Tout juste arrivés dans le réseau de la santé, certains nouveaux préposés aux bénéficiaires formés en accéléré par Québec veulent déjà s’en aller, révèlent nombre de témoignages recueillis par La Presse. Pendant ce temps, le nombre de recrues au sein de la deuxième cohorte de formation se trouve encore loin de l’objectif du gouvernement.

« Beaucoup pensent à partir »

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

La première cohorte de quelque 5300 préposés vient tout juste d’obtenir son diplôme que déjà, les syndicats s’inquiètent de la voir quitter massivement le réseau de la santé dans un an.

Intimidation, manque d’encadrement, sentiment d’impuissance, « fausses promesses »… Quelques semaines à peine après avoir intégré le marché du travail, des nouveaux préposés aux bénéficiaires (PAB) formés en accéléré par Québec sont découragés. Quelques-uns ont déjà claqué la porte ; beaucoup d’autres veulent les imiter.

« On avait des carrières. On avait des métiers qu’on a quittés pour aller aider. Je regrette presque mon choix », résume une diplômée qui, trois semaines après avoir commencé, ne pense qu’à s’en aller.

La première cohorte de quelque 5300 préposés vient tout juste d’obtenir son diplôme que déjà, les syndicats s’inquiètent de la voir quitter massivement le réseau de la santé dans un an. (S’ils quittent le réseau de la santé avant d’avoir fait une année en CHSLD, les nouveaux PAB doivent rembourser les quelque 9000 $ qu’a coûté leur formation). La Presse a récolté 16 témoignages de diplômés provenant de six régions différentes. Deux ont déjà jeté l’éponge, les autres y pensent. Ceux qui occupent toujours un emploi nous ont parlé sous le couvert de l’anonymat par crainte de représailles.

« On en entend beaucoup qui sont très déçus de comment ça se passe et qui pensent à partir », confirme Karine Cabana, négociatrice pour le Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP).

Le ministère de la Santé n’a compilé que 28 démissions depuis la fin de la formation de la première cohorte, à la mi-septembre. Mais, préviennent syndicats et employés, la vague risque d’arriver. Dans les dernières semaines, les échos de l’insatisfaction des nouveaux préposés ont plusieurs fois rebondi aux conférences de presse du gouvernement.

Notre plus grande inquiétude, c’est dans un an. La grande majorité des gens vont rester [un an] compte tenu des conditions dans lesquelles ils ont été embauchés. Mais quand leur année va être terminée, ces gens-là risquent de partir si on n’améliore pas rapidement leurs conditions dans lesquelles ils font leur travail.

Karine Cabana, négociatrice pour le Syndicat canadien de la fonction publique

Les récriminations des diplômés à qui nous avons parlé sont nombreuses. Le salaire, bien sûr, au sujet duquel le premier ministre Legault a maintes fois été interpellé. Au départ, il avait promis 26 $ de l’heure aux nouveaux préposés. Ce que plusieurs ont découvert une fois la formation entamée, c’est que cette somme inclut des primes qui ne sont pas applicables à toutes les payes. Certaines sont aussi appelées à disparaître à la fin de la pandémie. Le salaire de base pour les nouveaux préposés est de 20,55 $.

Puis il y a l’ambiance de travail. Plusieurs ne se sentent pas bien accueillis par les anciens ; d’autres affirment avoir été carrément victimes d’intimidation, nombreux exemples à l’appui. « Les annonces gouvernementales ont fait en sorte qu’il y a des tensions entre les anciens et les nouveaux. Il y a des anciens qui pensent encore que les nouveaux gagnent plus et il y a des nouveaux qui sont bien contents de penser qu’ils gagnent davantage que les autres », explique Hubert Forcier, de la CSN.

Mais surtout, il y a le manque d’encadrement et les « promesses brisées ».

« Quand j’ai été embauchée, ils nous ont dit que les finissants, on serait des employés en surplus pendant un an. Après mon quatrième quart de travail, ils nous comptaient comme des préposées à part entière », raconte Kim (prénom fictif), qui travaille dans la couronne nord de Montréal. La nuit, elle est seule sur son étage. Sur les autres étages, les préposés sont de nouveaux diplômés, comme elle.

On manque de contacts avec les ressources humaines, avec le chef de service, avec des employés expérimentés. On n’a pas d’encadrement.

