Entraîneurs, athlètes, parents et responsables de fédérations sportives estiment que les jeunes ont suffisamment payé depuis un an. Ils réclament du gouvernement que ce soit enfin leur tour d’avoir droit à un peu plus de liberté, une fois la semaine de relâche passée. Une manifestation, dont Isaac Pépin, footballeur de 16 ans de Québec, est à l’origine, doit avoir lieu le 7 mars devant l’hôtel du Parlement. « On veut que M. Legault comprenne qu’on a besoin d’air. »

Attente forcée, effets dévastateurs

Près d’un an après le début de la pandémie, les jeunes athlètes montrent des signes d’impatience. Et de détresse, aussi, s’inquiètent des experts.

Avec leurs entraîneurs et leurs fédérations, ils pressent le gouvernement d’ouvrir les portes des gymnases et des centres sportifs pour préserver leur santé mentale et physique.

PHOTO ERICK LABBÉ, ARCHIVES LE SOLEIL

Manifestation à Québec pour la tenue des sports scolaires, le 28 août dernier. Le 7 mars, une nouvelle manifestation aura lieu devant l’hôtel du Parlement, à Québec, pour réclamer la reprise des sports organisés.

« On a assez attendu, lance Gustave Roel, PDG du Réseau du sport étudiant du Québec (RSEQ). Les jeunes nous disent qu’ils sont prêts à faire n’importe quoi pour recommencer. »

Parce que l’on connaît mieux la maladie et que la vaccination commence, des mesures peuvent être mises en place pour assurer une reprise sécuritaire des activités, croient-ils.

Le 12 février, M. Roel et d’autres acteurs du milieu sportif ont rencontré, pour la première fois depuis le début de la crise sanitaire, le DRichard Massé, conseiller médical stratégique à la Direction générale de la santé publique, qui leur a dit que les sportifs devaient faire partie de la solution.

Ce qui inquiète la Santé publique, explique le PDG du RSEQ, ce n’est pas l’activité sportive elle-même, c’est l’avant et l’après.

« Est-ce que les jeunes vont faire du covoiturage ou pas ? Donc, avant la semaine de relâche, avec Sports Québec, on planche, de façon accélérée, pour déposer un protocole unique. Et ça, c’est nouveau. Ça va être le même protocole pour tout le monde. Ça va être plus cohérent. On va s’adresser aux jeunes, mais aussi aux parents. »

Situation inquiétante

Ces réactions ajoutent une pression supplémentaire, teintée d’un sentiment d’urgence, à la suite des nombreuses interventions ces derniers mois de pédiatres et d’autres défenseurs de l’activité physique chez les adolescents. Pierre Lavoie, par exemple, a réclamé le mois dernier le retour au plus vite des sports d’équipe, au moins en zone orange, se demandant si des années d’efforts pour promouvoir l’activité physique chez les jeunes n’étaient pas menacées. L’automne dernier, l’Association des pédiatres du Québec sonnait l’alarme et disait craindre le sacrifice d’une génération d’ados.

La situation actuelle inquiète également le DLuc De Garie, président de l’Association québécoise des médecins du sport et de l’exercice, qui regroupe 200 professionnels de la santé.

Le problème est très criant. Je suis très inquiet. Et pour les filles, c’est encore pire parce qu’elles ont tendance à décrocher des activités sportives beaucoup plus que les garçons.

Le Dr Luc De Garie, président de l’Association québécoise des médecins du sport et de l’exercice

Tous les jours, le Dr De Garie voit des jeunes en détresse. Jeudi, c’était une patiente aux prises avec des troubles alimentaires apparus lorsqu’elle a cessé le cheerleading à l’école. La veille, c’était un jeune adepte du BMX qui, ne pouvant plus pratiquer son sport, passe ses journées à jouer à des jeux vidéo. « Il n’a pas le goût de faire autre chose. »

Les jeunes étaient déjà peu nombreux à s’adonner aux sports avant la pandémie, note-t-il. À peine 13 % des garçons et 16 % des filles faisaient plus de 60 minutes d’activité physique par jour sur une base régulière. « Avec la COVID-19, c’est pratiquement nul. L’accès aux plateaux sportifs pour les jeunes, c’est une nécessité et une priorité pour leur santé mentale. »

« Le sport, c’est une nécessité »

Enrico Ciccone, député libéral de la circonscription de Marquette, à Montréal, et ancien joueur de la Ligue nationale de hockey, est lui aussi inquiet. Il reçoit toutes les semaines des messages de parents et de jeunes qui souffrent d’anxiété et de dépression.

