Au cours des dernières semaines, des dizaines de citoyens habitant dans des résidences privées pour personnes âgées du Québec et atteints de la COVID-19 ont été transférés dans des CHSLD pour être soignés. Une propriétaire de résidence privée de Boucherville déplore le piètre état dans lequel sont revenus plusieurs de ses 15 résidants atteints de la maladie. Mais que faire de ces personnes âgées, parfois fragiles, qui se trouvent contaminées par la maladie ?

La résidence privée des Berges, à Boucherville, a été épargnée par la première vague de COVID-19. Mais actuellement, 15 résidants y ont reçu un diagnostic positif, ce qui en fait l’un des établissements privés les plus touchés actuellement au Québec.

La propriétaire, Lilianne Gauthier, explique qu’un de ses employés a reçu un diagnostic positif de COVID-19 le 18 septembre, entraînant une cascade de cas. Dans la semaine du 21 septembre, les résidants contaminés de la Résidence des Berges ont été transférés au CHSLD René-Lévesque, à Longueuil. Dans une aile réservée aux patients atteints de la COVID-19. La semaine dernière, le Manoir Plaza à Montréal, qui a enregistré 28 cas de COVID-19, disait aussi avoir transféré ses résidants positifs en CHSLD.

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Lilianne Gauthier, propriétaire de la résidence privée des Berges, à Boucherville

Diana Milette, directrice adjointe du Soutien à l’autonomie aux personnes âgées au CISSS de la Montérégie-Est, explique que chaque établissement de santé détermine de quelle façon il soutient les résidences privées pour aînés (RPA) de leur territoire aux prises avec des cas de COVID-19.

Les personnes âgées autonomes, capables de respecter les mesures de confinement et dont l'état exige peu de soins peuvent rester isolées dans leur résidence privée même si elles ont la COVID-19. Mais pour les personnes avec des troubles cognitifs ou exigeant plus de soins, d’autres solutions doivent être trouvées.

Certains établissements de santé confient ces patients dans des zones rouges de CHSLD. Mme Milette précise que ces milieux sont « étanches » et que le risque de transmission aux autres résidants est quasi inexistant.

D’autres établissements de santé aménagent des « sites non traditionnels », comme dans des arénas. « Lors de la première vague, tous ces patients se retrouvaient aux urgences. Là, on a d’autres solutions pour qu'ils ne viennent pas à l’hôpital », résume le DGilbert Boucher, président de l’Association des spécialistes en médecine d’urgence du Québec (ASMUQ).

Hospitalisés dès leur retour

À la Résidence des Berges, Mme Gauthier dit avoir été très heureuse que ses résidants positifs aient rapidement été pris en charge par le CISSS de la Montérégie-Est. « On se disait : au moins ils seront bien traités. Ils sont censés avoir appris de la première vague et savoir quoi faire », dit Mme Gauthier.

Par vagues successives, ses résidants sont donc partis au CHSLD René-Lévesque. Plusieurs en sont revenus hypothéqués. « Il y en a un qui ne pouvait plus se tenir debout. Ils reviennent amaigris », souffle la propriétaire en ne pouvant retenir ses larmes. Un résidant avait de fortes quantités de nourriture coincées sous son dentier. « Il ne mangeait plus et on ne savait pas pourquoi. On a dû le retourner à l’hôpital dès le lendemain de son arrivée ici », déplore-t-elle.

En tout, trois résidants de retour du CHSLD ont dû être hospitalisés aussitôt après leur arrivée à la Résidence des Berges. Une dame recevra un diagnostic de pneumonie. Une autre était complètement déshydratée.

C’était l’horreur. Ils auraient mérité d’avoir mieux.

Lilianne Gauthier, propriétaire de la Résidence des Berges, au sujet de résidants qui ont séjourné en CHSLD

Deux des trois résidants de la Résidence des Berges se trouvent toujours à l’hôpital, et quatre au CHSLD. « Les soins sont mieux. On leur donne les services d’une physiothérapeute », dit Mme Gauthier.

Mme Milette indique que la COVID-19 « est une maladie difficile pour nos aînés » et que « le déconditionnement fait partie du tableau clinique de ces patients ». Elle précise que les résidants de la Résidence des Berges faisaient partie de la première cohorte à être accueillie au CHSLD René-Lévesque. Depuis, une équipe de travailleurs sociaux a été ajoutée pour améliorer la communication avec les familles.

On est en amélioration continue. […] L’idée, c’est d’aider les RPA.

