« Je n’ai pas trouvé de titre pour ce texte. Car aucun mot ne serait assez puissant pour tout ce que j’ai sur le cœur et tout ce que j’ai à exprimer… »

Ainsi commençait le cri du cœur écrit par Danaé Langlois jeudi soir, quand toute la maisonnée était couchée.

« Qui pense à nous ? À tous les étudiants qui ont passé leurs années du secondaire dans la peur, le stress, l’anxiété, l’angoisse, à tous les étudiants qui se forçaient chaque jour pour aller à l’école, car ils n’étaient pas bons et ne voyaient plus le bout ? Qui pense à eux… Qui pense à nous ? Nous qui sommes laissés à nous-mêmes avec de longs travaux à faire seuls sans encadrement, sans enseignant pour nous rassurer sur notre avenir scolaire ? »

Danaé Langlois a 15 ans, elle est en 4e secondaire à l’École polyvalente Saint-Jérôme. Confinée comme nous tous. Catastrophée comme nous tous, la vie sur pause, freeze, personne ne bouge, et Danaé aime ça, bouger : elle est en sport-études gymnastique…

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Danaé Langlois, 15 ans, a exprimé son désarroi d’être privée de gymnastique, sa passion.

Et jeudi, elle a écrit ce cri du cœur, des mots de colère écrits au crayon à la mine sur les 35 lignes bleues d’une feuille mobile : « La gymnastique, ma scolarité et même ma vie sociale, voire mentale, sont en train de s’écrouler sous mes yeux… »

Danaé, jeudi soir, a mis sur papier tout ce qu’elle gardait en dedans depuis que le Québec s’est mis sur pause. Elle a dit le mal que ça lui faisait, de ne pas bouger…

« Je sais que c’est la population mondiale qui est touchée et non juste moi, mais pendant que le gouvernement et tous les médecins pensent à notre santé liée à la COVID-19, qui pense à notre bien-être mental ? »

Danaé a raconté le vide qu’elle ressentait depuis que l’école est finie, depuis que la gym – et l’univers social qui y est rattaché – est suspendue…

« Qui pense à notre bien-être mental ? À tous les sportifs qui sombrent chaque jour dans un monde sans stimulation, sans équipe, sans adrénaline, sans peut-être la seule chose qui les rendait bien, souriants et tout ce qui nous tenait en vie ? »

Danaé a donc nommé ses émotions sur une feuille mobile, comme une adolescente des années 80. Puis, elle a fait comme une ado des années 2020 : elle a pris une photo de ses mots et l’a envoyée à sa mère, qui était dans son lit…

« Ça m’a donné un coup, me raconte Julie Bourbonnais. Je savais que ça lui manquait, mais pas comme ça. Là, j’ai compris. J’ai eu un choc… »

Les deux sœurs de Danaé dormaient, leur père, Martin, était à la caserne à Laval, shift de pompier de nuit. Julie s’est tirée du lit et est descendue vers la chambre de Danaé.

« Je ne pouvais pas la laisser s’endormir comme ça. Je savais qu’elle s’ennuyait. Mais en la lisant, j’ai vu à quel point ça l’atteignait. Son 4e secondaire a été dur, elle est en enrichi dans certaines matières. Je m’étais dit que peut-être que la gym en plus, c’était trop, avec l’école. Là, j’ai vu à quel point elle y tient, à quel point ça l’aide à se motiver… »

Danaé n’avait pas le goût de jaser. Mais vous savez comment sont les mères, Julie a trouvé les mots, lui a dit « je suis là » et a continué à lui envoyer des textos, en respectant le choix de Danaé de ne pas parler là, tout de suite…

« Je ne sais pas si elle a bien dormi, dit la mère. Mais moi, j’ai mal dormi. Je trouvais ça tellement triste. »

***

Dans le grand totem de la souffrance « covidienne », celle des ados qui fixent le trou noir de l’ennui, ce n’est évidemment pas très élevé.

Je veux juste dire que je pense souvent aux adolescents, ces jours-ci. Je ne suis pas assez vieux pour avoir oublié la fulgurance de l’adolescence. Je ne sais pas comment j’aurais vécu l’ennui d’une mise sur la glace de ma vie, à 14, 15 ou 16 ans, dans le sous-sol du bungalow.

J’en ai, un ado à la maison, de 14 ans.

À cet âge-là, qu’est-ce qui compte ?

Tes amis. Ta gang.

Qu’est-ce qui te valorise ?

Souvent, c’est ce que tu fais, hors des classes. Le sport, l’impro, l’équipe de robotique, l’organisation du voyage de fin d’année, du bal des finissants. L’école est la trame de fond de tout ça, de tout ce qui te construit…

Et là, pour des milliers d’ados, STOP, on arrête tout. Tous ces rites de passage sont suspendus. Ne reviendront jamais, pour la plupart. Il y en aura d’autres, bien sûr. Mais pas ceux-là, pas ceux qui ont été tant espérés, jusqu’au 13 mars.

La saison 2019-2020 était la saison de la vie de l’héritier, au hockey – des buts, de l’engagement, un C sur son maillot. Une belle gang, de beaux ados, de tous genres. Le 13 mars, c’était le premier match des séries, je vous jure que ça sentait la Coupe…

Et une heure avant le match, BANG, ils ont tout stoppé, ils ont tout fermé, même les arénas.

On ne saura jamais ce que ces ados-là auraient gagné en confiance, en maturité, en expérience, dans ces séries de fin de saison. Il y a des milliers de petites morts comme celle-là, à la grandeur du Québec. Comme m’a dit Martin Langlois, le père de Danaé en entrevue, à propos de ses trois filles qui font de la gymnastique : « C’est sept jours sur sept, trois filles qui font de la gym. Mais on est contents des résultats ; le sport, c’est l’école de la vie… »

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Lya, Danaé et Mahélie Langlois avec leurs parents Martin Langlois et Julie Bourbonnais

Mets-en. Et cette école de la vie est fermée.

La lettre de Danaé m’a touché pour ça, pour toutes ces petites morts qui sont survenues dans le cœur des ados depuis huit semaines.

***

C’est une amie de Julie qui a suggéré à Danaé d’envoyer sa lettre à La Presse.

Et c’est ainsi qu’elle est tombée dans ma messagerie.

J’ai demandé à Danaé ce qui était le plus dur, dans ce confinement, à 15 ans. Réponse :  « De ne plus voir mes amies, de ne plus pouvoir se confier. Oui, il y a la technologie. Mais ce sera jamais comme pouvoir se voir en face… »

Elle aime écrire.

« J’ai écrit ça pour me vider la tête, dit-elle. La gym, c’est ma vie. J’en fais depuis que j’ai 2 ans. Le matin, quand je me réveillais, si j’avais hâte d’aller à l’école, c’est parce que je savais que j’avais de la gym… »

J’écoutais Danaé, je notais ses mots, ses frustrations, ses colères insolubles.

J’avais envie de lui dire deux choses, mais j’avais peur d’avoir l’air paternaliste…

Alors je te les dis ici, Danaé.

Un, continue d’écrire, Danaé. Même si c’est juste pour toi. Les mots, ça dilue un peu la douleur et, souvent, « un peu », c’est immense.

Deux, lâche pas. Lâchez pas, les ados. On sait votre peine. Vous n’avez pas à en avoir honte. Quand tout ça sera fini, on aura besoin de votre fougue, de votre énergie, les jeunes.

Ça va passer.

Je le répète : ça va passer.