Kim (prénom fictif)

Trois semaines après avoir commencé, elle pense déjà au jour où elle ne travaillera plus là. « À 20 ans, je n’aurais peut-être rien dit. Mais j’en ai 40. J’ai plus d’assurance. Je n’ai pas peur de parler. Je savais que c’était un métier difficile, mais j’ai mes limites. »

« Fausses promesses »

Diane Beauregard, elle, n’a pas attendu avant de claquer la porte. À 55 ans, elle pensait depuis des années à faire le saut. Quand le gouvernement a annoncé sa campagne de recrutement, elle s’est lancée. Le rêve a viré au cauchemar. La femme de Rawdon a écrit sa lettre de désistement le jour même où elle a réussi sa formation. « Le peu de temps qu’il me reste à travailler, je veux que ça soit dans un environnement paisible. »

Mme Beauregard affirme que les préposés de son CHSLD de Lanaudière ont effectué des « moyens de pression » pendant sa première semaine de stage. Ils auraient notamment caché les poubelles de son étage et ont sans cesse remis en doute la formation des nouvelles recrues.

« Je ne trouve pas qu’on était prêts à rentrer avec le peu de formation qu’on a eue », dit-elle. Une fois sur le terrain : « On n’avait pas d’information sur les patients. On ne savait pas si un monsieur était diabétique, cancéreux, s’il a des problèmes de cœur. On ne savait absolument rien. »

Josée Ross a fait sa formation dans les Laurentides. Elle aussi a remis sa démission. Une fois son stage terminé, on lui a offert un poste de soir. Pour la maman de deux garçons, seule une semaine sur deux, c’était impossible. « On nous disait qu’il y aurait plein de postes de jour, c’était une fausse promesse », déplore-t-elle.

Conciliante, elle a proposé de travailler de soir la semaine qu’elle n’avait pas ses enfants, ou de travailler à temps partiel ou sur une liste de rappel. Le CISSS a refusé son offre. Elle s’est donc trouvé un emploi à salaire inférieur dans une résidence privée et elle doit rembourser sa bourse d’études d’ici la fin du mois.

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Josée Ross

Ça m’a causé beaucoup de stress, d’angoisse et de peine. Je m’attendais à avoir un bon emploi bien rémunéré. J’ai pleuré beaucoup. […] Pour moi, c’est hors de question que je dise à mes garçons que maman ne les verra pas du mois.

Josée Ross

« Le jour et la nuit »

Mme Ross n’est pas la seule à s’être sentie trompée par Québec.

« Entre le stage et maintenant, c’est le jour et la nuit », dénonce Monique (prénom fictif), qui a quitté un emploi en gestion pour « aider ». « On est complètement laissés à nous-mêmes. Je n’ai pas de réponses à mes questions. Pendant le stage, tout le monde était gentil, souriant. Et là, on n’est plus importants. »

La femme qui travaille dans la couronne nord de Montréal en a contre son horaire de nuit, qu’elle non plus ne s’attendait pas à avoir et qui mine sa santé, dit-elle. Mais surtout, elle ne se sent pas épaulée durant ses quarts de travail. Les autres préposés avec elle sont tous nouveaux. Les infirmières proviennent souvent d’agences de placement et ne connaissent pas la clientèle.

« Il manque énormément d’organisation. Ce n’est pas [un milieu] assez professionnel. J’ai un bagage derrière moi. Je peux comparer », dit Monique, qui pense sérieusement à démissionner, quitte à rembourser les 9000 $. « Être tout le temps sur le stress, ça ne me tente pas. Je voulais tellement aider, mais là, je regrette sincèrement mon choix. »

Autres établissements, mêmes déceptions :

« En ce moment, je me dis que je fais mon un an et que je m’en vais. Sinon, c’est sûr que je me ramasse en dépression. C’est vraiment tough moralement. C’est pas de prendre soin des personnes âgées que j’ai de la misère. C’est vraiment le manque de professionnalisme et de collaboration dans ce milieu », dit un préposé à Montréal.

« J’ai vraiment réfléchi à partir, à rembourser ma bourse. Quand je suis allée vers le cours, ça disait que j’allais avoir ma fin de semaine sur deux. Que j’allais être sur deux quarts de travail. Que j’allais être sur du temps plein tout le temps, pas sur appel. Ce sont des choses qui nous avaient été promises. Quand je suis arrivée sur le marché du travail, ils m’ont dit que j’allais être sur trois quarts de travail, que j’allais peut-être travailler toutes les fins de semaine. Il a fallu que je me batte pour obtenir l’horaire qu’on m’avait dit que j’aurais. J’étais fatiguée à cause du travail. J’étais fatiguée à cause de mes enfants. J’ai regretté de m’être lancée dans la formation », confie une autre, en poste en Montérégie.

