Quelque 460 millions de cigarettes légales de plus se sont vendues au Canada en mai et juin, comparativement à la même période l’an dernier, ce qui fait dire aux compagnies de tabac et aux dépanneurs que la pandémie de COVID-19 permet de constater que la contrebande occupe une place très importante au Québec et au pays, peut-être même plus qu’on ne le croit.

« On a ramené à peu près dans le marché légal plus de 400 millions de cigarettes de plus durant cette période-là au Canada, à pareille date. C’est probablement une hausse de 10 à 15 %. Avec la COVID-19, on réalise qu’il y a pas mal de contrebande au Québec », dit Éric Gagnon, directeur principal des affaires corporatives et réglementaires chez Imperial Tobacco Canada.

« Il y a eu une hausse des ventes de cigarettes légales d’au moins 10 à 15 % dans les dépanneurs autour des réserves amérindiennes dans la province », renchérit Stéphane Lacasse, porte-parole de l’Association des détaillants en alimentation du Québec.

Mais le Conseil canadien de l’industrie des dépanneurs, qui regroupe 25 000 dépanneurs au Canada, dont 4000 au Québec, affirme que la pandémie a fait augmenter les ventes de cigarettes légales de 35 % dans les commerces situés près des réserves autochtones, et de 20 à 30 % ailleurs au Québec.

« Nos propriétaires nous disent : “On vend moins d’essence, mais au moins, on vend plus de cigarettes” », décrit Michel Gadbois, vice-président Québec pour le Conseil canadien.

« Depuis la mi-mars, à son plus haut, avant la réouverture des ventes illicites, les volumes de vente ont été en croissance de près de 30 % au Québec et de plus de 20 % en Ontario », affirme Laurence Myre Leroux, responsable des communications pour Couche-Tard.

Retour à la normale appréhendé

Selon les responsables des compagnies de tabac et les dépanneurs, cette hausse sensible de la vente de cigarettes légales s’explique par la fermeture des réserves autochtones et des cabanes de vente de cigarettes sur les territoires des Premières Nations. En raison de la pandémie de COVID-19, les consommateurs qui s’y rendaient pour acheter leurs produits se sont tournés vers le marché légal.

Par exemple, le commissaire à la sécurité publique de la réserve de Kahnawake, sur la Rive-Sud de Montréal, Lloyd Phillips, a annoncé la « fermeture de tous les magasins et les usines de cigarettes », pour réduire les risques de propagation de la COVID-19, écrivait le site internet Iori:wase, site de nouvelles de la communauté, le 21 mars dernier. Les magasins seraient toutefois rouverts depuis quelques jours.

« Depuis que les réserves sont rouvertes, on remarque une diminution des ventes de cigarettes légales. Les gens ont visiblement recommencé à acheter des cigarettes illégales », a appris M. Lacasse auprès de ses membres.

Une tendance également remarquée chez Couche-Tard. « Depuis le retour des ventes illicites, nous voyons un déclin qui annonce probablement un retour à la normale dans les prochaines semaines », explique Mme Myre Leroux.

Des pertes de 2 milliards de dollars

Des ventes de cigarettes légales en hausse de 10 à 15 % depuis le début de la pandémie ? C’est justement la proportion qu’occuperait la contrebande dans le marché du tabac au Québec, selon les autorités. Mais Michel Gadbois croit qu’elle est plus importante encore.

Citant un rapport de la Gendarmerie royale du Canada, M. Gagnon affirme qu’il y aurait 50 usines de fabrication de cigarettes illégales au Canada, 300 cabanes de vente de cigarettes illégales dans les réserves du Québec et de l’Ontario et 175 groupes criminels qui seraient impliqués dans la contrebande au pays.

Citant des études, il ajoute que les gouvernements du Canada et des provinces perdent 2 milliards de dollars en taxes non perçues annuellement, dont 125 à 150 millions au Québec.

« Le gouvernement [fédéral] a dû remarquer depuis mars dernier qu’il avait dû faire de bons revenus en taxes. Il aura alors une idée parfaite de la contrebande », affirme Michel Gadbois.

« Les gouvernements doivent s’attaquer à la contrebande ; ils perdent des revenus et nous des ventes », poursuit Stéphane Lacasse, de l’Association des détaillants en alimentation.

Une politique fiscale « prudente », des investissements dans des équipes policières comme Accès Tabac – financée par le gouvernement et spécialisée dans la lutte contre la contrebande de tabac – et la création d’une table de concertation Ottawa-Ontario-Québec sont des solutions proposées par M. Gagnon pour s’attaquer à la vente de cigarettes illégales.

M. Gadbois déplore également que le paquet neutre facilite la tâche des contrebandiers tout en leur permettant d’épargner de l’argent.

La police frappe

Jeudi, la Police provinciale de l’Ontario (OPP) a annoncé avoir démantelé un réseau de trafiquants de cigarettes illégales et de marijuana, arrêté 16 personnes et saisi 11 millions de cigarettes, 1700 lb de cannabis, trois armes de poing et une certaine quantité de cocaïne et de fentanyl.

L’organisation criminelle visée opérait en partie sur le territoire de la réserve des Six Nations en Ontario, mais n’aurait rien eu à voir avec la communauté, selon le surintendant Bryan MacKillop de l’OPP.

Le réseau aurait eu des ramifications au Québec et une perquisition a eu lieu dans une entreprise de Montréal le 1er juin dernier. L’enquête se poursuit.

Selon le surintendant MacKillop, la COVID-19 a eu une influence inégale sur la contrebande de cigarettes en Ontario, selon les secteurs, mais il ne peut dire si celle-ci a augmenté ou diminué depuis le début de la pandémie.

« Cette opération démontre clairement que la contrebande est un problème sérieux en Ontario et qu’elle finance le crime organisé. Le gouvernement ontarien doit agir maintenant pour endiguer cette activité illégale, arrêter les criminels et remettre cet argent dans le Trésor public », a déclaré Ron Bell, de la Coalition nationale contre le tabac de contrebande.

Pour joindre Daniel Renaud, composez le 514 285-7000, poste 4918, ou écrivez à l’adresse postale de La Presse.