Le ministère de la Santé et des Services sociaux estime qu’une fraction minime de la population québécoise, largement inférieure à 10 %, est immunisée contre la COVID-19 à ce stade de la pandémie, ce qui rend le processus de déconfinement amorcé par le gouvernement encore plus délicat.

Une porte-parole du Ministère, Marie-Claude Lacasse, a indiqué mercredi à La Presse que « l’hypothèse » du gouvernement se basait sur des études menées en France et en Grande-Bretagne suggérant un taux d’immunité variant de 1 % à 6 %.

Mme Lacasse a précisé qu’il faudrait attendre que des tests sérologiques soient menés à grande échelle dans la province pour déterminer avec précision quelle proportion de la population présente des anticorps au nouveau coronavirus.

« Cette avenue est actuellement sérieusement étudiée » par la Santé publique et l’Institut national d’excellence en santé et en services sociaux, a indiqué la porte-parole, sans préciser d’échéancier pour le lancement de cette étude épidémiologique.

Samedi dernier, le Dr Horacio Arruda, directeur national de santé publique du Québec, a indiqué en conférence de presse qu’il était difficile de savoir si « 10 %, 1 %, 20 %, 30 % ou 40 % » de la population avait contracté la COVID-19.

La politique de dépistage actuelle du gouvernement ne permet pas d’avoir un portrait clair de la situation, puisque les personnes asymptomatiques, qui représentent selon diverses études une proportion importante des cas, ne sont pas détectées.

Depuis la semaine dernière, les personnes souffrant de faibles symptômes ne sont pas testées non plus, brouillant plus encore l’appréciation du niveau de propagation du virus dans la population québécoise.

Pas une bonne nouvelle

Benoît Mâsse, professeur à l’École de santé publique de l’Université de Montréal, estime qu’un taux d’immunité largement inférieur à 10 %, s’il est avéré, ne représente pas une bonne nouvelle, puisqu’il signifie que le risque d’un rebond du nombre d’infections demeure « excessivement élevé » en période de déconfinement.

Le Québec, souligne-t-il, a opté comme nombre d’États pour des mesures de distanciation sociale sévères afin d’empêcher une progression rapide du nombre de cas et des hospitalisations susceptible de submerger le réseau de la santé.

À défaut d’avoir un vaccin, la province doit chercher, une fois passé le pic, à faire en sorte, par des mesures finement dosées, que le taux d’immunité de la population augmente progressivement jusqu’à près de 70 %, de manière à ce que le virus ne puisse plus se propager.

Si on partait de 20 ou 30 %, on sait que ça irait plus vite pour se rendre jusqu’à l’immunité de masse. Si on part près de zéro, tout le monde est encore susceptible d’être contaminé, et ça peut s’emballer très vite.

Benoît Mâsse, professeur à l’École de santé publique de l’Université de Montréal

M. Mâsse, en écho aux propos du premier ministre François Legault qui évoquait la fin de semaine dernière la possibilité d’une réouverture relativement rapide des écoles, prend l’exemple d’une classe d’élèves.

« S’il n’y a presque pas d’immunité et qu’un élève est infecté, il va contaminer tout le monde autour de lui », relève-t-il.

L’analyste pense que le gouvernement devrait rapidement lancer une étude sérologique pour avoir une idée claire de la situation plutôt que de faire des hypothèses incertaines à partir d’études menées dans des pays étrangers où la situation peut varier sensiblement.

« À un moment donné, il faut arrêter de guesser. Quand on commence à parler de déconfinement, il faut savoir combien on a eu de cas de contamination », relève l’analyste, qui ne serait pas surpris que le taux d’immunité soit plus élevé que prévu en raison de l’importance des cas asymptomatiques.

Pas prêts au déconfinement

M. Mâsse pense que le Québec ne respecte pas pour l’heure les conditions énoncées par l’Organisation mondiale de la santé pour entamer un déconfinement.

La transmission du virus est en voie d’être maîtrisée, dit-il, mais la capacité du système de santé à détecter les cas et à identifier les contacts problématiques demeure limitée et les risques de flambée de cas dans des endroits sensibles comme les établissements pour personnes âgées ne sont pas minimisés.

Le premier ministre, dit-il, est sous pression puisqu’il doit gérer la crise sanitaire tout en tentant de minimiser les répercussions économiques, déjà énormes, de la crise.

« Il y a les experts en santé publique d’un côté, les économistes de l’autre, et je ne suis pas certain qu’ils se parlent. M. Legault est pris entre les deux », conclut M. Mâsse.