« Pendant notre stage, on était vraiment encadrés, on avait une personne référence qu’on pouvait toujours appeler. Là, on est complètement laissés à nous-mêmes, ajoute Nicolas, à Laval. Il manque de monde. Deux fois déjà, j’ai eu une double charge de travail. Durant la formation, on nous a demandé de prendre le temps de parler aux résidants. Je n’ai pas le temps de faire ça. Je suis allé là de bonne volonté et je me retrouve dans un étau. »

« Les gens sont déjà épuisés »

« Les nouveaux préposés, admet Karine Cabana du SCFP, arrivent dans un contexte de COVID où les gens sont déjà extrêmement épuisés. Ils arrivent sur le terrain et se retrouvent à devoir faire le travail seuls. C’est un travail exigeant et il n’y a pas toujours des gens pour les accompagner. Il y a beaucoup de réguliers qui ne sont pas nécessairement présents parce qu’ils sont en invalidité ou ils ont simplement quitté le réseau. Donc beaucoup de gens sans expérience peuvent se retrouver à travailler ensemble. »

Dans les CHSLD, l’arrivée de ces milliers de renforts reste précieuse. « On entend de super belles histoires sur le terrain. L’aide apportée est précieuse », dit Judith Goudreau, porte-parole du CISSS de Laval.

« Ils sont très motivés, mais ils ont besoin d’énormément de coaching et ça demande du temps. Trois mois, c’est rapide pour se former. La deuxième vague est arrivée plus tôt qu’on pensait et ils n’ont pas eu beaucoup de temps pour travailler. C’est une petite inquiétude de savoir comment ils vont réagir, mais on est très contents de les avoir », ajoute la Dre Sophie Zhang, du CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal, qui travaille en CHSLD.

En chiffres

— 9788 candidats ont été retenus pour la formation accélérée de préposé en CHSLD.

— En date du 21 août, ils n’étaient plus que 7115 « étudiants actifs », selon le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS).

— 5328 personnes ont terminé leur formation et occupent un emploi dans le réseau de la santé.

— Plus de 1000 autres sont actuellement en stage dans le réseau. « C’est donc dire que 7000 préposées en CHSLD sont sur le plancher d’une façon ou d’une autre comme employé ou stagiaire », dit le MSSS.

« Les nouveaux nous enlèvent du stress »

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Sarkis Tabet et Joanie Lelièvre, préposés aux bénéficiaires au CHSLD Fernand-Larocque, à Laval

« Les préposés couraient partout. Maintenant, je les vois chanter avec les résidants parce qu’ils ont le temps de le faire », raconte Vanessa St-Pierre, gestionnaire du CHSLD Fernand-Larocque. Dans les dernières semaines, l’établissement de Laval a accueilli 37 nouveaux préposés qui ont terminé leur formation accélérée. Ces recrues donnent un second souffle à l’équipe qui a été durement éprouvée par la première vague de COVID-19.

Joanie Lelièvre sentait ses collègues tendus lorsqu’elle a commencé son stage au CHSLD Fernand-Larocque, le 16 septembre dernier. Pendant la première vague de COVID-19, 74 résidants du centre ont été atteints du virus et 24 en sont morts. « La première journée, on nous disait qu’il fallait se dépêcher, qu’on était pressés. On a tout fait vite, vite, puis à la fin de la journée, on s’est regardés. Finalement, il nous restait plein de temps », se rappelle la préposée de 21 ans, qui travaille auprès de personnes ayant des problèmes d’errance.

« Vu qu’on est beaucoup plus, on a beaucoup plus de temps. On donne des bains de 30 minutes aux résidants. On met de la musique, on danse et on joue dans l’eau avec eux », raconte celle qui a quitté un poste de cosméticienne pour suivre la formation écourtée de trois mois au lieu de neuf.

Avec l’arrivée de ces 37 nouveaux employés, le nombre de préposés aux bénéficiaires a augmenté de 40 % au CHSLD Fernand-Larocque. Deux personnes, une de jour et une de soir, ont été libérées de leurs tâches afin d’accompagner les recrues dans leur travail.

Les accompagnateurs ont un rôle de soutien. Si Joanie a de la misère avec les soins d’un résidant, ils vont l’aider, ils vont la guider. Oui, les nouveaux sont embauchés, mais leur accompagnement se poursuit.

Vanessa St-Pierre, coordonnatrice clinico-administrative du CHSLD Fernand-Larocque

Des « mentors »

Sarkis Tabet est l’un de ces deux « mentors ». Le préposé, qui compte trois ans d’expérience, se promène partout dans la résidence pour s’assurer que les nouveaux préposés se sentent à l’aise avec leurs responsabilités. Il est l’un des rares employés à se déplacer d’un étage à l’autre pendant la pandémie.

