Il était environ 13 h, mardi, quand la ministre Marguerite Blais, questionnée sur l’implantation chaotique de la climatisation dans les CHSLD, a dit ceci : « En ce qui nous concerne, ce n’est pas une question d’argent, mais de confort. S’il y a des difficultés financières, le gouvernement sera là pour pallier. »

Cette déclaration a fait sursauter François et Stéphanie (prénoms fictifs), qui venaient de recevoir l’appel d’un employé du CHLSD Hubert-Maisonneuve, à Rosemère, leur demandant de payer des frais de 250 $ afin de permettre la climatisation dans la chambre qu’occupe la mère de François. La septuagénaire vit dans cet établissement depuis plusieurs mois et elle « reçoit de très bons soins », a tenu à me dire son fils.

J’avoue que ça m’a pris par surprise. Mais j’ai accepté de payer, car je veux que ma mère soit bien. Nous avons l’argent, ce n’est pas un problème. Mais je pense à tous ceux qui n’ont pas les moyens de payer ça. Ils vont faire quoi ?

François

Un employé du CHSLD Hubert-Maisonneuve a dit à François qu’il allait bientôt recevoir une facture.

Cette somme de 250 $ sert à couvrir les frais de climatisation pour cet été seulement, a-t-on précisé à François. Après les frais de location d’un téléviseur à l’hôpital, voici ceux des climatiseurs dans les centres d’hébergement.

Au CISSS des Laurentides, l’attachée de presse Myriam Sabourin a paru étonnée. « Normalement, ces frais sont exigés uniquement lorsqu’un patient fait une demande spéciale », m’a-t-elle dit, gênée. Or, François et Stéphanie n’ont pas fait de demande en ce sens, ont-ils assuré.

Myriam Sabourin m’a rappelé trois heures plus tard. Elle a confirmé que cette demande de frais de 250 $ avait été faite par d’autres CHSLD du CISSS des Laurentides. « Il semble qu’il y ait eu une confusion, a-t-elle expliqué. Ces demandes n’auraient pas dû être faites. Aucuns frais ne seront facturés. »

C’est ahurissant. Et navrant. Une ministre affirme en direct à la télé que l’argent n’est pas un problème alors qu’au même moment, des établissements publics qui hébergent des personnes âgées dont son ministère a la responsabilité exigent des frais de 250 $ aux familles de leurs patients. Bonjour la communication !

PHOTO JACQUES BOISSINOT, LA PRESSE CANADIENNE

Marguerite Blais, ministre responsable des Aînés et des Proches aidants 

Je précise que cette opération s’est déroulée dans un climat d’urgence. La canicule nous était déjà tombée dessus quand François a reçu cet appel. Les médias parlaient largement de cette situation quand ces demandes de frais ont été effectuées. En fait, seul le gouvernement avait les yeux fermés à ce moment-là.

Au cours de l’entretien à LCN où Marguerite Blais a dit que l’installation des climatiseurs dans les CHSLD n’était pas « une question d’argent », elle a aussi annoncé qu’une lettre « allait être envoyée » aux PDG des CIUSSS et des CISSS pour leur demander de climatiser leurs établissements.

Les deux bras m’en sont tombés. 

PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE

Des proches d’une résidante du CHLSD Hubert-Maisonneuve, à Rosemère, ont reçu l’appel d’un employé leur demandant de payer des frais de 250 $ afin de permettre la climatisation de la chambre.

Ça faisait des jours que les services météorologiques annonçaient cette première canicule de l’année, et on a attendu à mardi et que le mercure affiche 28 °C pour agir.

L’attaché de presse de la ministre Marguerite Blais m’a dirigé vers le bureau de la ministre de la Santé et des Services sociaux. Vous avez bien lu. Le mardi, Marguerite Blais défendait le dossier boiteux de la climatisation dans les CHSLD et, 24 heures plus tard, elle balayait ce dossier dans la cour de sa collègue Danielle McCann.

Au bureau de Danielle McCann, on m’a dirigé vers le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS). Eh oui, le bureau de la ministre de la Santé et le ministère de la Santé sont deux entités, deux sources différentes, mais surtout une bonne façon de jouer avec les nerfs des journalistes.

À la suite de ma demande d’information, le MSSS a affirmé avoir été mis au courant de cette situation. En fin de journée, mercredi, le MSSS s’est dit « satisfait » de la décision d’annuler les frais pour l’installation des climatiseurs.

Cette histoire dit encore comment ce système lourd et empêtré ne fonctionne pas, qu’il est devenu une honte nationale, qu’il est un boulet que l’on traîne.

Que l’on accepte collectivement de traîner.

Elle dit aussi qu’on se contente souvent de peu au Québec. C’est bien là, le cœur du problème. Et ça sera bien là, la grande leçon de cette crise.

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Ça fait des semaines qu’on entend dire que tel organisme ou tel ordre de gouvernement mènera une enquête sur la situation catastrophique dans les CHSLD. Certains médias se sont amusés, avec raison, à dresser la liste des enquêtes publiques qui sont allées mourir sur des tablettes après avoir englouti des millions et monopolisé des centaines d’heures à des experts.

Les Forces armées canadiennes sont débarquées dans les centres d’hébergement du Québec et de l’Ontario au début du mois de mai. Elles ont contribué à redresser la situation et, en deux temps trois mouvements, ont pondu des rapports qui font mouche.

Me semble qu’il faudrait accueillir les soldats plus souvent !