Estimant la pandémie de COVID-19 « sous contrôle » au Québec, le gouvernement Legault rouvrira les écoles primaires, les services de garde et les garderies le 11 mai. Les élèves du grand métropolitain devront attendre au 19 mai. Et pour le secondaire, les portes ne rouvriront qu’en septembre. Une reprise séquentielle qui plonge les syndicats dans l’incertitude.

La décision était attendue de milliers de parents : « Je vous annonce que, si et seulement si la situation reste comme actuellement, on va rouvrir les écoles primaires et les services de garde », a lancé le premier ministre François Legault, en appuyant sur le conditionnel, comme pour calmer les appréhensions des familles.

Le nombre de décès liés au virus est passé lundi à 1599 (+ 84). On compte maintenant 24 982 cas déclarés positifs (+ 875). La situation continue d’être stable pour ce qui est des hospitalisations, avec un bilan à 1541 (+ 23), dont 210 aux soins intensifs (- 5), ce qui permet au gouvernement Legault d’envisager la reprise des classes.

« C’est important, puis je le répète. On voulait l’annoncer un peu à l’avance parce qu’il faut se préparer pour le 11 et le 19 mai, mais on va suivre la situation. Si jamais elle s’empirait ou n’était pas comme prévue, on va se réajuster. Le mot important, c’est “graduel”, puis c’est “prudence, prudence, prudence” », a-t-il dit.

Un maximum de 15 élèves par classe

Les classes compteront notamment un maximum de 15 élèves. Un contrôle sanitaire serré sera assuré. Un plan pour offrir un enseignement à distance aux élèves du secondaire est en préparation, entre autres. Des tablettes pourront aussi être distribuées aux enfants qui n’en ont pas et qui restent à la maison.

Malgré la « prudence » évoquée, Québec met bien en marche la machine pour la rallumer d’ici deux semaines, si bien que le syndicat de la Fédération autonome de l’enseignement (FAE), qui représente quelque 45 000 enseignants du primaire et du secondaire, explique avoir l’impression d’avoir été placé devant un fait accompli.

La FAE déplore que la réouverture des écoles telle que présentée par le gouvernement Legault laisse croire qu’on a « décidé de transformer les écoles primaires en garderie, dont le seul objectif sera de répondre à des impératifs économiques », a dénoncé le président, Sylvain Mallette.

Venez nous parler des vrais objectifs du retour. Ce n’est peut-être pas juste éducatif. C’est peut-être pour la santé mentale. Mais il faut absolument que les enseignants arrêtent d’avoir l’impression qu’on veut rouvrir la garderie.

Josée Scalabrini, présidente de la Fédération des syndicats de l’enseignement (FSE)

Parce que l’école ne sera pas obligatoire, a rappelé de nouveau le premier ministre lundi. Et les enfants dont les parents souhaitent les garder à la maison « ne seront pénalisés d’aucune façon », a assuré M. Legault. Le ministre de la Famille, Mathieu Lacombe, a même invité les parents « à s’écouter » avant de choisir.

Les enfants qui souffrent de maladies chroniques devraient rester à la maison. Les parents malades, les femmes enceintes ou les familles qui vivent avec des personnes âgées de 60 ans et plus devraient aussi éviter de renvoyer les petits à l’école.

Et pourquoi pas une réouverture du secondaire ? Entre autres parce que les élèves du secondaire utilisent davantage le transport en commun, a souligné M. Legault. « Ça pose une difficulté additionnelle pour garder la distance de deux mètres, et aussi, c’est plus facile pour les élèves du secondaire de suivre des cours à distance. »

Pas d’immunité de groupe

François Legault a conseillé aux parents dont les enfants ont des « troubles d’apprentissage de toute sorte » de les renvoyer sur les bancs d’école. Le premier ministre a d’ailleurs pris soin d’énumérer les cinq raisons qui, à ses yeux, justifient la réouverture des écoles. « La première raison, c’est pour le bien des enfants », a-t-il dit.

M. Legault a rappelé que les enfants présentaient peu de risques associés à la COVID-19 et que la situation dans les hôpitaux était stable. Il a aussi assuré que sa décision se basait « sur la science » et respectait les directives de la Santé publique.

« Puis, la cinquième raison, je dirais, c’est parce que la vie doit continuer. Les enfants, c’est bon qu’ils revoient leurs amis, qu’ils revoient leurs enseignants. On ne prévoit pas de vaccins avant 12 à 18 mois. Je ne vois pas les enfants rester chez eux aussi longtemps », a résumé M. Legault devant les journalistes.

Au sujet de l’immunité collective, M. Legault a fait valoir que la décision de Québec de rouvrir les écoles n’était pas prise sur la base de ce concept. L’administratrice en chef de la santé publique du Canada, la Dre Theresa Tam, a exprimé des réserves sur l’immunité de groupe alors que rien ne prouve qu’une personne guérie soit immunisée.

Des doutes repris par le premier ministre Justin Trudeau. « […] Ce n’est pas prouvé. Donc, on ne doit pas prendre notre décision sur cette base-là, mais ça sera un bénéfice secondaire si jamais ça peut être le cas », a nuancé M. Legault. « Je veux être bien clair, là, on rouvre nos écoles pour des raisons sociales, et parce que la situation est sous contrôle, en particulier dans notre système hospitalier. »

La semaine dernière, l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) a produit un document faisant le point sur l’immunité de groupe. Ce document, rendu public lundi, souligne qu’étant donné que les enfants semblent moins vulnérables, il « peut être tentant de retourner les enfants à l’école pour qu’ils acquièrent l’infection et développent une immunité qui protégerait la population adulte. Cependant, une telle approche est également à risque de provoquer une forte augmentation de la maladie dans la population adulte sans pour autant créer une immunité de groupe. »

Dans le texte, l’INSPQ juge par ailleurs « important de rappeler qu’on ne connaît pour le moment ni le niveau de protection conféré par les anticorps produits par l’infection ni la durée de l’immunité générée par l’infection, deux facteurs qui ont des impacts directs sur l’atteinte d’une immunité de groupe ». Cela étant, « une stratégie où on laisserait les jeunes s’infecter risque d’entraîner une forte augmentation de la maladie chez les adultes et de besoins en services hospitaliers et en soins intensifs sans atteindre la cible d’immunité de groupe recherchée ».

Sans y aller d’une recommandation formelle favorable ou défavorable à la réouverture des écoles, l’INSPQ conclut en écrivant que, « dans le contexte actuel, pour empêcher que le retour à l’école ou à la garderie s’accompagne d’une recrudescence de la transmission chez les adultes, il faudra que ce retour se fasse tout en maintenant de fortes mesures de distanciation sociales ».

Questions en suspens

Les deux principaux syndicats d’enseignants de la province soutiennent que l’annonce de la reprise des classes laisse de nombreuses questions en suspens, comme celle de la protection des professeurs. « Nous n’accepterons pas que les profs ne soient pas protégés et qu’ils aillent au front sans armure », a soutenu Sylvain Mallette.

Il faudra s’assurer que tous les enseignants qui retourneront à l’école soient en sécurité, dit la FSE. Comment se fait-il, demande sa présidente, que Québec demande à une éducatrice en garderie de porter un masque, mais qu’on ne le demande pas à des enseignants qui côtoient eux aussi des élèves en bas âge ?

Les enseignants « veulent se relever les manches », dit la FSE, mais beaucoup de questions demeurent. « Je pense qu’on aurait dû prendre le temps de répondre à plus de questions », dit sa présidente, Josée Scalabrini. L’application des consignes de distanciation sociale soulève aussi maintes interrogations, ajoute M. Mallette.