, directeur du Centre sur la productivité et la prospérité de HEC Montréal, est prudent, parce qu’on ne sait pas encore quel sera le rythme de vaccination et qu’il est encore possible que le pays puisse rattraper son retard.

« Ce que je pense, c’est que la plupart des économies occidentales vont finir à peu près en même temps, quelque part à l’été, dit-il. On n’est pas à une semaine ou deux près. Mais si, par exemple, les Américains et les Européens se déconfinent beaucoup, que la vie économique reprend son cours presque normal, mais qu’ici, on ne peut pas, parce qu’on a encore juste 40 % de la population [qui est vaccinée], là, on pourrait dire qu’on a un problème.

« À partir du moment où on lève des contraintes plus tard, ça ne prend pas une grande boule de cristal pour savoir que ça va avoir des effets, ça va retarder une reprise plus durable », ajoute M. Gagné.