(Ottawa) Alors que le gouvernement fédéral investit des millions de dollars dans le développement d’un éventuel vaccin contre la COVID-19, des experts jugent peu probable que l’immunisation soit obligatoire compte tenu des problèmes pratiques et éthiques que cela implique.

Mardi, le premier ministre Justin Trudeau a déclaré qu’un vaccin sera extrêmement important pour permettre un retour à la vie normale. Il a ajouté qu’un médicament pourrait aussi permettre d’y parvenir.

Selon les résultats d’un sondage mené par la firme Léger et l’Association d’études canadiennes, 60 % des répondants croient qu’un futur vaccin devrait être obligatoire.

Pour la Dre Noni MacDonald, experte en vaccination, il est facile de comprendre l’état d’esprit des gens, mais elle explique qu’imposer un vaccin représente une décision délicate.

Il n’existe aucun vaccin véritablement obligatoire au Canada. Si des provinces comme l’Ontario et le Nouveau-Brunswick exigent que les enfants soient vaccinés pour fréquenter l’école, des exemptions sont accordées pour des raisons médicales ou idéologiques.

Chez les adultes, le seul précédent de vaccin obligatoire concerne l’immunisation des travailleurs de la santé contre certaines maladies afin de les protéger ainsi que leurs patients, évoque Dre MacDonald.

« Quelles sont les conséquences de ne pas obéir si l’on rend un vaccin obligatoire ? », s’interroge celle qui enseigne à la faculté de médecine de l’Université Dalhousie.

« Quelle serait la punition ? Ou quel serait l’incitatif ? »

Ces questions sont beaucoup plus complexes qu’elles ne semblent et elles ont le potentiel d’effrayer les politiciens.

L’Australie a déjà tenté de convaincre les parents d’immuniser leurs enfants en offrant des avantages fiscaux, donne en exemple la Dre MacDonald.

« Le groupe qui a été le plus affecté par cette mesure est celui des plus faibles salariés parce que les gens devaient s’absenter du travail pour faire vacciner leurs enfants », rapporte la spécialiste.

« Et ils ont été doublement lésés, car non seulement ils n’ont pas pu immuniser leurs enfants, ce qui les empêchait de les envoyer à la garderie ou à l’école, mais en plus ils n’ont pas eu droit à la déduction fiscale. »

Éthiquement parlant, le gouvernement devrait prendre garde de ne pas pénaliser exagérément ceux qui choisissent de ne pas recevoir le vaccin.

Les politiciens doivent aussi se méfier du ressac, analyse Ubaka Ogbogu, professeur agrégé à l’Université de l’Alberta et spécialisé en droit et bioéthique.

« La raison pour laquelle on ne devrait probablement pas soulever la question de la vaccination obligatoire en lien avec la COVID-19, c’est parce qu’elle est profondément controversée », selon M. Ogbogu.

Il y a habituellement une opposition véhémente aux vaccins obligatoires, au moins de la part de petits groupes très bruyants qui craignent des risques ou qui s’opposent à ce que le gouvernement empiète sur leur liberté.

Ces mêmes personnes seront probablement encore plus craintives face à un nouveau vaccin développé dans un délai très rapide, prévoit M. Ogbogu.

Le débat autour de rendre le vaccin obligatoire ou non s’appuie au départ sur la présomption qu’il y aurait assez de doses pour tout le monde. Ce qui demeure bien incertain.

En ce qui concerne l’administratrice en chef de la santé publique du Canada, Dre Theresa Tam, il est bien difficile de prédire quel sera le taux d’adhésion au futur vaccin.

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Dre Theresa Tam, administratrice en chef de la santé publique du Canada

Elle reconnaît qu’il s’agit très souvent d’une décision émotive. Dre Tam se rappelle que lors d’une précédente épidémie, chaque fois que l’on traversait un épisode de décès, les gens voulaient rapidement se faire vacciner, mais l’on ne disposait pas toujours de doses en quantité suffisante d’un seul coup.

Il semble plus probable que les autorités s’orientent vers une politique de distribution de quantités limitées de vaccins de manière à immuniser la population de façon juste et efficace.

Tout dépendra de l’évolution de la connaissance sur la COVID-19 et le futur vaccin.

Il est possible, par exemple, que ce soient les travailleurs de la santé, dont ceux qui œuvrent dans les centres de soins de longue durée, qui soient vaccinés les premiers.

Pour compliquer davantage le portrait, le développement de certains vaccins révèle parfois que l’immunisation est plus efficace chez certaines catégories de personnes.

Ce sont tous ces facteurs qui doivent être pris en considération par les gouvernements en attendant la découverte d’un vaccin efficace et sécuritaire pour protéger les Canadiens.