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

Enrico Ciccone, député libéral de la circonscription de Marquette

Des parents me disent que leurs jeunes ont recommencé à consommer. On me parle d’idées suicidaires. Pour ces jeunes-là, le sport, c’est une nécessité. Ils en ont besoin pour performer et rester à l’école.

Enrico Ciccone, député libéral de la circonscription de Marquette

L’entraîneur au développement au Club d’athlétisme de l’Université Laval, Alex Bussières, constate, lui aussi, que de jeunes athlètes manquent de motivation et songent à tout laisser tomber.

« Ils m’écrivent pour me dire qu’ils pensent peut-être arrêter parce que ça fait un an qu’ils n’ont pas eu de compétitions, pas d’entraînements de groupe réguliers. Oui, ils font du sport, ils sont bons, ils s’amusent, mais le social et le dépassement de soi leur manquent. »

Patrick Kearney, président de Judo Québec, trouve que l’attente a assez duré. Il s’est exprimé dans les médias cette semaine pour demander le « déconfinement » des sports à compter du 22 mars, soit 14 jours après la fin de la semaine de relâche.

« Les jeunes ont fait un gros effort pour protéger tout le monde », rappelle-t-il.

« Est-ce qu’on devait le faire ? Oui. Mais là, c’est à leur tour. »

Un peu d’espoir

Pour donner un peu d’espoir, soulignons que, malgré tous ces obstacles, des athlètes ont réussi à exceller dans leur sport. C’est le cas du patineur de vitesse Laurent Dubreuil, qui s’est entraîné dans son garage, mais qui vient d’être couronné champion du monde du 500 mètres.

PHOTO PETER DEJONG, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Le Canadien Laurent Dubreuil a remporté l’or au 500 m des Championnats du monde de patinage de vitesse sur longue piste, à Heerenveen, aux Pays-Bas, le 12 février.

« Les ados perdent la motivation, ils sont découragés. C’était aussi le cas de Laurent Dubreuil. Mais il a finalement été le meilleur au monde. C’est possible de faire quelque chose », lance François-Olivier Roberge, directeur adjoint aux communications et à la promotion à la Fédération de patinage de vitesse du Québec.

Comment explique-t-il sa performance ?

« Ça relève un peu du miracle, répond l’athlète de 28 ans de Lévis. Je ne suis pas capable de l’expliquer complètement, mais le fait qu’on n’a jamais arrêté d’y croire a fait qu’on a été capables de s’adapter. On avait toujours l’impression qu’on était capables de progresser même si on n’avait pas accès à notre sport. »

Des jeunes qui s’accrochent (encore) au sport

La Presse est allée à la rencontre de jeunes qui, privés de leur sport, rêvent du jour où la vie redeviendra normale. Certains sont prêts à manifester, d’autres sont démotivés, mais ils ont un point commun : ils trouvent que ça suffit.

« C’est le temps que les choses changent »

PHOTO PATRICE LAROCHE, LE SOLEIL

Isaac Pépin, 16 ans, est demi défensif de l’équipe de football le Blizzard du Séminaire Saint-François.

Isaac Pépin, élève de cinquième secondaire au Séminaire Saint-François, à Québec, en a assez. Le 7 mars, à 13 h, une manifestation aura lieu devant l’hôtel du Parlement, à Québec, pour réclamer la reprise des sports organisés. C’est son idée.

« Je me suis dit : c’est le temps que les choses changent », lance-t-il.

