La COVID-19 a frappé fort dans l’arrondissement de Montréal-Nord, le quartier le plus touché de tout le Québec. Si la communauté s’est rapidement mobilisée, en mars dernier, élus et responsables se désolent, un an plus tard, que leur quartier n’ait pas été mieux protégé par le gouvernement et craignent qu’il ne soit oublié lors du retour à la « vie normale ». Car ici, peut-être plus que partout ailleurs, les effets de la pandémie risquent de se faire sentir à long terme.

Par un mercredi froid de février, Sophie se présente au local de l’organisme Les Fourchettes de l’espoir pour se procurer un panier alimentaire pour sa mère et elle.

Sophie a dû emménager avec sa mère l’année dernière, après avoir perdu son emploi. Les deux femmes, résidantes de Montréal-Nord, viennent chercher de l’aide aux Fourchettes depuis quelques mois, ne pouvant plus arriver avec l’augmentation du prix des aliments.

« Ça nous aide beaucoup, dit-elle. Je ne suis pas capable de me retrouver une job et ma mère vit de l’aide sociale. »

  • Papy Mbenguia, intervenant social aux Fourchettes de l’Espoir, indique à des bénéficiaires qu’ils peuvent entrer pour venir chercher leurs paniers alimentaires.

    PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

    Papy Mbenguia, intervenant social aux Fourchettes de l’Espoir, indique à des bénéficiaires qu’ils peuvent entrer pour venir chercher leurs paniers alimentaires.

  • Sophie (à gauche) récupère un panier alimentaire pour sa mère et elle.

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    Sophie (à gauche) récupère un panier alimentaire pour sa mère et elle.

  • Alors que l’organisme aidait une trentaine de foyers avant la pandémie, il est fréquenté aujourd’hui par 300 familles par semaine.

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    Alors que l’organisme aidait une trentaine de foyers avant la pandémie, il est fréquenté aujourd’hui par 300 familles par semaine.

  • Papy Mbenguia et sa collègue Stéphanie Baillard-Maillé préparent un panier alimentaire pour une famille.

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    Papy Mbenguia et sa collègue Stéphanie Baillard-Maillé préparent un panier alimentaire pour une famille.

  • Jennifer Rodriguez, bénévole de l’organisme

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    Jennifer Rodriguez, bénévole de l’organisme

  • Après le passage de chaque bénéficiaire, la table sur laquelle la nourriture est déposée est désinfectée.

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    Après le passage de chaque bénéficiaire, la table sur laquelle la nourriture est déposée est désinfectée.

  • Carlos Flores, qui travaille aux Fourchettes, prépare des sacs de pommes pour les bénéficiaires.

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    Carlos Flores, qui travaille aux Fourchettes, prépare des sacs de pommes pour les bénéficiaires.

  • La grande majorité des personnes qui fréquentent l’organisme n’avaient jamais eu recours à de l’aide alimentaire avant le début de la pandémie.

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    La grande majorité des personnes qui fréquentent l’organisme n’avaient jamais eu recours à de l’aide alimentaire avant le début de la pandémie.

  • Pour beaucoup, c’est la perte de leur emploi qui les a forcés à se tourner vers l’organisme.

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    Pour beaucoup, c’est la perte de leur emploi qui les a forcés à se tourner vers l’organisme.

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Ici, la distribution des paniers est une machine bien huilée : des rendez-vous à 15 minutes d’intervalle pendant toute la matinée pour éviter l’achalandage, une désinfection des stations après le passage de chaque bénéficiaire. À l’intérieur du local presque neuf du boulevard Rolland, dans le nord-est du quartier, Papy Mbenguia, Stéphanie Baillard-Maillé et Jennifer Rodriguez gèrent le ballet des paniers et du désinfectant.

Avant la COVID-19, l’organisme venait en aide à 25 ou 30 familles par semaine et le dépannage alimentaire n’était pas sa principale activité. En mars 2020, Québec décrète le confinement et tout change.

« On est passés à 300 familles d’une semaine à l’autre, raconte Brunilda Reyes, directrice des Fourchettes de l’espoir. Dans les premières semaines, c’était des citoyens qui avaient perdu leur emploi. »

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Brunilda Reyes, directrice des Fourchettes de l’espoir

On recevait entre 1000 et 1200 appels par semaine, à 80 % des familles qui n’avaient jamais utilisé de dépannage alimentaire.

Brunilda Reyes, directrice des Fourchettes de l’espoir

Mme Reyes est rapidement contactée par la Table de concertation du quartier et l’arrondissement pour lui proposer de coordonner l’aide alimentaire et d’aider les autres organismes du quartier à continuer à desservir la communauté. Elle devient alors responsable d’un guichet téléphonique unique en dépannage alimentaire et redirige les citoyens vers les bonnes ressources.

