(Ottawa) Près de 30 000 personnes ont été refoulées à la frontière canado-américaine depuis que la pandémie a forcé sa fermeture. Ces chiffres de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) illustrent à quel point l’année 2020 a été intense pour les agents qui surveillent la plus longue frontière non militarisée au monde – un niveau d’intensité que l’on n’avait pas vu depuis la fermeture partielle entraînée par les attentats du 11 septembre 2001.

Depuis le 22 mars, et en date du 13 décembre, 28 612 ressortissants étrangers se sont vu refuser l’entrée au Canada en provenance des États-Unis parce que la raison de leur voyage était considérée comme discrétionnaire (voyage non essentiel) au moment du traitement. De ce nombre, 24 922 étaient des citoyens américains et 3690, des citoyens d’autres pays en provenance des États-Unis, d’après des données communiquées par l’ASFC.

« Ç’a été une année comme aucune autre, ça a surpassé de loin ce qui s’est passé à la suite du 11 septembre 2001. C’était la première fois qu’on avait une réponse de ce genre », expose en entrevue Denis Vinette, vice-président de la Direction générale des voyageurs et vice-président du groupe de travail sur la frontière et la COVID-19 au sein de l’agence.

PHOTO FOURNIE PAR L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA

Denis Vinette, vice-président de la Direction générale des voyageurs et vice-président du groupe de travail sur la frontière et la COVID-19 de l’Agence des services frontaliers du Canada

Les visiteurs d’outre-mer ont été nettement moins nombreux à être refoulés. Pendant la même période, 684 voyageurs qui se sont présentés au Canada directement d’autres pays n’ont pu franchir la frontière, qui a été scellée le 18 mars dernier, trois jours avant que celle reliant le Canada aux États-Unis soit fermée, sauf pour les travailleurs essentiels, et sans entraver les échanges commerciaux entre les deux nations.

On avait toutefois commencé à s’activer avant l’arrivée du printemps, se souvient Denis Vinette. « Pour nous, ça s’est plus ou moins déclenché le 31 décembre, où on a su qu’il y avait un virus en Chine. En janvier, quand on a établi le groupe de travail, ç’a été une évolution rapide », relate-t-il. Rapide, en effet : quelques jours séparent le moment où l’opération rapatriement a débuté et celui où le Canada a fermé ses portes aux visiteurs.

Les agents à la frontière terrestre avec les États-Unis ont trouvé « extrêmement difficile, surtout dans les premiers jours », de refuser l’accès à des personnes qui voulaient aller voir leurs proches, se souvient Denis Vinette, qui a lui-même été agent pendant 29 ans. « Nos agents ne peuvent pas prendre de décisions qui vont à l’encontre des décrets. Ils n’ont aucun pouvoir discrétionnaire », signale-t-il.

Et des décrets, il y en a eu une kyrielle. Trente-sept, en tout. « Les instructions arrivaient souvent 24 ou 48 heures après, donc ça devenait un peu complexe », dit le président du Syndicat des douanes et de l’immigration, Jean-Pierre Fortin.

Il est arrivé dans un cas que le décret entrait en vigueur mercredi soir à minuit, et le mercredi soir à minuit, nos agents n’avaient aucune instruction.

Jean-Pierre Fortin, président du Syndicat des douanes et de l’immigration

La migration irrégulière

Les agents de l’ASFC ont cependant eu beaucoup moins d’interventions à faire entre les points d’entrée officiels. Car la crise de la COVID-19 a eu un impact direct sur une autre « crise », celle de la migration irrégulière à la frontière canado-américaine. Ottawa ayant interdit aux demandeurs d’asile irréguliers de pénétrer sur son territoire, leur flot s’est considérablement tari.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Un migrant au point de passage du chemin Roxham, à la frontière entre le Canada et les États-Unis, le 20 mars dernier

Entre le 21 mars et le 13 décembre, 226 demandeurs d’asile ont dû rebrousser chemin, soit 165 qui tentaient d’entrer au Québec, 51 en Colombie-Britannique et 10 au Manitoba. Trente-huit ont été autorisés à rester au pays en vertu de dérogations aux règles du décret – des mineurs non accompagnés, par exemple. À titre comparatif, la GRC a intercepté un peu plus de 20 500 personnes entre les points d’entrée désignés en 2017, et près de 19 500 en 2018, selon des données de Statistique Canada.

Ceux qui ont tenté de le faire après la fermeture de la frontière le 21 mars 2020 n’ont pas complètement été laissés à eux-mêmes, fait valoir Denis Vinette : « Nous savons qui ils sont, nous avons consigné leurs noms, leurs informations personnelles, le fait qu’ils veulent faire une demande, et lorsque les restrictions seront levées, ils seront invités à revenir au Canada pour un suivi de la demande. »

À quand la réouverture ?

Bien malin qui pourra prédire quand les frontières rouvriront, alors que la deuxième vague ne montre aucun signe de ralentissement – ou si peu – et qu’une nouvelle souche du virus récemment détectée au Royaume-Uni a forcé un nouveau tour de vis.

Sans grande surprise, le gouvernement Trudeau ne se lance pas dans les spéculations. Il semble, de toute manière, qu’il n’y ait pas un grand appétit pour se rouvrir au monde, des sondages nationaux ayant démontré que les Canadiens appuient fortement la fermeture des frontières – en particulier celle avec les États-Unis, champion mondial des cas de COVID-19 et des décès liés à la maladie.

« Nous continuerons à faire appel [aux responsables de la Santé publique] pour obtenir des conseils sur la manière et le moment d’ouvrir nos frontières », et la décision sera prise « avec l’intérêt des Canadiens comme priorité », indique-t-on au cabinet du ministre de la Sécurité publique du Canada, Bill Blair.

Un des principaux enjeux promet d’être le temps d’attente, prédit Denis Vinette. C’est la raison pour laquelle l’ASFC recommande l’utilisation de l’application ArriveCAN, au moyen de laquelle les voyageurs fournissent leurs coordonnées et des renseignements sur leur quarantaine. « Ça fonctionne super bien. Au lieu de prendre deux ou trois minutes par passager, le dédouanement prend une minute et quinze secondes », soutient-il.

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« Est-ce que les choses vont vraiment revenir à la normale avant la fin du printemps ou le début de l’été ? Je ne suis pas certain de ça », dit Jean-Pierre Fortin. À long terme, le leader syndical espère tirer de l’expérience des gains pour ses membres. « On a vu les limites de l’automatisation dans les aéroports. Une machine ne peut pas détecter une pandémie », argue-t-il.