J’ai des amis en dépression. Il y en a qui sont désespérés, qui ne sont plus capables. Il y en a qui sont en échec, ce n’est pas le fun. Je peux essayer de leur remonter le moral, mais je ne suis pas la meilleure personne à l’école.

Isaac Pépin

Isaac Pépin, 16 ans, est demi défensif de l’équipe de football le Blizzard du Séminaire Saint-François. Au cours des derniers mois, il a interpellé à deux reprises le premier ministre François Legault pour discuter de la reprise des sports d’équipe à l’école. Il a rencontré, fin septembre, la ministre déléguée à l’Éducation, Isabelle Charest. Mais rien n’a changé.

« La manifestation, pour nous, les jeunes, c’est un moyen de nous faire entendre, explique-t-il. On veut que M. Legault comprenne qu’on a besoin d’air et que ça va faire un an qu’on est privés de sport. On va faire ça en respectant les règles sanitaires, et tout. »

« Il n’y a pas grand-chose qui me motive »

PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

Abigaëlle Perreault joue au football fanion (flag football) depuis six ans.

Avant la pandémie, les journées d’Abigaëlle Perreault, 18 ans, étaient bien remplies. Elle se réveillait tôt et se rendait au cégep Montmorency, où elle s’entraînait deux fois par semaine, en plus de suivre ses cours. Son sport, c’est le football fanion (flag football). Elle le pratique depuis six ans.

« C’est vraiment ça qui me poussait à aller à l’école, dit-elle. Là, en ce moment, il n’y a pas grand-chose qui me motive. »

Depuis que son cégep s’est tourné vers l’apprentissage à distance, en octobre dernier, ses entraînements ont été annulés. Ses amies lui manquent. Sa « famille sportive » aussi.

Je fais du sport sans arrêt depuis que je suis petite. J’ai besoin de bouger. Je fais aussi des ligues de garage quand la saison du flag football est morte. En ce moment, je cours à l’extérieur, mais j’ai perdu beaucoup de cardio. Et je déteste la course…

Abigaëlle Perreault

Le plus dur, ce sont les nuits. Celles où Abigaëlle se réveille, tourne dans son lit, sans pouvoir se rendormir. « C’est fou, je fais des nuits de trois heures, des fois, parce que ça me trouble », dit-elle.

En attendant des jours meilleurs, elle se fixe des buts. « Peut-être que nos entraînements individuels avec nos coachs vont pouvoir recommencer. Ça serait un début juste de pouvoir retoucher à un ballon, s’exercer à attraper, revoir nos coachs aussi. »

« On s’entraîne pour rien »

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

Alexis Kearney, qui pratique le judo, s’ennuie des compétitions.

Le judo, que pratique Alexis Kearney, 15 ans, est l’un des sports les plus durement touchés par la pandémie.

Mis sur pause il y a un an, le judo et les autres sports de combat sont les seuls dont la reprise n’a pas été permise l’été dernier. « On avait l’impression d’avoir été oubliés », dit le père d’Alexis, Patrick Kearney, président de Judo Québec, qui exige la reprise des sports organisés le 22 mars.

Alexis s’estime chanceux d’avoir un père avec lequel il peut s’entraîner de temps en temps. Mais depuis mars, il est passé de sept entraînements par semaine à trois ou quatre en solo. Tout ce qu’il peut faire, c’est garder la forme. « Au Québec, j’étais classé deuxième chez les 14-15 ans et quatrième chez les 16-17 ans », souligne l’élève de quatrième secondaire en sport-études à l’école Saint-Gabriel, à Sainte-Thérèse.

« C’est surtout la motivation qui est difficile. On a de moins en moins d’objectifs. Souvent, durant l’année, les objectifs, c’est d’avoir de bons résultats en compétition. Là, on s’entraîne un peu pour rien. C’est comme si on n’avait pas de but à ces entraînements, à part garder la forme. »

« On était rendues bonnes »

PHOTO ERICK LABBÉ, LE SOLEIL

Catherine Paré danse depuis l’âge de 3 ans.