Le superviseur prend des nouvelles de ses employés à chacun de leurs quarts de travail. Il veut les aider à « aller plus loin ». « On sent qu’ils veulent apprendre, qu’ils sont intéressés, qu’ils veulent travailler. Ils ne sont pas juste là pour boucher des trous à cause de la COVID. Ils veulent être là, ils veulent continuer », dit M. Tabet.

C’est le cas de Joanie Lelièvre, qui se voit déjà faire carrière comme préposée. « Je suis à ma place. J’adore mon travail ! », dit-elle.

Une déclaration qui a de quoi réjouir ses supérieurs.

« Les nouveaux nous enlèvent du stress », assure M. Tabet.

« On sent les gens plus détendus », confirme Mme St-Pierre.

Une deuxième cohorte loin des objectifs

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Formation de nouveaux préposés aux bénéficiaires, en juin dernier

Alors que Québec a autorisé le démarrage d’une deuxième cohorte « de plus de 3200 » nouvelles places pour devenir préposés en CHSLD, ils sont à peine 700 élèves sur les bancs d’école une semaine après le début des classes.

La deuxième vague de formation accélérée et rémunérée s’est amorcée comme prévu le 28 septembre dernier dans « certains centres de formation » professionnelle de la province, a confirmé à La Presse le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS). Or, ils ne sont que 696 à avoir entrepris les cours, a-t-on aussi indiqué.

C’est bien loin de l’objectif du gouvernement, qui affirmait le 15 septembre dernier dans un communiqué qu’une « deuxième cohorte de plus de 3200 élèves débutera la formation à compter du 28 septembre ».

Dans une lettre d’opinion publiée lundi dans La Presse, le ministre de la Santé, Christian Dubé, réaffirme que 3000 nouveaux préposés « viendront s’ajouter au réseau d’ici la fin de l’automne », en faisant allusion à la seconde vague d’étudiants qui doivent compléter la formation de 375 heures.

Québec a choisi d’offrir à nouveau sa formation faite sur mesure pour pallier la pénurie de préposés aux bénéficiaires. Quelque 7100 élèves ont terminé le programme lors de la première cohorte. Le gouvernement a rouvert 3200 places pour atteindre sa cible ambitieuse de former 10 000 nouvelles ressources.

Or, sur le terrain, la deuxième cohorte tarde à se déployer. Des centres de formation professionnelle (CFP) n’ont pas tous la même capacité. Il faut comprendre que contrairement à l’été dernier, l’automne, avec la reprise des autres cours, pose des enjeux de logistique, notamment pour la disponibilité de locaux et d’enseignants, a expliqué le MSSS.

Des établissements doivent cependant lancer des groupes supplémentaires au cours des prochaines semaines, a-t-on pu confirmer.

Par exemple, au CFP 24-Juin de Sherbrooke, aucun groupe n’a commencé en date du 28 septembre. Trois classes de 22 élèves doivent commencer leur formation le 13 octobre. Ceux-ci ne termineront pas avant le 25 janvier 2021, a confirmé l’établissement. À Montréal, le CFP Antoine-de-Saint-Exupéry reçoit 104 élèves. Des groupes doivent être lancés le 26 octobre et le 23 novembre. À l’établissement Compétences-2000, ce ne sont que 75 candidats qui ont amorcé la formation.

« Cela dit, la formation va bon train et nous sommes satisfaits du rythme », a fait savoir le MSSS par courriel.

Deuxième cohorte pas offerte à tous

Des dizaines de milliers de volontaires ont levé la main au printemps dernier pour être de la formation express à laquelle une bourse équivalente à 21 $ l’heure est rattachée. Contrairement à la première fois, la deuxième cohorte n’est pas offerte à tous, mais notamment aux employés du réseau de la santé, comme les aides de service.

Ces derniers n’avaient pu postuler en juin. La formation est aussi ouverte « aux personnes n’ayant pas pu participer à la formation cet été à la suite de leur acceptation », a précisé le MSSS.

« Le recrutement ne se fait pas à l’externe », explique la conseillère en communications au CFP Fierbourg à Québec, Noémie Drouin. L’établissement, qui accueille 34 élèves au programme, élargira d’ailleurs son bassin de recrutement pour démarrer son prochain groupe, le 16 novembre. Ceux qui se trouvent sur la liste d’attente depuis juin pourront alors s’inscrire.

Il est impossible de savoir quelle proportion des 696 candidats provient du réseau de la santé, puisque ces données ne sont pas ventilées au Ministère.