Que ce soit dans les prisons provinciales ou les pénitenciers fédéraux, quelque 150 détenus particulièrement exposés à la COVID-19 ont été libérés, a appris La Presse. C’est là un nombre nettement insuffisant compte tenu de l’âge avancé d’une grande proportion de prisonniers, dénonce l’enquêteur correctionnel du Canada, MIvan Zinger, de même que des groupes de défense des détenus.

« Un nombre sans cesse croissant de prisonniers finissent leurs jours en prison, en soins palliatifs ou des suites de l’alzheimer ou d’autres maladies dégénératives, explique MZinger. Plusieurs ont aussi de sérieux problèmes de mobilité. À mon avis, leur remise en liberté ne poserait aucun risque pour la société. »

PHOTO PATRICK WOODBURY, LE DROIT

MIvan Zinger, enquêteur correctionnel du Canada

Au total, depuis le début de la pandémie, 360 prisonniers de pénitenciers fédéraux et 142 employés ont été infectés par la COVID-19. Deux prisonniers sont morts. Au pays, cinq pénitenciers sur 43 ont été touchés par une éclosion. À l’heure actuelle, il n’y a pas de foyer actif (contrairement à des prisons américaines où la situation est extrêmement préoccupante).

La Commission des libérations conditionnelles du Canada indique que depuis le 1er mars, 12 prisonniers de pénitenciers fédéraux ont reçu une libération conditionnelle à titre exceptionnel et 15 autres sont en attente de décision.

Au total, 671 détenus des pénitenciers fédéraux ont 65 ans ou plus, notamment parce que la durée minimale de la peine d’emprisonnement à perpétuité au Canada se situe parmi les plus élevées au monde.

Les prisons n’ont jamais été conçues pour être des maisons de soins infirmiers, des centres de soins palliatifs ou des établissements de soins de longue durée. Au Canada, pourtant, elles sont de plus en plus appelées à remplir ces fonctions.

Extrait du rapport Mourir et vieillir en prison de MZinger, enquêteur correctionnel du Canada

Ce rapport, qui contenait plusieurs recommandations, est resté sans suite, se désole MZinger. « Si on avait agi, on n’en serait pas là. »

Adelina Iftene, professeure de droit à l’Université Dalhousie, croit quant à elle « qu’il n’est pas exagéré de dire que le virus, lorsqu’il entre dans une prison, a le potentiel de devenir une condamnation à mort pour plusieurs personnes. Pendant la première vague, dans les pénitenciers fédéraux, le taux d’infection a été jusqu’à 13 fois plus élevé que dans la communauté ».

Toujours lors de la première vague, rappelle-t-elle, des individus non infectés qui se trouvaient dans des prisons en éclosion ont vécu plus de 22 heures d’enfermement par jour, ce qui, en temps normal, contrevient aux droits de la personne et aux normes internationales.

En plus des considérations humanitaires, des enjeux financiers devraient aussi être pris en considération, selon MZinger.

En moyenne, au fédéral, un détenu coûte 120 000 $ par an. Pour un détenu âgé, le coût est de deux à quatre fois plus élevé.

MIvan Zinger, enquêteur correctionnel du Canada

Service correctionnel Canada indique de son côté être « déterminé à répondre aux besoins des délinquants vieillissants et dispose d’un processus pour évaluer les délinquants âgés et leur offrir une gamme de services de soins et de traitements ». On assure avoir « une stratégie en place pour surveiller les personnes qui présentent un risque plus élevé de maladie grave due à la COVID-19 ».

Quant au Syndicat des agents correctionnels du Canada, son président, Frédéric Lebeau, ne se dit pas opposé à plus de libérations conditionnelles, mais seulement après une analyse sérieuse de chaque dossier, étant donné que ceux qui se retrouvent dans des pénitenciers n’y sont pas pour de petits délits, souligne-t-il. Il note aussi qu’il faut éviter que des détenus se retrouvent à la rue, étant donné le manque de maisons de transition.

De façon générale, M. Lebeau parle d’un climat extrêmement anxiogène dans les prisons en cette pandémie, le stress étant aussi bien du côté des personnes incarcérées que de leurs gardiens. Et il y a la fatigue, aussi. « À un moment donné, à Port-Cartier, 75 % des effectifs étaient en quarantaine. C’est dire à quel point leurs collègues toujours en poste ont dû faire des heures supplémentaires. »

La situation au Québec

Dans les prisons québécoises, 106 détenus ont eu la COVID-19 lors de la première vague. À l’heure actuelle, si aucun cas actif n’est recensé parmi les détenus, quatre employés ont eu un test positif, ce qui porte le total depuis le début à 53 employés infectés.

Au Québec, à la suite d’un arrêté ministériel du 7 mai, 137 détenus (âgés de 65 ans ou plus, femmes enceintes, personnes à la santé vulnérable ou qui n’avaient plus que 30 jours de prison ou moins à purger) ont pu sortir.

Et cela, « ce n’est pas glorieux », selon Jean-Claude Bernheim, président de la Société John-Howard du Québec, un groupe de défense des détenus, qui croit qu’on pourrait faire beaucoup mieux.

Au total, environ 80 % des détenus dans les prisons québécoises purgent des peines de moins de trois mois, parce qu’ils n’ont pas commis de gros délits.

Jean-Claude Bernheim, président de la Société John-Howard du Québec

Or, ces prisonniers sont actuellement détenus dans une grande promiscuité qui les expose particulièrement à la COVID-19. Les visites et toutes les activités ont été suspendues, dit-il.

Le problème se présente de fait de façon très différente dans les prisons de compétence provinciale, relève MZinger. « Entre 50 % et 70 % des détenus y sont en attente de procès et contrairement aux pénitenciers fédéraux, il y a une grande surpopulation. Dans les prisons provinciales, certains prisonniers se retrouvent en occupation double ou triple, voire dans des dortoirs. »

Daniel Poulin-Gallant, coordonnateur d’Alter Justice, note qu’en raison des craintes relatives à la COVID-19 – notamment après l’infection de 70 prisonniers et de plusieurs employés à Bordeaux en mai – les détenus « se retrouvent incarcérés 23 heures sur 24 par moments, souvent privés de sorties dans la cour même s’ils ne sont pas l’objet de mesures disciplinaires. Le nombre de douches et de sorties est limité ».

« Je comprends les craintes des autorités, aux prises avec un manque de personnel, mais justement, il aurait fallu embaucher plus de gardiens pour que les droits des détenus soient respectés », ajoute M. Gallant. Il salue au moins l’initiative du gouvernement de donner des cartes d’appel gratuites aux prisonniers.

Le syndicat des agents de la paix en services correctionnels du Québec n’a pas donné suite à notre appel.