« Honnêtement, ce n’est vraiment pas facile d’être tout seul dans son sous-sol. En studio, avec un professeur, des amis, tout le monde s’entraide. À la maison, ce n’est pas le cas. »

Avant la pandémie, Catherine Paré, 21 ans, dansait 18 heures par semaine. Elle répétait à l’École de ballet du Québec, qui, après 32 ans d’existence, vient de prendre la décision de fermer définitivement ses portes en raison d’un déficit de 200 000 $ dû à la pandémie.

Catherine Paré, étudiante en psychologie à l’Université Laval, danse depuis qu’elle a 3 ans. Le ballet, c’est sa passion. En décembre, elle devait jouer Blanche-Neige à la Place des Arts.

C’est difficile de se voir diminuer. On était rendues bonnes, à un bon niveau. Là, notre niveau est plus faible, même si on veut continuer à s’améliorer.

Catherine Paré

Mais le pire, c’est les enfants. « Je trouve ça tellement triste pour les jeunes du primaire et du secondaire qui ont besoin de ça. Moi, petite, j’aurais trouvé ça tellement difficile. L’été, je trouvais ça difficile parce qu’on avait moins de cours. Le ballet m’a permis de dépenser mon énergie. Ça m’a sincèrement rendue heureuse. C’est une partie importante de moi. Je ne vois pas pourquoi ce serait différent pour les jeunes en ce moment. C’est comme si on perdait une partie de nous, au fond. »

« J’ai baissé de niveau »

PHOTO FRÉDÉRIC CÔTÉ, LA TRIBUNE

Léa Morin fait du karaté depuis 12 ans.

Léa Morin, 18 ans, pratique le karaté depuis qu’elle a 6 ans.

Avant la pandémie, l’élève en sciences de la nature au cégep de Sherbrooke avait une routine. Mais sa vie est au point mort depuis bientôt un an.

J’ai baissé de niveau. Je ne suis pas au point où j’étais avant la pandémie. J’ai perdu de la force, de la vitesse, du cardio, un peu de tout. Et ça crée plus d’anxiété. On est passés de six entraînements par semaine à deux sur Zoom. Le sport est une façon de gérer mon stress. Donc, l’anxiété a vraiment monté.

Léa Morin

Léa Morin ne rêve que d’une chose : recommencer à s’entraîner avec d’autres personnes, pas derrière un écran d’ordinateur. « Je pense que ça aiderait tout le monde si on pouvait recommencer, même si on ne s’entraîne pas avec la personne. Ça fait juste du bien de voir quelqu’un en vrai. »

Et même si le patineur de vitesse Laurent Dubreuil est la preuve du contraire, elle craint que, lorsque les compétitions reprendront à l’international dans son sport, les athlètes qui ont pu continuer à s’entraîner parce que les règles étaient moins strictes qu’au Québec n’aient « un gros avantage » sur les autres.

« C’est ça qui me rend heureuse »

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

Ariane Proulx, 17 ans, devait retourner au jeu le 15 mars 2020 dans une équipe midget AAA.

« C’est très dur », laisse tomber Ariane Proulx, 17 ans, qui n’a pas pu jouer au hockey depuis un an parce qu’elle s’est blessée au début de 2020. Elle devait retourner au jeu, dans une équipe midget AAA, le 15 mars. Le 13 mars, la saison a été annulée.

Ce qui me motive à l’école et dans la vie, c’est le hockey. C’est ce qui me pousse à aller plus loin.

Ariane Proulx

Mais avec l’école en ligne et le confinement des sports d’équipe, c’est dire qu’Ariane a du mal à rester motivée. D’autant qu’à l’école aux adultes, où elle est inscrite cette année, il n’y a pas d’horaire. Les élèves se connectent au moment de leur choix.

« C’est sûr que j’ai pensé à abandonner. Ça m’a trotté dans la tête parce que ça fait un an qu’on vit sans hockey. On voit qu’on est capable. Mais, au bout de la ligne, je sais que c’est ce qui me rend heureuse dans la vie. »