L’aide s’organise ainsi dans tous les secteurs de l’arrondissement. La Table de quartier met sur pied des brigades qui font du porte-à-porte pour distribuer du matériel sanitaire et remplir un questionnaire pour mieux connaître les besoins des citoyens. C’est comme ça que Sophie a entendu parler du dépannage alimentaire aux Fourchettes de l’espoir.

Parallèlement, l’organisme Hoodstock organise rapidement la distribution de matériel sanitaire, dont des masques, bien avant qu’ils ne soient obligatoires dans les lieux fermés.

« On n’a pas attendu que les paliers plus haut et les institutions agissent. La patience a des limites quand on voit que les gens sont en détresse », raconte Nargess Mustapha, cofondatrice de l’organisme.

Dans une lettre ouverte publiée au mois d’avril, de nombreux organismes critiquent d’ailleurs la réponse des autorités qu’ils trouvent trop lentes à réagir à l’urgence dans le quartier alors que le nombre de cas augmente en flèche.

La réponse initiale des autorités de santé publique n’était pas adéquate aux réalités particulières du quartier, expliquent de nombreux acteurs communautaires et politiques.

Là où la Santé publique a plus de difficulté à s’adapter, c’est dans les communautés défavorisées et vulnérables. Ils ont une approche globale qui n’est pas adaptée aux différents secteurs.

Paule Robitaille, élue libérale de la circonscription provinciale de Bourassa-Sauvé

La communauté réclame rapidement des cliniques de dépistage mobile pour encourager les citoyens à se faire tester rapidement. « Au début, la clinique de dépistage la plus proche était à Rivière-des-Prairies, se rappelle Mme Robitaille. Dans Montréal-Nord, il y a des secteurs où on a beaucoup de travailleurs essentiels, souvent des mères cheffes de famille monoparentale, qui font des heures de fou. Il y a aussi du monde qui n’a pas assez d’argent pour prendre le bus. Tout ça complique les déplacements. »

Les cliniques de dépistage sont finalement déployées au mois de mai, soit deux mois après le début de la pandémie.

Malgré tous les efforts des organismes communautaires, plus de 9,1 % de la population totale de Montréal-Nord a contracté la COVID-19. C’est près de trois fois plus que la moyenne québécoise et près de deux fois plus que la moyenne montréalaise.

Ces chiffres sont certainement sous-évalués, considérant les difficultés qu’ont eues les résidants à se faire dépister.

Au total, 321 Nord-Montréalais sont morts de la maladie (en date de vendredi).

Une flambée de cas prévisible

« Ce n’était pas une surprise de voir que Montréal-Nord était un des territoires les plus touchés au Québec. On sait déjà qu’il y a des réalités multiples ici. Nos populations sont exposées à plusieurs inégalités systémiques », explique Nargess Mustapha, de Hoodstock.

« À Montréal-Nord, plusieurs personnes travaillent dans des services essentiels, explique Hoda Essassi, codirectrice générale de la Table de quartier de Montréal-Nord. Les gens se confinaient dans des appartements très petits, surpeuplés et parfois insalubres. C’est sûr que ça allait être compliqué. »

La vie après l’urgence

Si la réponse communautaire a pu être si efficace, si coordonnée à Montréal-Nord, c’est qu’elle a pu bénéficier de fonds d’urgence, débloqués par différentes institutions et fondations philanthropiques. Les acteurs du secteur communautaire s’inquiètent de leur capacité d’action lorsque la crise aiguë sera passée et que l’argent des fonds d’urgence ne sera plus disponible.

« La qualité des services va devoir rester au même niveau que pendant la pandémie. Je ne vais pas revenir à 25 familles par semaine [en dépannage alimentaire] au moins pendant les trois prochaines années », constate Brunilda Reyes, des Fourchettes de l’espoir.

Chaque fois que ça explose ici, on arrive avec des solutions très courtes. On ne fait pas de plan de 10 ans, avec des ressources pour 10 ans.

Brunilda Reyes, directrice des Fourchettes de l’espoir

« On a besoin de réponses structurelles qui vont être pérennes, croit pour sa part Nargess Mustapha, de Hoodstock. Les autorités ne peuvent pas agir seulement dans les situations d’urgence. On ne peut pas juste commencer à injecter des fonds d’urgence, et du moment que la COVID-19 n’est plus là, on n’est pas considérés comme une priorité. »

Les intervenantes interrogées souhaitent toutes que cette fois-ci soit la bonne et que ce soit cette crise qui permette de changer les choses dans le quartier. C’est ce que tout le monde souhaite depuis longtemps à Montréal-Nord.

« La pandémie a montré que quand on veut sortir l’argent, on peut le faire, commente Mme Reyes. Est-ce qu’on peut chercher des solutions durables pour qu’on soit préparés pour la prochaine crise ? »