Se servir des enfants comme de « cobayes », les envoyer « au front » : les réactions de parents et d’enseignants fusaient sur les réseaux sociaux après que Québec ait évoqué le scénario d’un retour en classe d’ici le 4 mai.

« Une grosse vague d’émotions […] et d’incompréhension » a déferlé sur des groupes Facebook de parents, a raconté Pierre Avignon, le président du conseil d’établissement de l’école Notre-Dame-de-Grâce, un établissement situé dans l’arrondissement montréalais qui compte le plus de cas de la COVID-19.

Lors de sa mise à jour de vendredi sur la lutte au coronavirus, le premier ministre François Legault a expliqué que les enfants sont moins à risque d’avoir des complications liées au coronavirus.

« Plusieurs ont peur que ça aille trop vite et qu’on mette des gens à risque », a résumé M. Avignon en entrevue avec La Presse canadienne.

Celui-ci voit mal comment les règles de distanciation sociale pourraient être respectées dans sa gigantesque école primaire fréquentée par environ 900 élèves « où on est obligés de faire des roulements pour la cafétéria et la cour de récréation ». « Il n’y a jamais deux mètres », a-t-il lancé.

Selon le directeur national de la santé publique, Horacio Arruda, la réouverture des écoles ferait en sorte que les enfants, moins vulnérables, participeraient à l’immunisation naturelle de la population.

« Les jeunes qui pourraient attraper la maladie avec presque pas de symptômes, c’est comme si on les vaccinait, avait expliqué M. Arruda. C’est la vaccination naturelle qui va s’installer. Et c’est important dans la société qu’une certaine partie de la population soit vaccinée. »

Une pétition réclamant la fermeture des garderies et des écoles jusqu’en septembre avait amassé vendredi soir après seulement quelques heures plus de 62 000 signatures numériques.

Les signataires estimaient qu’autrement « la vie des enfants et des adolescents » serait mise « en danger » et suggérait de suivre l’exemple d’autres provinces canadiennes.

La réaction était particulièrement nuancée à la Fédération des comités de parents du Québec (FCPQ) où l’on tentait d’être « la voix de la raison ».

« On suggère aux parents de suivre les recommandations de la santé publique. Ce sont eux les experts », a offert son président, Kevin Roy, lorsque La Presse canadienne lui a demandé de donner le pouls de l’opinion des parents.

M. Roy a dit ne pas craindre une réouverture des écoles si telle est la recommandation de la santé publique.

Scénario « troublant »

Les propos du premier ministre Legault sentent « l’improvisation » et ont suscité « beaucoup d’émoi » chez les enseignants, a expliqué Sonia Ethier, la présidente de la CSQ, un syndicat comptant 125 000 employés du secteur de l’éducation.

Ils soulèvent « énormément de questions et de peurs », a ajouté Mme Ethier dans un communiqué, avant de suggérer que le gouvernement consulte son organisation « avant de prendre une décision à ce sujet ou d’émettre publiquement une quelconque hypothèse ».

Du côté de la Fédération autonome de l’enseignement (FAE), on se demande « à quel lobby » répond le premier ministre. Le réseau des écoles privées exerce une « pression colossale » sur Québec, a affirmé le président de la FAE, Sylvain Mallette, une organisation qui représente 45 000 enseignants du réseau francophone des commissions scolaires.

Ces écoles « profitent de la crise pour maintenir leurs activités sous la menace de certains parents qui ne se gênent même pas pour dire qu’ils vont cesser de payer » si le contrat de service n’est pas respecté, a-t-il dit.

Bien que les enfants semblent moins affectés par ce virus, M. Mallette a rappelé que « ce sont des adultes qui les côtoient lorsque les classes sont ouvertes et dans certains cas ont plus de 60 ans, ont des maladies auto-immunes ou vivent avec des personnes âgées ».

Selon lui, il est impératif que le premier ministre, qui jusqu’à présent a fait « un sans faute », fasse preuve de pédagogie, soit rassurant et continue de s’appuyer sur des données scientifiques.

Le scénario envisagé par Québec d’une réouverture des écoles au printemps tranche avec celui évoqué plus tôt en matinée par Justin Trudeau qui disait espérer assouplir certaines règles « pour l’été ».

« Plus de gens pourront peut-être aller au travail, les écoles vont peut-être recommencer à reprendre », avait déclaré le premier ministre du Canada.

Les frustrations étaient si grandes que l’unité entre tous les partis représentés à l’Assemblée nationale a montré quelques signes de faiblesse.

« Des experts en santé publique peuvent-ils expliquer pourquoi les autorités ont dit il y a un mois qu’il fallait fermer écoles et les garderies parce que les enfants pouvaient être vecteur important du virus — même si on interdisait toute visite chez les aînés — et que ce ne serait plus un enjeu ? », s’est empressée de commenter sur Twitter Véronique Hivon, la porte-parole péquiste en matière d’éducation et de famille.

Mais tous n’étaient pas du même avis. L’ex-ministre libéral de la santé et des services sociaux, Gaétan Barrette, a pour sa part soutenu que sans vaccin ni immunité collective, les enfants attraperont le virus un jour ou l’autre, ajoutant que la maladie est très légère chez l’enfant et que les écoles ne sont pas fermées lorsque la saison de la grippe bat son plein.

« Des fois, vous savez, en politique, on annonce des choses le vendredi, a-t-il évoqué sur Twitter. Cette fois-ci, peut-être que l’objectif est de susciter une discussion dans les chaumières à Pâques ! »