Diana Milette, directrice adjointe du Soutien à l’autonomie aux personnes âgées au CISSS de la Montérégie-Est

« Trop vite »

Dix jours après le départ de ses premiers résidants en CHSLD, Mme Gauthier dit avoir appris que ceux qui n’avaient plus de symptômes revenaient. « Sans aucun test… J’ai crié au meurtre avec mon infirmière. » Mme Gauthier craignait de fragiliser son établissement, où tout le monde était confiné et en quarantaine depuis des jours.

Mme Milette assure que les normes de l’Institut national de santé publique du Québec ont été respectées dans le cas de la Résidence des Berges. Car en gros, les usagers avec une maladie légère ou modérée peuvent retourner dans leur milieu de vie 10 jours après avoir reçu leur diagnostic s’ils ne présentent pas de symptômes. « Il n’est pas nécessaire de les tester », dit Mme Milette.

Mais selon Mme Gauthier, ce retour rapide a eu un impact majeur. Le 10 octobre, la propriétaire a appris qu’elle était atteinte de la COVID-19. Elle pense avoir été contaminée par un résidant revenu du CHSLD. « Mon personnel était débordé. Je lui ai donné des soins. […] On nous donne de l’aide, mais on vient nous recontaminer », critique Mme Gauthier, qui croit que certains de ses résidants sont revenus « trop vite ».

Quelle solution ?

Sur le terrain, la question de savoir comment soigner les personnes contaminées hébergées en résidence privée pour aînés est importante.

Car jusqu’à maintenant, la deuxième vague de COVID-19 frappe particulièrement les résidences privées pour aînés. « À Montréal, il y a très peu de cas dans les CHSLD. Ça, c’est la grosse différence par rapport au printemps. […] Tous ceux qui habitent à domicile et dans des résidences privées. C’est beaucoup plus ceux-là qui m’inquiètent en ce moment », affirme le DDavid Lussier, gériatre à l’Institut universitaire de gériatrie de Montréal.

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Le DDavid Lussier, gériatre à l’Institut universitaire de gériatrie de Montréal

« Ce qu’on voit, c’est que les chiffres explosent davantage dans les milieux RI [ressources intermédiaires] et les RPA. […] J’ai peur que ça retombe sur eux pour la deuxième vague parce qu’ils ont encore moins de ressources que nous », dit la Dre Sophie Zhang, coprésidente de la Communauté de pratique des médecins en CHSLD.

Le DLussier croit que les sites non traditionnels sont efficaces. Le DBoucher estime qu’il faut essayer « d’utiliser au mieux les ressources disponibles ». Car envoyer tous ces patients à l’hôpital n’est pas une solution viable.

Les urgences sont bondées actuellement. Il faut trouver une autre avenue.

Le DGilbert Boucher, président de l’Association des spécialistes en médecine d’urgence du Québec

Président de l’Association des médecins gériatres du Québec, le DSerge Brazeau est conscient que la solution parfaite n’existe pas. Il ajoute qu’il faut aussi considérer tous les autres aînés de résidences privées, qui se trouvent parfois confinés trop longtemps. « Je vois encore aujourd’hui des victimes de l’isolement de la première vague. Des gens qui ne sont plus capables de marcher… Je comprends nos dirigeants d’être mal pris. Il n’y a pas de solution facile », dit-il.

Les gériatres favorables à des normes nationales pour les aînés

Président de l’Association des médecins gériatres du Québec, le DSerge Brazeau estime que l’idée du gouvernement fédéral d’imposer des normes nationales pour les soins aux aînés ne doit pas être rejetée du revers de la main. « Essayer de faire des normes plus robustes et meilleures, on ne peut pas être contre », dit-il. Le DBrazeau reconnaît que des transferts fédéraux seront nécessaires pour rehausser les soins aux aînés dans les provinces. Mais un cadre plus sévère est souhaitable. Car le DBrazeau souligne que dans le passé, quand les gériatres dénonçaient le manque de personnel et de soins aux aînés, « on se faisait souvent dire que ce qui était offert respectait les normes ». « Mais les normes n’étaient pas suffisantes », dit-il. Le DBrazeau croit notamment qu’il faudra réfléchir à la possibilité d’imposer des ratios de soignants dans les établissements de soins pour aînés. « Et les normes fédérales pourraient être l’occasion de réfléchir à ça. […] Il faut soigner toutes les personnes âgées de la bonne façon », dit-il.