Jeudi, ma collègue Isabelle Hachey a publié une chronique sur l’hécatombe dans les résidences pour aînés. Pour comprendre ce qui s’est passé, a dit Isabelle, il faut une commission d’enquête publique…

Je ne suis pas d’accord avec cette idée. Voici pourquoi.

Les commissions d’enquête publiques prennent du temps. C’est normal, c’est dans l’ADN de ces créatures.

Entre la création de la commission Charbonneau sur l’attribution de contrats publics dans la construction et le dépôt de son rapport, il s’est écoulé quatre ans.

Il y a des commissions d’enquête qui parviennent à déposer un rapport plus rapidement. La commission Bouchard-Taylor sur les accommodements raisonnables a pris 15 mois. La commission Chamberland sur les sources journalistiques a eu besoin de 13 mois.

C’est trop long dans un contexte de pandémie : une pandémie suppose généralement une deuxième, peut-être une troisième vague. Il y a donc urgence.

Le Québec n’a donc pas les moyens d’attendre 13, 15, 24 ou 48 mois avant d’obtenir une analyse objective et factuelle de ce qui a mené à l’hécatombe dans les résidences pour aînés.

Si on veut se préparer maintenant à une deuxième et même à une troisième vague, il faut aller plus vite.

Détour dans le temps. En 1996, l’est du Québec a été frappé par des pluies diluviennes qui ont causé des inondations monstres : on a appelé cette catastrophe le « déluge du Saguenay ». En août 1996, le gouvernement de Lucien Bouchard a créé la Commission scientifique et technique sur la gestion des barrages, présidée par l’ingénieur Roger Nicolet.

Avec d’autres scientifiques, M. Nicolet a posé un diagnostic sur les failles du réseau de barrages qui ont permis une crue des eaux dévastatrice.

La Commission scientifique et technique sur la gestion des barrages a remis son rapport en janvier 1997. Durée des travaux, donc : cinq mois.

(Une autre commission scientifique et technique présidée par M. Nicolet, pour la crise du verglas, a mis plus d’un an à présenter un rapport.)

Si la pandémie de coronavirus SARS-CoV-2 se comporte comme les autres pandémies modernes, il y aura une deuxième vague. Pour l’affronter, cette deuxième vague, le temps presse dans un contexte où le réseau peine à affronter la première vague. Ce n’est pas propre au Québec : l’Association médicale canadienne affirme que toutes les provinces sont mal préparées.

Petit détour par l’Ontario. Nos voisins ont déjà annoncé la tenue d’une enquête sur leurs propres résidences pour personnes âgées, durement éprouvées par le coronavirus : 1400 morts. Mais le premier ministre, Doug Ford, a opté pour une commission spéciale non partisane pour poser un diagnostic sur ce désastre : il a rejeté l’idée d’une commission d’enquête publique, en arguant que l’Ontario n’a pas le luxe d’attendre trois ans pour en connaître les recommandations.

Le premier ministre du Québec, François Legault, s’est dit prêt à envisager l’idée d’une enquête pour comprendre ce qui s’est passé dans les CHSLD, au printemps 2020.

L’esprit d’ouverture du PM est réjouissant. Mais je souligne qu’il y a quand même un risque politique pour le gouvernement.

François Legault a hérité d’un système de santé et de services sociaux qui connaît des ratés depuis des décennies : il ne peut bien sûr pas être tenu responsable des failles systémiques d’un réseau qui a fait l’objet d’une commission d’étude dès 2000.

Si une enquête indépendante se penchait sur le terrible bilan pandémique dans nos CHSLD, il faudrait forcément poser des questions sur la gestion gouvernementale de cette pandémie, dans les premiers mois de l’année.

Il faudrait explorer les raisons pour lesquelles le ministère de la Santé et des Services sociaux a pris telle décision, à tel moment. Le gouvernement a pris des décisions qui ont eu des répercussions sur le bilan, comme celle de transférer en masse des patients des hôpitaux vers les CHSLD et celle de permettre aux employés de travailler dans deux ou trois CHSLD.

Ces questions déplaisantes sont nécessaires pour éviter une version 2.0 de l’hécatombe dans le cas d’une deuxième vague de la pandémie. Mais les réponses à ces questions déplaisantes pourraient décoiffer le gouvernement de François Legault.

Bref, pour ce gouvernement, la tentation de ne pas faire d’enquête indépendante sur ce qui explique l’hécatombe dans les CHSLD en ce printemps 2020 sera très, très, très forte.